Marketing viral
Monochromie, studios photo, collaborations inattendues… Les points de vente sont lancés dans une course effrénée à l’« instagramable ». Quelles sont les techniques qui marchent ?

«Dessiner sur des vitrines, mettre un peu de poésie au milieu du béton. Jouer avec les transparences, avec les gros pinceaux, avec le blanc et le doré aussi... Merci @myjoliecandle de nous avoir fait confiance pour ce projet. Si vous passez devant n'hésitez pas à prendre une photo !» En septembre dernier, la marque de bougies My Jolie Candle invitait l’artiste-influenceuse Natacha Birds à venir dessiner sur la vitrine de sa boutique parisienne.

Inciter les visiteurs à prendre des photos, des selfies, devant ou dans la boutique, dans les cabines d’essayage et avec les produits, est devenu la nouvelle obsession des enseignes, tous secteurs et niveaux de gamme confondus. « L’idée sous-jacente est de déléguer la communication de la marque au consommateur lui-même, dans le but de faire venir une nouvelle clientèle, notamment plus jeune, d’attiser la curiosité et générer du bruit autour de son magasin », observe Roxane Baché, fondatrice du cabinet de tendance Vitamin Consulting.

Il s’agit également d’attirer les influenceurs, dont l’activité consiste précisément à dénicher le lieu aux belles couleurs, à la belle lumière, qui viendra s’intégrer harmonieusement à leur feed Instagram. « Je pense que les marques ont de plus en plus envie de voir nos univers respectifs se lier et c’est plutôt une bonne chose, confirme Natacha Birds. Pour un créateur de contenus, il est plus simple de mettre en avant une marque ou un produit si l’univers de la boutique est photogénique. Et cela ouvre des possibilités de collaborations beaucoup plus fortes. » Pour Tiphaine Serret, « rendre son magasin instagramable, c’est faciliter la prise de photo, c’est apporter sur un plateau d’argent des idées originales pour l’instagrameur. L’exemple le plus basique serait de dessiner des ailes sur un mur pour qu’il n’ait plus qu’à se placer devant. »

 

Caractéristiques sociales et mobiles

« La théâtralisation de l’espace de vente n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui il ne suffit plus d’être photogénique, il faut être instagramable, renchérit Roxane Baché. C’est-à-dire s’adapter à toutes les caractéristiques des réseaux sociaux mais aussi du support mobile ». La petite taille de l’écran d’un smartphone, ou encore le fait que sur Instagram les photos sont immergées au sein d’un feed, supposent de favoriser des couleurs vives, franches, voire monochromes. Le choix d’une couleur unique est un parti-pris toujours très marquant. Le monochrome habille les espaces et fait ressortir les silhouettes, les selfies, mais aussi les produits à mettre en valeur. « Il faut savoir que le rose est la couleur la plus diffusée sur Instagram, c’est aussi celle qui génère le plus de viralité », poursuit Roxane Baché. Le blanc est aussi largement plébiscité, tout comme les matières naturelles, brutes, le bois, la pierre… Surtout, la monochromie permet d’identifier immédiatement l’enseigne sur les réseaux sociaux. En juillet 2018, la maison de luxe Tiffany’s a recouvert son nouveau flagship (magasin porte-drapeau) londonien de la couleur bleue iconique de la marque: les murs, les présentoirs, mais aussi les jeux de lumières. Ce type d'esthétique n’est d’ailleurs pas sans rappeler le fameux épisode «Chute libre» de la série Black Mirror, qui imagine un monde intégralement instagramable, aux couleurs pastels que rien ne semble pouvoir ternir.

D’ailleurs, l’épuration est une autre tendance forte en matière de design des points de vente : le surplus de motifs ou d’inscriptions aurait pour effet de faire disparaître le sujet de la photo. Pour autant, une autre dynamique intervient en complément, celle de la disproportion. Il s’agit de sur ou sous-dimensionner des éléments dans la boutique ou encore d’y installer des œuvres d’art gigantesques. Glossier, marque américaine de cosmétique, joue à la fois sur le rose pastel - les vendeurs eux-mêmes en sont vêtus -, et la démesure avec par exemple des gloss géants en guise de sculptures.

