Medias
Entre humour potache, bricolages de «gifs» animés et chasse aux « fails » de ces politiques découvrant le Net, une jeune génération de journalistes s’essaie au «journalisme LOL». Une sous-culture qui séduit le petit écran.

Une reconstitution de la scène en 3D par une chaîne de télévision taïwanaise, un morceau de R'n'B composé spécialement pour l'occasion (Ménage de printemps par Sparko «alias MC DSK»), un mot-clé dédié sur Twitter (#bistougate)... Malgré la bourrasque provoquée par l'annonce, le 15 mai, de l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, soupçonné d'agression sexuelle dans un hôtel à New York, le Web s'est très vite emparé de l'information-choc pour la détourner, dans un humour qui lui est propre, dérisoire ou décalé. Bienvenue dans l'univers du LOL (acronyme de «laughing out loud»). Ou comment rendre toute information «trop drôle» (avec une dose de mauvais goût, certes) grâce à l'effet caisse de résonnance du Web.

 

Du joyeux bricolage qui attire les clics

 

Cette sous-culture a émergé au gré des pratiques des internautes, ces fameux natifs du numérique, familiers du bricolage de «gifs» animés (succession d'images en format «.gif» créant un effet d'animation). Le phénomène façonne les pratiques des jeunes journalistes, qui font leurs gammes dans les rédactions Web. «Les étudiants auxquels je donne des cours savent fouiller et bricoler sur Internet. Ils écrivent sur cette culture Web dans laquelle eux-mêmes baignent», constate Vincent Glad, journaliste Web, étudiant lui-même en mastère à l'École des hautes études en sciences sociales sur le sujet (et auteur connu sur Twitter).

 

L'astuce? Traiter par exemple de manière très sérieuse un sujet anecdotique ou bas de gamme qui va faire cliquer. Un style d'écriture difficilement transposable sur le papier. «Je n'écris pas de la même manière sur Ecrans.fr [la rubrique consacrée aux nouveaux médias sur Libération.fr] et dans le quotidien papier Libération. Et sur Internet, je peux faire ma mise en page, choisir mes illustrations», précise le journaliste Alexandre Hervaud.

 

Plusieurs ressources du Web s'y prêtent: photos bricolées sous Photoshop, vidéos détournées, etc. Et apothéose: les «LOLcats» (littéralement «chats LOL»), des images de chats légendées avec une blague. Aude Baron, aujourd'hui rédactrice en chef adjointe du Nouvelobs.com, en charge du site participatif Le Plus, en a fait son marronnier sur LePost.fr: «On a assisté à une surenchère dans l'absurdité: les Guignols de l'info, puis des animateurs comme Nikos Aliagas ont relayé le phénomène. Lorsque j'étais au Post, j'avais écrit un papier sur une perruche qui chantait. L'AFP a repris mon sujet et en a fait une dépêche: mon papier devenait sérieux.» Ou comment créer l'événement à partir de trois fois rien.

 

Au-delà des détournements divers, la «culture LOL» consiste à «relever les "fails" [erreurs] des partis politiques qui découvrent le Web, des médias ou de l'industrie culturelle», raconte Vincent Glad. Le journaliste avait dévoilé que Michel Houellebecq avait quelque peu plagié Wikipedia pour son dernier livre, La Carte et le Territoire.

 

Des sites d'information au petit écran

 

Certains sites d'informations tentent de s'approprier cet humour 2.0 générateur de clics. «On essaie de trouver une forme différente pour raconter une histoire, sans formatage, des choses que la presse traditionnelle ne voit pas», résume Johan Hufnagel, rédacteur en chef du site Slate.fr.

 

Dès 2009, 20minutes.fr confiait à Cyprien Iov, alias «Mr Dream», alors âgé de 19 ans, repéré sur son blog, la création d'un rendez-vous hebdomadaire, Le Rewind. «On en a fait une revue des insolites et du buzz sur le Net, avec un montage d'extraits très "breaking news"», raconte-t-il. Résultat: avec son regard non journalistique et un ton particulier, sa rubrique devenue quotidienne attire 30 000 à 40 000 internautes par jour. Ce qui lui vaut d'être débauché par la chaîne NRJ12 en septembre dernier pour la décliner en TV. Les 12 Infos de Cyprien attirerait 200 0000 à 400 000 téléspectateurs par jour.

 

 

Car, de fil en aiguille, l'univers télévisuel tente de s'approprier cet humour venu du Net. Le Petit Journal de Canal+ s'est imposé dans ce registre (lire ci-après). Mais, pour la plupart, l'unique incursion dans le LOL prend la forme un peu cliché des rendez-vous zappings issus de la Toile.

 

Sur LCI, depuis 2006, une émission quotidienne (LCI est à vous) et une autre hebdomadaire (Le Buzz) passent en revue ce qui se passe sur le Net, ce qui y fait l'actu. «Le défi, c'est de rendre compte du grand écart permanent du Web: tour à tour, la révolution en Afrique du Nord et la mort de l'ourson du zoo de Berlin s'imposent comme sujets-clés», détaille le journaliste Benoît Gallerey, en charge de ces émissions.

 

Le décalage entre ces deux médias, l'ancien et le nouveau, demeure d'ailleurs permanent. «On ne peut pas demander la même tolérance à un téléspectateur qu'à un internaute», résume Benoît Gallerey.

 

 

 

Sous-papier

 

Le Petit Journal, un collier de perles

 

Martine aime le rap. Le gros son, le rap qui tape, celui de Joey Starr et Kool Shen. C'est ce qu'affirmait Martine Aubry lors du Forum national des jeunes socialistes. Alléchés par ce surprenant aveu, les caméras du Petit Journal traquent la première secrétaire du Parti socialiste, tentant de lui arracher son titre préféré de Kool Shen. Un collaborateur compatissant lui souffle une réponse: «Laisse pas crier ton fils», répond la femme politique. Dommage, c'était «Laisse pas traîner ton fils», titre sorti en 1998 sur l'album Suprême NTM...

 

Les «dragouillages» Chirac, les sottises de Dati, les fautes de français de Sarkozy... Le Petit Journal recense chaque jour sur Canal+ les moments ridicules de la classe politique française, dans un esprit très «LOL». On s'y réclame des monuments de l'irrévérence télévisuelle, comme Le Petit Rapporteur, à la fin des années 70.

 

«Nos équipes se fichent royalement des discours des politiques, explique-t-on. Elles vont plutôt s'intéresser au type qui mange un paquet de gâteau ou porte des chaussettes dépareillées.» Une façon de lutter contre «les carences de la presse politique, qui s'autocensure et l'omniprésence de la com' qui orchestre tout, verrouille tout, avec des directeurs de cabinet pléthoriques».

 

Le Petit Journal, qui devrait passer de 8 à plus de 15 minutes quotidiennes à la rentrée et s'affranchir de son producteur Renaud Le Van Kim pour être produit de façon autonome via Laurent Bon, est devenu une référence du LOL. Naguère, il n'hésitait pas à stariser aussi des inconnus, comme Cindy Sander mise sur orbite grâce au buzz créé par les équipes de Yann Barthès. Mais le prisme people n'a plus cours. «Nous n'en pouvions plus de ce flot de "loleries" permanent, de cette surenchère d'âneries, finalement très vaines», lâche-t-on au Petit Journal.

 

Delphine Le Goff

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