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La mobilisation digitale se développe alors que de nouveaux acteurs, spécialisés dans la pétition en ligne, servent de mégaphones aux consommateurs-citoyens. Attention cependant aux manip'...

C'est ce qu'on appelle une guerre éclair ! Il n'aura pas fallu plus de quinze jours pour que Burberry, mis en cause mi-janvier par Greenpeace pour l'utilisation de substances toxiques dans ses vêtements, fasse machine arrière et annonce l'arrêt complet de ces phtalates d'ici à 2020. Le secret de cette victoire? La mobilisation digitale. En trois jours à peine, 10 000 tweets ont été envoyés à la marque. Son mur Facebook a également été inondé de messages de protestation tandis que des sympathisants de l'organisation écologiste manifestaient dans six villes devant ses boutiques. Une notoriété dont la griffe, par ailleurs experte en digital, se serait bien passée.

«Nous avons procédé comme avec les autres marques depuis que notre campagne "Detox" a été lancée, en 2011, explique Clémence Lerondeau, social media manager chez Greenpeace France. Nous avons fait nos analyses scientifiques et envoyé notre rapport à Burberry. Sans effet. C'est pourquoi nous avons décidé de passer à la vitesse supérieure: mettre le rapport en ligne et alerter notre communauté sur Internet».

Culture de la revendication

Le cas Burberry n'est pas isolé. Avec la démocratisation des réseaux sociaux, les mobilisations digitales se multiplient sur des sujets variés, politiques ou sordides. Fin janvier, la vidéo d'un chaton projeté contre un mur, postée sur la page Facebook de l'auteur, a provoqué l'ire des internautes. En quelques heures, des pages Facebook ont été créées, des pétitions en ligne lancées, rassemblant plusieurs centaines de milliers de signatures. Le 4 février, l'homme, retrouvé par la police et rapidement traduit en justice, écopait d'un an de prison ferme pour sévices graves envers un animal.

Fait nouveau, ces mobilisations ne proviennent plus seulement de l'action structurée de mouvements militants type Anonymous ou d'ONG comme Amnesty, qui fournit à ses adhérents un kit de mobilisation digitale. À portée de clics, la culture de la revendication se généralise à toutes les strates de la société, comme l'explique Tom Liacas, consultant spécialisé en e-réputation.

« Les ingrédients de ces mobilisations, qu'elles soient impulsées par une organisation ou par un simple citoyen, sont toujours les mêmes, explique Laurent Terrisse, président de Limite, une agence spécialisée dans la communication du secteur associatif et des entreprises engagées. Ils reposent sur le triptyque émotion, colère et simplicité d'action.» Un tweet, un like peut en effet se voir gratifier d'un retour immédiat. «Le digital permet de viraliser une information de manière extrêmement rapide auprès d'un grand nombre de personnes, avec un puissant effet de levier lorsqu'elle est reprise et donc amplifiée par les médias », poursuit Laurent Terrisse.

Sociétés spécialisées

D'autant que les réseaux sociaux ne sont plus les seuls mégaphones de la mobilisation digitale. D'autres acteurs, spécialistes de la pétition en ligne, ont vu le jour. Certains sont français, comme Wesign.it ou Mesopinions.com. Les plus connus sont américains: Avaaz.org (30 millions d'inscrits), le spécialiste des causes globales, encore peu utilisé en France ou Change.org (50 millions d'utilisateurs, dont 2 millions en France).

C'est sur cette plate-forme que l'escrimeur handisport Benoît Coulon, grâce au soutien de 21 500 signataires, a poussé France Télévisions à revoir sa grille de programmes et à donner plus de visibilité aux Jeux paralympiques à une heure de grande écoute. C'est aussi sur Change.org que le mouvement des Poussins, opposé à la réforme annoncée du statut des autoentrepreneurs, a été amorcé en septembre 2012 par deux jeunes autoentrepreneurs marseillais. En quelques jours, 20 000 signatures étaient recueillies (150 000 au total) et les deux «poussins» reçus en personne par Sylvia Pinel, ministre de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme.

