Dossier
Pour combler le retard des annonceurs français dans l’investissement publicitaire sur supports mobiles, les régies Web sortent le grand jeu: nouveaux formats et modes d’achat, simplifications techniques… Suffiront-ils à séduire les marques?

Article initialement publié le 24 avril 2014

 

«L'année 2014 sera celle du mobile», répètent en chœur les régies publicitaires Internet et les éditeurs médias tout en ligne… comme chaque année. Les annonceurs ont en effet pris un retard conséquent dans l'investissement dans la publicité mobile par rapport à l'audience que les tablettes et les smartphones génèrent. Pour 2013, l'investissement dans le mobile a atteint 8,2% de la part des dépenses digitales, selon le Syndicat des régies Internet (SRI), soit 229 millions d'euros, alors que plus d'un Français sur deux est mobinaute, selon Médiamétrie. Yahoo totalise par exemple 11,6 millions de visiteurs uniques via mobile chaque mois, soit plus de la moitié de son audience totale.

 

Les régies et les éditeurs de sites mobiles et d'applications espèrent donc chaque année que les annonceurs se lancent. Un espoir en partie comblé en 2013: l'investissement dans la publicité nomade a crû de 57% par rapport à 2012, sous l'impulsion d'annonceurs audacieux, mais cette progression n'est pas suffisante pour rattraper le retard. A titre de comparaison, cet investissement représente 17% du display au Royaume-Uni, s'élevant ainsi à 1,8 milliard d'euros, contre 753 millions en France.

 

Le mobile a pourtant bien des arguments pour convaincre. En plus de générer des audiences en croissance exponentielle et d'être prisé par les jeunes, il présente l'avantage d'un ciblage unique. «On consulte son smartphone quand on achète, quand on cherche… Il faut considérer le mobile comme un outil qui permet d'avoir un contact très fin», confirme Hélène Chartier, directrice générale du SRI. Un Français regarde en moyenne 150 fois son mobile par jour et produit à chaque recherche des données et des informations sur son profil et sa géolocalisation.

 

«Chez Google, quand on parle mobilité, on parle local: plus d'un tiers des requêtes en mobilité ont un caractère local», observe Hélène Barrot, porte-parole de Google France. «La force du mobile est la personnalisation, dans le message et dans le format», abonde Marina Coche, directrice du pôle display & publishing d'Amplifi, filiale de trading d'Aegis Media France. Une qualité qui devrait inciter les entreprises locales à se positionner massivement sur le support. L'investissement des annonceurs locaux dans la publicité search représente pourtant moins de la moitié (473 millions d'euros en 2013) de celui des annonceurs nationaux (près de 1,2 milliard), selon le SRI.

 

Des techniques prohibitives

 

Pourquoi cette timidité? La conjoncture globale ne favorise pas l'investissement publicitaire, en baisse de 3,6% pour 2013. Le digital est cependant le seul segment en hausse, mais de 3% seulement, quand il augmente de 13% au Royaume-Uni et de 8% en Allemagne. «Contrairement à leurs voisins, les Français sont toujours dans une position attentiste, dans le “wait and see” plutôt que dans le “test and learn”», observe Hélène Chartier, du SRI. Des raisons techniques incitent aussi les annonceurs à la prudence. Produire une campagne mobile, c'est savoir s'adapter à toutes les tailles d'écran, à tous les systèmes d'exploitation mobile et produire des contenus interactifs, ce qui augmente significativement le coût.

 

Le format «interstitiel», une publicité occupant toute la page puis se réduisant, qui a plus d'impact qu'une simple bannière, est le plus prisé sur mobile. Or, ce format demande d'être adapté à l'écran et présente moins d'inventaire: une application ne peut glisser des interstitiels à chaque ouverture de page, sous peine que la publicité soit jugée trop intrusive par l'utilisateur. La question du coût concerne aussi aux éditeurs, qui doivent produire des sites en «responsive design», c'est-à-dire s'adaptant à tous types d'écran. Conséquence, «les formats mobiles sont 10 à 20% plus cher que pour l'Internet fixe», relève Simon Fuzeau, «sales manager» chez Yume, régie Web spécialisée dans la vidéo. Certains annonceurs jugent en outre que l'écran du mobile est trop petit pour que la publicité soit efficace et qu'il entraîne beaucoup de défauts du clic. «Ils ont du mal à voir ce que cela leur rapporte», résume Simon Fuzeau.

 

Autant d'arguments que rejettent en bloc les régies Web. «Aucune marque ne peut se passer de publicité sur mobile», plaide Erik-Marie Bion, directeur de la division Advertising & Online de Microsoft France. Pour les en convaincre, il s'agit maintenant de comprendre comment elles investissent en médias et comment le digital peut répondre à leurs objectifs

Les régies Web mettent tout en œuvre pour faire tomber les barrières entre les différents écrans, afin de «passer de la logique de l'écran à celle du contexte», selon les mots d'Hélène Barrot, détaillant ainsi la stratégie suivie par Google depuis 2013.

