Fictions
Succession, The White Lotus, The Chair, Nine Perfect Strangers... Les fictions de la rentrée tirent à boulets rouges sur les nantis, le "white privilege" avec aussi, en leur sein, une critique parfois acerbe de la "woke culture".

Trop dure, la vie. Shane est ulcéré parce qu’on a attribué la suite « Ananas », qu'il convoitait, à un couple d’Allemands. Quinn est terrifié de ne pas survivre en vacances sans sa tablette, son ordinateur, et son smartphone, emportés par les vagues alors qu’il dormait sur la plage. Nicole ne sait pas comment aménager la chambre d’hôtel familiale pour qu’elle fasse bonne impression – ni trop clinquante, ni pas assez feng shui – pour ses réunions Zoom avec la Chine. Sa fille Olivia, étudiante dans une université de l’Ivy League, ne cesse de lever les yeux au ciel, effarée par le manque de conscience sociale de ses géniteurs. Tout en cherchant désespérément son sac à dos perdu, rempli de substances illicites.

C’est ce que l’on appelle des problèmes de riches. The White Lotus, série HBO diffusée cet été sur OCS se livre à un jeu de massacre en règle de ses personnages, des privilégiés en goguette dans un resort de luxe à Hawaï. Pendant ce temps-là, le petit personnel morfle. Armond, le patron de l’hôtel, se fait harceler par Shane, décidément prêt à toutes les bassesses pour décrocher la fameuse suite « Ananas ». Belinda, responsable du spa, ne cesse de prêter une oreille secourable à ses clients, jamais avares d’une névrose. Tout ça va finir mal, forcément mal.

Charme discret de la bourgeoisie… On attend comme le lait sur le feu la troisième saison de la brillantissime Succession, relecture shakespearienne de la vie des 1% les plus nantis, tandis que Nine Perfect Strangers, série de Prime avec l’omniprésente Nicolas Kidman, explore les lourds secrets de protagonistes fortunés (une ancienne star du football américain, une influenceuse, une autrice à succès…) dans une retraite spirituelle californienne.

En cette rentrée, la lutte des classes fait les délices de la fiction. Rien d'absolument nouveau sous le soleil du capitalisme. "Upstairs/Downstairs" : c'est ainsi que les Anglo-Saxons qualifient ces oeuvres qui confrontent les maîtres (en haut) et les valets (en bas) - une dénomination héritée d'une série britannique des années 70, et qui a fait le succès de Downton Abbey, par exemple.

Simple procédé scénaristique ? « Selon moi, ces nouvelles séries vont au-delà de la simple révélation des failles des riches, que l’on retrouvait déjà dans des séries comme Big Little Lies ou The Undoing, estime Ténée Diouf, account manager chez BETC, notamment sur le budget Canal+. Ce qui les rend fascinantes, c’est cette critique assez subtile du « white / wealth privilege ». Elles parviennent à mettre en scène des personnages antipathiques qui cristallisent tout ce qui ne va plus dans notre société. On prend alors un malin plaisir presque cathartique à regarder se dérouler sous nos yeux ces critiques acerbes mais toujours subtiles des « problèmes de riches » ». Comme une renaissance de l’un des maîtres du genre : l’abrasif Claude Chabrol et ses bourgeois bien sous tous rapports au vernis toujours prêt à craquer. Avec une dimension intersectionnelle en sus.

Caricature woke

« Ce qui est relativement nouveau, c’est de critiquer ouvertement le « white privilege », abonde Lennie Stern, fondatrice de l’agence Folks Theory. Une récente série sur le monde de la finance, Industry, met en scène Harper Stern, jeune femme racisée qui provient d’un milieu super populaire, et confronte tous ses collègues blancs à leurs privilèges. Dans Succession, alors qu’on suit des ultrariches complètement hors-sol, l'un des fils, Roman, part en stage de management dans un milieu beaucoup plus divers, et comprend, l’espace d’un bref instant, à quel point il fait partie des nantis. »

Des nantis qui ont non seulement beaucoup d’argent, mais ne sont pas avares de leurs opinions. Sur tout, si possible avec un ton sentencieux. A l'instar d'Olivia, la fille gâtée de The White Lotus, qui ne cesse de chapitrer ses parents sur leurs réflexes sexistes, racistes etc., tout en martyrisant sa copine racisée- à a fois un faire valoir. « Mike White, l’auteur de The White Lotus, montre effectivement, dans sa critique sociale, des personnages qui veulent à tout prix être « woke » alors qu’ils profitent du système. », relève Christelle Murhula, journaliste indépendante spécialiste notamment des séries.

The Chair, intéressante minisérie Netflix sise dans une université américaine fictive, confronte, quant à elle, « white privilege » et « woke culture ». Ji-Yoon, nouvelle présidente de l’UFR de Lettres, se retrouve prise entre deux feux : la caste des professeurs blancs vieillissants jaloux de leurs prérogatives, et les étudiants « woke », hautement inflammables. La situation devient ingérable lorsque Bill, prof et ami de Ji-Yoon, fait un salut nazi en classe pour dénoncer l’absurdité du fascisme. « Je me demande si la « culture woke » ne souffre pas de son pendant malheureux, la « cancel culture ». C’est peut-être pour cette raison qu’elle finit aujourd’hui par agacer, analyse Ténée Diouf. Oui, le personnage de Bill dans The Chair est problématique quand il a ce geste malheureux. Reste que ce qu’il partageait à ce moment-là à ses élèves est pertinent. Méritait-il d’être « cancelled » d’un revers de la main ? La « culture woke » devient alors une caricature d’elle-même et on perd toute la force de ce mouvement pourtant si important, qui a permis de réveiller les consciences et de changer les représentations dans les séries (Dear White People, Atlanta, Pose, Euphoria…), justement. »

A cet effet, Christelle Murhula cite en exemple Insecure, une série HBO qui diffusera en octobre sa quatrième saison. « La « woke culture » y est complètement intrinsèque. Elle montre la vie ordinaire d’une femme noire (et de son entourage) ce qui, déjà, la rend exceptionnelle. Et quand il s’agit d’aborder des problématiques comme les violences policières ou encore la gentrification, c’est fait de manière totalement naturelle… »

En France, en revanche, on est encore, comment dire… encore loin du compte ? « Finalement, dans notre société dont le sujet est d’éveiller à l’égalité des classes, je trouve qu’une série comme Camping Paradis fait finalement un bon boulot, souligne Lennie Stern. Baron Noir met également bien en avant les inégalités sociales, sexistes… Mais on ne s’est pas vraiment emparé de sujets comme les inégalités hommes/femmes, l’ascenseur social en panne… J’attends une série sur les Gilets Jaunes ! ». A vos pitchs !



 

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