«La pétition en ligne est un outil de mobilisation puissant et extrêmement bien pensé, qui décolle depuis deux ans», souligne Olivier Cimelière, fondateur d'Heuristik Communications et auteur du blog Leblogducommunicant2-0.com. Dernier arrivé dans la trousse à outils du parfait webagitateur: Thunderclap. Cette application, lancée aux États-Unis en 2012, propose de démultiplier sa puissance de feu sur les réseaux sociaux grâce à une astuce redoutable: elle recueille l'assentiment préalable des internautes puis envoie au même moment l'ensemble des tweets ou des posts des sympathisants déclarés. «Des milliers de tweets qui partent en même temps, ça fait forcément plus de bruit», souligne Tom Liacas, expert en activisme sur la Toile.

L'exemple le plus connu à ce jour est la campagne sociale menée fin 2013 par un designer néerlandais désireux d'attirer l'attention sur son projet de smartphone écologique, le Phonebloks. Bilan de l'opération: plus de 900 000 messages de soutien envoyés le jour J et un accord signé avec le fabricant Motorola. Une belle histoire comme le Web social, plutôt spécialiste des flambées de colère, en fait peu.

Les marques, cibles de choix

Quel impact pour les marques ? Elles sont une cible de choix. Olivier Cimelière raconte comment, en Espagne, le patron d'une auberge, Alberto Segura, a pris à parti, en février dernier, la Caixa Bank sur Change.org. Il lui reprochait d'appliquer de nouveaux frais financiers pour consultation des comptes bancaires en ligne. Outré, il publie aussitôt sur la plate-forme un manifeste exigeant l'abandon de cette injuste tarification. Résultat: 74 260 signataires en 48 heures rejoints par 8 000 internautes sur Facebook.

«La plupart des bad buzz sont des feux de paille qui agitent la blogosphère pendant un jour ou deux, mais ils peuvent aussi être extrêmement destructeurs pour la réputation de l'entreprise», détaille Olivier Cimelière.

À l'image de celui qui a visé Abercrombie & Fitch, au printemps 2013. À l'origine de l'incendie, une déclaration du PDG de l'entreprise dans laquelle il indiquait vendre ses tee-shirts aux gens «beaux et populaires». Reprise par le magazine Business Insider, elle s'est répandue sur le Net comme une traînée de poudre. En réaction, une vidéo tournée par un étudiant américain, viralisée par Twitter, incitait les consommateurs à donner leur tee-shirt Abercrombie aux SDF, tandis qu'une blogueuse très en chair détournait des publicités de la marque avec le slogan «Attractive and fat».

« Certaines commettent des erreurs grossières, comme effacer des posts sur leur page Facebook. Ça, les internautes ne le supportent pas ! D'autres, qui ont pourtant adopté les outils de veille dernier cri restent dans le schéma traditionnel de la communication verticale, totalement inopérant sur le Web», regrette Olivier Cimelière, qui encourage les entreprises à engager une véritable conversation avec les internautes. « Une marque qui a l'habitude de répondre aux questions du consommateur de façon la plus transparente possible, sera moins attaquée si un bad buzz se produit, veut croire le consultant, qui cite l'exemple de la SNCF, très active sur les réseaux sociaux depuis des années. Après la catastrophe de Brétigny, elle n'a rien occulté de sa possible responsabilité. Résultat, la pétition lancée pour la mettre en cause n'a pas dépassé les 12 000 signatures.»

Vigilance obligatoire

Dialoguer, c'est justement ce que propose le nouvel «outil décideur» de Change.org. Sur le point d'être lancé en France, il est destiné aux entreprises, institutions et partis politiques régulièrement interpellés sur Change.org. Olivier Cimelière raconte comme la Caixa Bank s'est servi avec succès de cette nouvelle fonctionnalité pour annoncer sur le site à l'ensemble des signataires le retrait des frais supplémentaires tant critiqués. Quatre jours plus tard, le dossier était clos. «A l'injonction collective mais unilatérale déclenchée par des individus, des ONG ou des associations, s'ajoute désormais une dimension conversationnelle dont les entreprises, institutions et influenceurs ont tout intérêt à prendre la mesure», ajoute Olicier Cimelière. Ils peuvent d'ores et déjà créer leur profil sur Change.org de manière à être aussitôt informés de l'apparition en ligne d'une pétition les concernant.

Les entreprises, mais aussi les consommateurs et les citoyens, auront également intérêt à se montrer particulièrement vigilants. Si, pour l'internaute, le Web est encore synonyme de totale transparence et de vérité, la réalité est tout autre. Vu l'impact de ces cybermobilisations, il est en effet tentant de simuler un mouvement de masse sur Internet.

