Les formes de contestation sociale se sont multipliées ces dernières années, ciblant la société de consommation et ses piliers, la communication, la publicité et le marketing. Tour d'horizon avec Marc Drillech, qui vient de publier Le Boycott.

Vous parlez dans votre ouvrage d'une «nouvelle ère» ouverte avec la publication du livre No logo de Naomi Klein en 2001, qui dénonçait la société de consommation. Dix ans plus tard, les choses ont-elles évolué?

Marc Drillech. Il y a eu deux déclencheurs. D'abord, une peur constante autour de la malbouffe, de la crise de la vache folle en 1996 à l'histoire des concombres supposés contaminés en mai dernier. C'est en quelque sorte la peste moderne. Ensuite, l'insatisfaction chronique du consommateur du fait de l'écart entre promesse marketing et résultats. Dans les années 1990-2000, les marques ont eu tendance à surpromettre, bien au-delà de la fonction du produit. Parallèlement se sont développés des services toujours plus virtuels, comme l'après-vente géré uniquement via des «call-centers». La «dictature de l'urgence» que dénonce Gilles Finchelstein [Éditions Fayard, janvier 2011] est plus difficile à supporter, avec un rapport au temps et à la société de consommation plus stressant qu'avant.

 

En matière de boycott, quel est l'impact de ces nouveaux moyens de communication que sont les forums, blogs et autres médias sociaux?

M.D. C'est une révolution! Le client-consommateur n'est plus passif, anonyme. Il est devenu un émetteur, il dispose de médias qui font office de haut-parleurs. L'individu a le pouvoir d'agir, de répondre, de rassembler et de mobiliser, grâce aux forums, aux blogs, en ouvrant une page Facebook… Ce n'était pas le cas en 2000, où l'une des premières initiatives notables de boycott via Internet, avec le site Jeboycottedanone.com [ouvert contre le plan de fermeture de plusieurs usines Danone en France], ne disposait pas de tels relais. Les vrais activistes ont désormais les moyens d'agir. C'est d'autant plus important que les appareils tels les syndicats, eux, ne sont pas très intéressés par le boycott. Par exemple, le boycott organisé en ce moment par des ouvriers contre la fermeture de l'usine Fralib (Unilever) dans le sud de la France n'est pas relayé par les syndicats au niveau national, entre autres parce qu'il touche aux appareils de production.


Dans les nouvelles formes de boycott via les médias sociaux, vous parlez de «cliquisme». De quoi s'agit-il?

M.D. C'est le fait de cliquer pour «liker», pour s'inscrire à une fan page Facebook. Mais quelle est la valeur en soi d'un acte qui consiste à dire «J'aime/J'aime pas»? Pour certains un clic n'est rien, pour d'autres c'est un engagement. Il faut rappeler que le printemps arabe ne s'est pas fait juste avec des clics.


Pourquoi les boycotts à l'encontre de marques n'ont-ils jamais bien fonctionné en France?

M.D. C'est culturel et politique. Aux États-Unis, il y a un lien entre le boycott et la guerre d'Indépendance contre le colon anglais. Un des premiers actes de boycott a eu lieu en 1872 à Philadelphie, à l'initiative de femmes qui ont décidé de ne plus acheter anglais. En France, le boycott fonctionne peu. Nous sommes imprégnés de l'héritage de la Révolution française, où le citoyen se révolte plutôt par la grève, il cesse la production. Alors qu'aux États-Unis, le boycott est orienté contre la consommation: on cesse d'acheter. Aux États-Unis, il y a aussi ce côté Erin Brockovich [militante américaine pour l'environnement]: «Je peux le faire tout seul.» L'image du genre «Un jour, un homme se lève et dit je vais le faire», toute la cinématographie américaine en est imprégnée.


Que pensez-vous de ces nouvelles formes de contestation sociale qui ont émergé ces dernières années, des «décroissants» aux mouvements d'«autoréduction» en passant par les collectifs comme Jeudi noir…

M.D. Comme pour le boycott, on agit au présent, au sein de collectifs temporaires, avec des mobilisations éphémères autour d'une cause précise. Cela a par exemple été le cas avec les tentes plantées le long du canal Saint-Martin, à Paris en 2006, par le collectif Les Enfants de Don Quichotte [pour dénoncer le sort des SDF à l'approche de l'hiver], qui a contribué au vote de la loi pour le droit au logement. Ces collectifs savent très bien miser sur la fonction émotionnelle de la contestation. Et comme on est dans la société du spectacle, les militants appartiennent à une génération qui a compris les fondements de la communication, avec des porte-parole médiatiques, comme Augustin Legrand pour Les Enfants de Don Quichotte.


Quel regard portez-vous sur cette autre nouvelle forme de contestation sociale qu'est le mouvement des «indignés», parti d'Espagne en mai dernier?

M.D. Ce fait social est important, ils sont médiatisés, mais c'est une indignation justifiée et passive, puisque les militants ne proposent pas de solutions. Les tensions vont s'accentuer car l'absence de solution rend ces situations d'autant plus insupportables.


Ces différentes formes de boycott sont une remise en cause de la société de consommation, mais aussi des marques…

M.D. Le public leur pardonne de moins en moins, surtout sur des enjeux aussi essentiels que la qualité du service ou la santé. À l'avenir, je pense que les lois vont aller vers plus de répression pour les marques quant à leur politique environnementale, notamment en matière de packaging… Elles risquent fort de servir de principales accusées.

 

(encadré)

Le boycott de A à Z

Campagnes de boycott relayées sur Facebook et Twitter, collectifs antipub, de mal-logés, de stagiaires, de chômeurs… Les formes de contestation sociale se sont multipliées ces dernières années autour de mobilisations éphémères. Elles s'inscrivent dans une «nouvelle ère», avec des marqueurs comme le livre No Logo de Naomi Klein en 2001, les documentaires à succès de Michael Moore, la profusion d'articles sur la malbouffe, les fausses allégations santé des produits alimentaires… Marc Drillech y revient dans un ouvrage fourni, Le Boycott (Fyp Éditions, 496 pages, 25 euros). Cette version actualisée, pour ne pas dire entièrement remaniée, de son ouvrage publié en 1999 retrace l'historique de cette «forme majeure de l'action publique». Un ouvrage autant sociologique qu'historique de cet ancien publicitaire qui fut un des dirigeants de Publicis (président de Publicis Dialog et vice-président international de Publicis Group) et occupe désormais le poste de directeur général d'Ionis Education Group.

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