Les objets connectés de santé donnent naissance à de nouvelles pratiques, où les mobinautes recueillent leurs indicateurs de santé. Nom de code: le «quantified self». De nombreuses start-up et l’industrie pharmaceutique gravitent autour de ce secteur industriel en devenir.

«10 345 pas, 7,48 kilomètres, 56 minutes actives, 1 770 calories brûlées, avec une période de pointe autour de 20 heures, sommeil de bonne qualité...» Autant de données sur son état de santé journalier que tout utilisateur de l'application Fitbitpeut désormais obtenir via un étrange bracelet en plastique connecté à son smartphone. Bienvenue dans le «quantified self» (littéralement "automesure de soi"), où chacun peut mesurer ses données personnelles, les analyser et même les partager grâce à une nouvelle génération d'appareils connectés, de capteurs et d'applications mobiles.

Ces usages naissants explosent grâce à la généralisation de la géolocalisation et des smartphones, véritables «hubs» d'objets connectés. Le seul marché des capteurs a généré 407 millions de dollars de revenus en 2012, et devrait atteindre 5,6 milliards de dollars d'ici 2017, relève le cabinet allemand Research2Guidance. Pour l'institut d'études IDC, en 2020 chaque individu portera sur lui en moyenne 3,5 objets connectés.

Chacun peut donc désormais suivre sa courbe de poids, ses déplacements, sa pression artérielle, le nombre de calories perdues, la qualité de son sommeil... et ainsi mieux contrôler son état de santé. «Notre objectif est de fournir une gamme de produits qui permet au grand public d'être en meilleure santé, de se motiver et de suivre avec des chiffres tangibles son activité physique quotidienne», explique Benoît Raimbault, directeur marketing de Fitbit Europe qui commercialise depuis 2009 les bracelets connectés Fitbit Flex et des applis mobiles de coaching.

«Avec le pèse-personne connecté, chacun peut emmagasiner son propre historique, suivre ses données. Il y a une abolition du mur entre le cabinet médical, l'hôpital et notre santé. Demain notre médecin pourra consulter nos dernières données sur un tableau de bord permanent», prédit Eric Carreel, PDG de Withings qui a lancé en 2009 le premier pèse-personne connecté à Internet, qui mesure même le rythme cardiaque, et est accompagné d'une appli mobile.

Fourchette électronique

Sans surprise, quelques start-up commencent à graviter autour de cet écosystème. Mis à part l'Américain Fitbit qui, cet été, a levé 44 millions de dollars, on trouve son concurrent Jawbone qui a réuni pour sa part près de 100 millions de dollars. Le Français Withings joue lui aussi dans la cour des grands en levant 45 millions d'euros. Au-delà de son pèse-personnes, il a également lancé en 2011 un tensiomètre connecté à l'Iphone, dont les données peuvent être transmises à son médecin. En juin dernier, la société présentait le Withings Pulse, un capteur d'activité connecté, qui intègre notamment la mesure du rythme cardiaque et la détection automatique de la course à pied.

Les initiatives ne cessent de fleurir sur le marché. De nombreux petits objets connectés portatifs («wereables») sont apparus: podomètres, accéléromètres, électrocardiogrammes, détecteurs de sommeil... Jusqu'à la fourchette électronique, la Hapifork de Hapilabs, qui vibre lorsque les bouchées sont trop rapprochées. Pour autant, si ces start-ups affichent des levées de fonds impressionnantes, aucune ne communique sur leurs ventes ou leurs chiffres d'affaires.

Sans surprise, le sport fut précurseur en matière de "quantified self". Nike a ouvert la voie avec ses différents objets connectés, comme les chaussures Nike+ Training, le jeu Nike+ Kinect Training ou plus récemment son bracelet connecté Nike+ Fuelband, doté d'un accéléromètre, d'une horloge et d'un affichage par LED. Connectés à un smartphone, ils ont pour point commun le NikeFuel (ou Fuel), une unité de mesure propre qui synthétise l'ensemble des données exploitables par les capteurs.

Mais les géants de l'électronique grand public ne sont pas en reste et comptent bien eux aussi occuper ce marché prometteur. Avec pour point d'entrée les « smartwatchs » (montres intelligentes). Déjà la Samsung Galaxy Gear, lancée en septembre dernier, tout comme certains smartphones, intègre de façon native des apps «bien-être».

De quoi séduire le grand public, au-delà des geeks. D'ailleurs, Fitbit et Withings ont développé leur réseau de distribution "au-delà des Apple stores, avec la Fnac, Décathlon, Boulanger et Amazon», précise Benoît Raimbault. Pour se faire connaître de manière plus glamour, Jawbone a publié dans le magazine Wired une campagne qui présente ses bracelets comme des accessoires de mode.

Logiquement, l'industrie pharmaceutique voit aussi son intérêt dans cette offre naissante. Ces instruments d'automesure connectés rendent les patients plus autonomes. Sanofi a ainsi lancé début 2011 l'IBG Star, le premier lecteur de glycémie qui se connecte à un iPhone ou un iPod Touch. A la clé, la possibilité pour le patient d'envoyer directement ses données au diabétologue, qui peut les archiver sur un serveur distant. « Pour nous, le quantified self est d'autant plus utile que le diabétique sous insuline doit faire ses relevés de glycémie tous les jours », explique Claire Viguier-Petit, directeur des opérations diabète chez Sanofi France. A terme, dans le cadre du projet Diabeo, «ces données seront aussi remontées sur un serveur sécurisé puis partagées avec les professionnels de santé», précise-t-elle.

Reste à éviter le syndrome "Big Brother"... quelques entreprises américaines commencent déjà à acheter des flottes d'objets connectés santé pour leurs salariés. Parfois avec la bénédiction des mutuelles de santé, qui commencent à les rembourser.

 

(encadré)

 

Des données santé très personnelles


Que font les Withings et autres Jawbone de leurs énormes bases de données santé collectées auprès de leurs clients? La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) s'y intéresse de près: elle a auditionné des acteurs du secteur et programmé la réalisation de tests de capteurs et d'apps mobiles pour la seconde édition de son étude Mobilitics, prévue début 2014. «Dans la plupart des cas, les données transitent par les serveurs des entreprises. Elles risquent parfois d'être partagées avec des tiers pour "profiler" les utilisateurs. Or cette économie naissante des données est un peu cachée», précise Olivier Desbiey, chargé d'études prospectives à la CNIL.
Les principaux acteurs du quantified self entendent «devenir le “Facebook des données de bien-être et de santé”», en incitant les utilisateurs à centraliser leurs données. «L'utilisateur final a intérêt à y stocker ses données s'il trouve en contrepartie des services à valeur ajoutée», souligne ainsi la CNIL dans sa lettre Innovation & Prospective, publiée en juillet dernier.

Capucine Cousin 

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