Medias
En décembre dernier, l’école de journalisme de Sciences Po organisait sa 5e conférence annuelle sur les nouvelles pratiques du journalisme. Formats, supports de diffusion, sources d’information : revue de détail des dernières tendances dans les rédactions.

Fermetures de titres, coupes dans les effectifs, marché publicitaire en berne: l'année 2013 restera une année difficile pour les médias occidentaux. Pour autant, de nouveaux sites continuent de voir le jour, des médias se créent, les pratiques évoluent... Des innovations qui étaient au cœur de la 5e édition de la conférence «Nouvelles pratiques du journalisme», organisée par l'école de journalisme de Sciences Po le 3 décembre dernier à Paris. Explosion du mobile, de la vidéo, création de départements dédiés au web-documentaire dans plusieurs groupes de presse, rôle des réseaux sociaux: les tendances du journalisme 3.0 se dessinent.


100% mobile. Plus que jamais, les smartphones sont en train de révolutionner la consommation d'information et l'essor de la 4G à travers le monde pourrait encore accentuer la tendance. «Depuis dix ans, les gens consomment de moins en moins l'actualité à heure régulière. Ils regardent ce qu'il s'est passé beaucoup plus au coup par coup, quand ils ont cinq minutes entre deux réunions», explique Kevin Delaney, rédacteur en chef de Quartz, un service d'information créé il y a près d'un an aux Etats-Unis. Dès le début, le site, petit frère du célèbre magazine américain The Atlantic, a placé le mobile et la tablette au cœur de sa stratégie car «c'est là qu'est la croissance».

Même logique pour Circa, un service d'information en anglais exclusivement présent sur mobile, qui promet à ses lecteurs de gagner du temps tout en restant informés lorsqu'ils sont en déplacement. «Aujourd'hui, la manière dont nous nous informons s'intercale entre d'autres activités tout au long de la journée, souligne David Cohn, cofondateur et rédacteur en chef de Circa. D'où l'importance d'un média qui, dès le départ, est conçu pour le mobile, et ne se contente pas de reprendre les mêmes contenus que le Web en cherchant à tout prix à les faire tenir dans l'écran du téléphone.»

Autre particularité de ce service, les articles publiés sont organisés par puces numérotées de sorte que le mobinaute puisse reprendre l'histoire là où il l'a laissée. «Nous voulions que l'actualité présentée au lecteur tienne compte de ce qu'il sait déjà. Plutôt que d'écrire un nouvel article à chaque nouveau développement, nos journalistes ajoutent un point à l'histoire, comme ça, lorsque le lecteur revient dans l'application, nous savons ce qu'il a déjà lu et donc nous lui proposons seulement les nouveaux éléments disponibles et non un résumé de toute l'histoire», raconte David Cohn.

Une stratégie efficace puisque, à chaque actualisation, le média enregistre un pic de consommation, assure le rédacteur en chef. «Cette manière de faire a aussi l'avantage de nous permettre de créer une base de données de faits, de citations et de statistiques, et ainsi de donner une seconde vie à l'information en offrant la possibilité de retrouver par exemple tous les éléments qui se sont passés à tel endroit ou toutes les citations d'une même personne.»


Faire court... Avec l'avènement du mobile, le format court triomphe. «Sur Internet, les lecteurs lisent soit du court - des articles de moins de 500 mots -, soit du long - des textes de plus de 800 mots. L'entre-deux n'a pas vraiment sa place, assure Kevin Delaney, rédacteur en chef de Quartz. Les articles de taille moyenne ne sont souvent pas assez focalisés sur un sujet, ils répètent des choses que les gens savent déjà, alors que les articles courts, sur un sujet précis, peuvent être facilement tweetés.»

Le format court est également bien adapté à la vidéo sur Internet. En atteste le succès de Vine et ses vidéos de 6 secondes, ou celui des vidéos sur Instagram, limitées à 15 secondes. «C'est la fin du reportage de 90 secondes cher à la télévision», estime Duy Linh Tu, patron des nouveaux médias à l'école de journalisme de l'université de Columbia, à New York, qui publiera en février un rapport sur l'état de la vidéo aux Etats-Unis. «Chaque année depuis 2009, on dit que c'est l'année de la vidéo, mais on voit aujourd'hui une accélération du phénomène», souligne-t-il.

Exemple de média utilisant la vidéo courte, le site américain Now this news, qui propose d'expliquer un fait d'actualité en moins de 15 secondes. Mashable.com, spécialisé dans l'information high-tech, a lui fondé une partie de son succès sur sa chaîne You Tube et les revenus publicitaires que la plateforme vidéo lui reverse. «Un média a besoin d'au moins 1,6 million de vues par mois pour gagner de l'argent sur You Tube, ce qui est le cas de Mashable», note Duy Linh Tu.
Autre mode de financement possible, la diffusion de publicités pré-roll ou la réalisation de vidéos pour les marques. C'est le modèle qu'a choisi Now this news, qui a par exemple réalisé des films pour l'enseigne de glaces Ben & Jerrys. Selon Duy Linh Tu, le site facture à la marque près de 200 000 dollars (146 000 euros) pour 5 à 7 vidéos.


... ou long et en images. Le format long a lui aussi une place à prendre, que ce soit à l'écrit, avec des reportages ou des articles d'investigation, ou en vidéo, avec les web-documentaires. Plusieurs groupes de presse aux Etats-Unis ont ainsi créé des divisions consacrées au documentaire vidéo, tel le magazine Time avec Red Border Films, ou le New York Times avec son département Op-Docs. «Ce type d'initiatives crée de la différenciation de marque et génère du trafic sur la durée», souligne Duy Linh Tu, de l'université de Columbia.

Parmi les documentaires produits par Op-Docs, «Hers to lose», un film de 30 minutes sur la défaite de Christine C. Quinn à la mairie de New York. Lancé en 2011, Op-Docs a déjà permis les réalisations de près de 100 films documentaires. En France, des médias comme Lemonde.fr ou Arte.tv sont en première ligne dans le web-docu, malgré un coût de production très élevé.

 

Et les réseaux sociaux? Outre le mobile et la vidéo, les médias ont regardé plus que jamais en 2013 les réseaux sociaux, qui apportent une audience supplémentaire croissante. Pour un site comme Quartz, qui revendique 4 à 5 millions de visiteurs uniques par mois, 60% du trafic vient des réseaux sociaux, Twitter et Facebook en tête, chiffre Kevin Delaney. D'où une page d'accueil du site très épurée, sommaire presque, puisque de toute façon là n'est pas l'essentiel du modèle.

Au Monde, comme dans beaucoup d'autres médias, les réseaux sociaux sont également des sources d'inspiration. «Tous les jours, la conférence de rédaction commence avec les sujets dont les internautes ont parlé sur Internet, explique Nabil Wakim, rédacteur en chef du Monde.fr. De là, nous définissons plusieurs contenus à produire. Par exemple, après la mort de l'acteur Paul Walker, les réseaux sociaux nous ont inspiré des articles sur l'avenir de la série de films Fast and Furious, sur pourquoi les internautes se sont autant intéressés à ce sujet... A notre manière, nous répondons aux attentes des lecteurs.» Quitte à ajouter du bruit au bruit de la bulle...

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