Pour ce faire, il est possible d'acheter des followers ou des fans. Sur certains sites, il en coûte à peine 50 euros le pack de 3000. Les plus mal intentionnés ne s'embarrasseront pas de cet esprit boutiquier et opteront pour l'«astroturfing» (du nom d'un fabricant américain de gazon artificiel).

«Cette pratique d'abord inventée par l'armée américaine à des fins de propagande repose sur des logiciels très sophistiqués qui créent des centaines de milliers de faux profils Facebook ou Twitter et postent des commentaires automatisés», explique Olivier Cimelière. L'opération d'astroturfing la plus emblématique s'est déroulée en Corée du Nord durant l'élection présidentielle de 2012. Elle visait à discréditer le candidat de l'opposition. Un million de tweets orduriers avaient été envoyés. Une opération finalement révélée au grand jour et qui fait aujourd'hui l'objet d'une action en justice...

Recouper les informations

À une moindre échelle, la France a découvert l'astroturfing à l'automne 2013, à l'occasion du sondage «truqué» de France 3 sur la crèche Baby Loup. Pour mémoire, 80% des internautes s'y déclaraient en faveur de la salariée voilée, suite aux manipulations d'un hacker qui s'était rapidement fait connaître.

Dans ces conditions, quel crédit apporter aux cybermobilisations? «Avant de cliquer contre tel ou tel scandale, il faut exercer son esprit critique et ne pas hésiter à recouper l'information en faisant deux-trois recherches sur Internet, conseille Antoine Champagne, rédacteur en chef du site Reflets.info, spécialiste de l'Internet et de ses dérives. Même si, sur le Web, toutes les manipulations finissent par être éventées un jour ou l'autre...»

Dans tous les cas, il faut garder à l'esprit que ce qui se passe en ligne n'est pas le strict reflet des courants d'opinion qui traversent le pays. «Internet est le média des contestataires et réactionnaires qui n'ont pas accès aux médias traditionnels», assène Clémence Pène, chercheuse en sciences politiques spécialisée dans la mobilisation numérique et responsable de la campagne digitale de la candidate aux municipales à Paris, Anne Hidalgo. L'extrême droite, les catholiques intégristes, y sont par exemple très bien implantés... Et de regretter que les vrais sujets de société soient encore si peu mobilisateurs sur le Web: «Il y a une plate-forme de pétition en ligne sur le site de la mairie de Paris, qui l'utilise?, poursuit la jeune femme.

En tout état de cause, «Le business-model de ces outils n'est pas très clair», remarque-t-elle. Change.org commercialise les bases de données contenant ses adresses e-mail. Sur Wesign.it, il faut payer pour que sa pétition apparaisse en une du site ou pour envoyer des e-mails de remerciement aux signataires. De quoi écorner un peu le rêve de démocratie directe vendu par les concepteurs de ces sites.

 

Entretien avec Tom Liacas, spécialiste canadien en e-réputation

 

Les mobilisations digitales se multiplient. Sommes-nous tous devenus des cyber-activistes ?

Tom Liacas. Auparavant réservée à une certaine gauche militante, la culture de la revendication et de l'empowerment s'est répandue à toutes les strates de la société. De simples consommateurs se manifestent. Des milieux a priori très éloignés du militantisme traditionnel - start-up, fédérations professionnelles... - s'imprègnent de cette culture et utilisent le Web à leur avantage.

 
C'est le cas des Pigeons, en France ?

T.L. Les Pigeons, qui ne défendaient que leurs seuls intérêts, ont su raconter une belle histoire et mobiliser largement autour de leur cause. Tout le monde aime les histoires de David et de Goliath. Maintenant que chaque internaute est activé comme un David potentiel, on va voir se multiplier ces mouvements de «putsch».


Est-ce à dire que l'Internet est un miroir déformant ?

T.L. Oui, c'est évident. Prenons l'exemple de la construction très controversée de nouveaux pipelines au Canada, où j'habite. Dans les sondages conventionnels commandés par les compagnies pétrolières, les anti-pipelines sont à égalité avec les pro. Mais la voix dominante sur les réseaux sociaux est contre. Et pour cause! Le Web social repose sur des algorithmes qui donnent davantage d'importance aux contenus partagés par un grand nombre de pairs. Or, c'est la force des réseaux militants que d'avoir de grosses communautés sur Internet…

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