 

Trois semaines pour tout changer

Surtout, dans les boutiques Glossier, les clients peuvent se maquiller ou se démaquiller à l’envi, et se prendre en photo dans un salon mis à disposition au coeur de l’espace de vente. Et c’est là une autre tendance lourde de l’instagramabilisation des magasins: la mise à disposition des consommateurs a minima d’un photobooth (espace photo sans photographes professionnels, à la différence du photocall), au mieux de tout le matériel nécessaire à la réalisation de belles photos: studio, projecteurs, parapluies, fond vert, etc. Kellogg’s a par exemple ouvert à New York un bar à céréales au sein duquel le visiteur peut prendre son bol en photo avec la bonne lumière, le bon cadrage et un décor sur-mesure. «Tout est fait pour inciter les consommateurs à partager l’expérience de la marque, constate Tiphaine Serret. Permettre d’essayer des habits sur place, de goûter les produits, et de demander en direct l’avis de sa communauté.» En la matière, Wayfair, enseigne en ligne spécialisée dans les produits de la maison, va encore plus loin en offrant aux professionnels des réseaux sociaux un appartement haut de gamme, évidemment aménagé avec les meubles de la marque, pour qu’ils puissent réaliser leurs shooting et leurs vidéos. Une proposition entièrement gratuite que les influenceurs peuvent réserver en ligne. «Depuis août 2018, la marque a déjà recueilli plus de cinq millions de mentions sur Instagram, sans aucun sponsoring», assure Roxane Baché. 



La peur de rater quelque chose

Comme sur les réseaux sociaux, les tendances se défont aussi vite qu’elles se font. Dès lors, les retailers aspirent au renouvellement constant de l’aménagement de leurs boutiques. Objectif: créer la nouveauté, l’étonnement, susciter la curiosité… Le magasin Story, toujours à New York, ferme trois semaines tous les trois mois, pour changer toute sa scénographie intérieure, du sol au plafond, et même ses collections. « Un vrai parti-pris qui cartonne. Si le manque à gagner est important, il est largement compensé par le pouvoir d’attraction énorme qu’il génère. Pouvoir d’addiction même, à rapprocher du phénomène Fomo (la peur de rater quelque chose) sur les réseaux sociaux », indique Roxane Baché. Dès lors les pop-up stores apparaissent comme le support idéal pour développer une stratégie autour d’Instagram. « L’aspect éphémère permet de jouer sur la rareté et l’exclusivité, mais il va surtout autoriser les marques à tester et expérimenter, explique Ajmal Noorahamad, account manager chez Storefront, société spécialisée dans la privatisation d’espaces commerciaux pour des événements éphémères. Une autre tendance intéressante voit émerger des collaborations inattendues entre des marques que tout oppose. À l’instar du rapprochement inédit entre Pacman et Paco Rabanne, pour un pop-up store parisien en juin dernier, qui mêlait références aux années 80 du célèbre jeu vidéo, et les tons noir et or chromé à l’image du parfum One Million. «Ce type de partenariats est conçu pour provoquer un choc esthétique. C’est aussi l’occasion de fusionner deux communautés sur les réseaux sociaux», ajoute Ajmal Noorahamad.

Les réseaux sociaux ont bouleversé le parcours client, le magasin n’est plus forcément le lieu de l’achat, de la transaction, mais il est devenu source d’inspiration, de partage et de communication. « Il y a quelques années, internet représentait une menace pour le retail physique, le consommateur ayant de plus en plus tendance à se fournir sur les marketplaces où toutes les enseignes sont mélangées et anonymisées… Dans ce contexte, les marques ont besoin de se refaire une beauté, de se rendre attirantes, à la fois en ligne et hors ligne. Le point de vente doit devenir immersif, divertissant, et sceller une relation forte entre la marque et son consommateur », entrevoit Ajmal Noorahamad.

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