stratégie de marques
Bouleversement sociétal, le mariage gay promet aussi d’être un juteux filon commercial. Pour les marques grand public, les homos sont une cible de choix... comme une autre.

Couturiers, joailliers, traiteurs, organisateurs de mariages, voyagistes, des couples examinant les stands une coupe de champagne à la main... Un salon du mariage comme un autre. Ou presque. Samedi 27 avril se tenait à Paris le premier Salon du mariage gay («G-Day»). Quelques jours plus tôt, mardi 23 avril, les députés adoptaient le projet de loi sur le mariage pour tous, qui doit encore être promulgué. Les premiers mariages entre personnes du même sexe pourraient être célébrés dès fin mai.

Un bouleversement sociétal mais aussi un filon marketing. Premier révélateur, donc, ce Salon du mariage gay, avec une trentaine d'exposants, sur 700 m², ultramédiatisé. La date était bien choisie. A l'origine de ce «coup», l'agence Events and Home. «Nous avons monté ce salon en deux mois, sans sponsors; nous ne nous attendions pas à ce que la loi soit adoptée aussi vite», précise Claire Jollain, fondatrice de l'agence. Le positionnement marketing était assumé: assez haut de gamme, branché, et uniquement masculin, «car les couples de femmes trouvent déjà dans les salons du mariage classiques».

Les couples homosexuels, ce sont quelques 200 000 Français qui se déclaraient en couple avec une personne de même sexe début 2011, sur 16 millions de couples, d'après l'Insee. Une part non négligeable de la population, sans enfants, dont le pouvoir d'achat ne laisse nullement les marques indifférentes. Ajoutez à cela le budget moyen d'un mariage, 10 000 euros...

Au salon «G-Day», les pros du mariage ont adapté leur offre et leur discours. «Il y a des vêtements à réinventer, mais aussi des cérémonies, des rituels à recréer, des prestations sur mesure... pour se distinguer du mariage traditionnel, davantage perçu comme bourgeois», explique Claire Jollain.

Ce sont aussi bien des exposants habitués aux habituels salons du mariage que des marques positionnées exclusivement «100% LGBT» (Lesbiennes, gays, bisexuels et trans). Telle Je vous prends homos, une agence événementielle créée par Bernard Ghassia, «wedding planner» depuis vingt ans, qui a commencé à se spécialiser dans les mariages gays il y a trois ans en Belgique. Ou encore Primeday, «première plateforme Web complète de services pour mariages gay et lesbien», jusqu'au conseil juridique.
«On distingue deux marchés sur le mariage: les mariages classiques, et de nouvelles pratiques non conventionnelles, sur mesure, avec une recherche d'originalité, relayées par des blogs comme La mariée aux pieds nus. Les mariages gays vont s'inscrire dans cette tendance», souligne Kathryn Mougammadou, photographe fondatrice de la société Sages comme des images.
Des pros du mariage malins, donc, qui savent adapter leur offre à de nouvelles pratiques émergentes. Mais quid des marques grand public? Comment s'adressent-elles à cette population? En 2010, McDonald's (agence BETC), Orangina (Fred & Farid) et Krys (H) mettaient en scène des «homos» dans leurs publicités.

McDo y montrait comment un adolescent essaie de parler de son homosexualité à son père. «Il s'agissait de raconter des histoires de gens différents, avec pour claim "Venez comme vous êtes, et de montrer qu'un McDo est un lieu convivial», précise Clarisse Lacarrau, directrice adjointe du planning stratégique de BETC. Orangina, dans une parodie  de pub pour un soin après-rasage, montrait des caresses entre un homme et un étrange animal en 3D.

L'opticien Krys, lui, illustrait son nouveau «contrat de service» par des baisers: entre jeunes, dans un couple mixte, entre des personnes âgées... Mais aussi un baiser en gros plan entre deux femmes. Une première. «Il s'agissait de représenter l'universalité des clients Krys (personnes âgées, jeunes, etc), le couple gay n'était pas le sujet», précise Romain Vuillerninaz, directeur général de l'agence H.

Un sacré tournant

Ces marques de grande consommation intégraient donc ces homosexuels de manière très naturelle dans leur discours publicitaire. Un sacré tournant. Même si, déjà dès 2002, Vizir (P&G) avait osé montrer une scène quotidienne entre deux hommes se conseillant une lessive. «La publicité Vizir avait fait débat, surtout dans les agences de pub. Mais maintenant, représenter les couples de gays n'est plus un sujet, la société a évolué. Mettre en scène un baiser d'un couple d'homos ne serait plus transgressif comme ce fut le cas avec la publicité Benetton», estime Vincent Leclabart, président d'Australie.

Il y a une dizaine d'années, une poignée d'agences ont bien tenté de se positionner comme agences de conseil en «marketing gay», telles Novencio ou Red Boots, mais toutes ont disparu. En fait, la tendance serait désormais de cibler ce segment de consommateurs de manière plus naturelle. Voire sans trop l'assumer.

Dans un article publié par la revue en ligne Metropoles, le sociologue Colin Giraud, qui a fait une thèse sur la «gaytrification» (la gentrification gay) à Paris et Montréal, explique ainsi comment certains commerces «non gays» voisinant les quartiers «gaytrifiés» développent des stratégies commerciales visant cette clientèle, sans le dire ouvertement. Tel BHV avec un magasin homme, à deux pas du quartier du Marais à Paris, qui comporte un immense rayon «préservatifs et lubrifiants».
Les annonceurs vont-ils surfer sur le mariage pour tous, qui traduit par la loi une évolution sociétale? Transavia le fait à sa manière, avec son visuel qui proclame, depuis mars, «Oui au voyage pour tous». «Cela fait partie de l'ADN de cette marque de rebondir sur l'actualité, ce qui fait le quotidien des gens», précise Elisabeth Billiemaz, directrice générale de H.

«Nous, publicitaires, sommes là pour accompagner les évolutions de la société et représenter des marques ancrées dans leur temps. Mais les marques communiqueront peu sur le mariage gay, par peur de prendre des risques, dans un contexte de crise», tranche Clarisse Lacarrau.

Timidité ou normalisation? «Maintenant, les personnages gays sont de plus en plus intégrés de façon naturelle dans les pubs. Et, crise économique oblige, les marques font moins de communication axées sur le style de vie, davantage sur des sujets sérieux: elles parlent prix, promesses de santé, ou encore emploi, comme Mc Donald's», nuance Patrice Duchemin, sociologue de la consommation et planneur stratégique.

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