 

Pour cela, de plus en plus de régies prennent complètement en charge les contraintes techniques en proposant des offres clés en main sur tous supports. C'est le cas de Quantum, plate-forme de RTB («Real Time Bidding») spécialisée dans le «native advertising», qui propose une interface où l'annonceur n'a qu'à entrer sa campagne, fournir des photos dans plusieurs formats, et la publicité s'insère directement sur les sites Internet et mobiles. Amplifi, de son côté, a investi dans des équipes techniques en recrutant des experts mobiles dans chacun de ses pôles et en acquérant l'agence spécialisée dans les solutions mobiles Mobilizer.

 

Innover, suivre et rentabiliser

 

Les régies ont également pour objectif de trouver de nouveaux formats pour le mobile, sortant des traditionnels interstitiels et bannières. «L'enjeu est de trouver des dispositifs innovants et rentables», observe Hélène Chartier, du SRI. «De nouveaux formats vont se standardiser», assure Erik-Marie Bion, de Microsoft, qui a par exemple conçu un jeu interactif pour la campagne Carte noire, une opération spéciale qui a demandé de nombreux développements techniques spécifiques. «Ce genre de format sera bientôt automatisable», prévoit-il.

 

La régie spécialisée dans la vidéo Yume a, elle, développé cinq formats uniquement pour mobile, parmi la trentaine qu'elle propose. «Sur le mobile, on joue avec la fonctionnalité tactile, détaille Simon Fuzeau. Par exemple la possibilité de retourner le téléphone ou la tablette.» Les vidéos publicitaires que propose Yume ne peuvent pas être arrêtées par l'internaute, qui doit aller jusqu'au bout avant d'accéder au site. Quant aux défauts de clics, «nous avons développé un outil de tracking, qui permet de voir si l'internaute a cliqué par erreur ou non», ajoute-t-il.

 

>> Lire le dossier : Les régies Web sortent le grand jeu pour séduire les marques sur le mobile

 

Optimiser la monétisation de la géolocalisation est un autre axe de développement de la publicité mobile. Il existe déjà des applications comme Waze, un GPS «communautaire» commercialisée par Orange Advertising où le mobinaute accepte d'être géolocalisé et de recevoir des promotions des magasins se trouvant autour de lui. «Ce dispositif innovant permet de prendre en compte le changement du parcours client», résume Sophie Poncin, directrice déléguée d'Orange Advertising Network.

 

«Le parcours d'achat est de plus en plus fragmenté et complexe, confirme Hélène Barrot, de Google. On essaie de changer le modèle où l'on regarde seulement d'où provient le dernier clic avant l'achat pour prendre en compte toutes les étapes.» Google propose ainsi des formats «click to call», né du constat que 70% des internautes appellent un commerçant après avoir recherché des informations locales sur leurs smartphones. De son côté, CCM Benchmark réfléchit à une application où l'internaute indique les cartes de fidélité qu'il possède et reçoit des offres en conséquence. «Ce n'est hélas pas encore possible d'identifier quand une personne se trouve dans le magasin, mais cela va se faire», assure Isabelle Weill, directrice associée, pour qui la clé se trouve dans la publicité «servicielle».

 

Le déploiement de la 4G

 

Ce qui pourrait décider définitivement les annonceurs à investir dans les formats nomades est l'extension de l'achat d'espace publicitaire aux enchères en temps réel (RTB) aux publicités mobiles. Orange commercialise ainsi sur sa plate-forme d'achat programmatique des bannières mobiles et des interstitiels depuis janvier 2014. «Le mobile représente 10 à 15% du chiffre d'affaires de la régie, l'objectif est d'atteindre cette proportion pour l'ad exchange», détaille Sophie Poncin. Le RTB mobile pourrait en effet connaître la même croissance que celui de l'Internet fixe: ce mode d‘achat a crû de 125% en 2013, pour représenter 16% du display, soit 117 millions d'euros, selon le SRI.

 

Le mobile pourrait aussi profiter de l'essor du native advertising, un format qui intègre la publicité dans le contenu éditorial du site. Selon Quantum, «le carburant de monétisation du mobile, c'est le native ad, car lui seul permet une vraie expression publicitaire», estime Philippe Besnard, cofondateur et PDG de cette plate-forme de RTB spécialisée dans le native advertising.

C'est aussi l'avis de Brigitte Cantaloube, directrice générale de Yahoo France: «C'est un format qui se prête extrêmement bien à la consultation mobile, non intrusif et pertinent. Pour nous, c'est le format qui va s'imposerdemain.» Pour l'instant, aucune application de Yahoo ne comprend de publicité, mais le groupe américain va en intégrer peu à peu et sous forme de native ad. «On est très prudent sur le mobile, il faut d'abord avoir les bons produits, l'audience, puis les annonceurs», détaille-t-elle.

 

Autre élément en faveur de la publicité mobile, le déploiement de la 4G. «On estime que la 4G va faire grimper le trafic nomade de 50%», évalue Marina Coche, d'Amplifi (Aegis Media). Si les annonceurs réagissent favorablement à toutes ces avancées, l'investissement publicitaire dans le mobile pourrait représenter 20% de l'investissement dans le display en 2017, selon les estimations du SRI.

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