Marketing
L’émotion, la créativité, l’engagement… Des concepts chers aux communicants et aux services marketing des marques. Donnant la parole à des spécialistes internationaux, le livre Mange ta soupe !, qui sort la semaine prochaine, les remet en perspective. Morceaux choisis.

Et vous, votre raison d’être ? Aujourd’hui, les marques sont de plus en plus nombreuses à établir la leur. Grand bien leur fasse ? Dans un livre appuyé sur les contributions d’experts internationaux du marketing et de la communication, Vincent Balusseau, ex-Publicis aujourd’hui professeur en marketing à Audencia et Wiemer Snijders, associé de la société de conseil en marketing The Commercial Works, intervenant à Audencia, remettent les choses à plat. Quitte à aller à rebours de certaines pratiques et discours ambiants. Dans l’ouvrage Mange ta soupe ! 20 experts internationaux aident les marques à bien grandir, à paraître le 22 septembre chez Dunod, ils se repenchent sur les grandes lois de la croissance des marques, les règles de l’efficacité publicitaire ou encore la publicité digitale à l’heure du Big Data, par le prisme de la recherche en marketing. Balayant plusieurs idées reçues au passage. En voici quelques-unes.

 

1. Où l’on interroge l’importance des gros clients. L’un des réflexes du marketeur peut être de prioriser les investissements en direction de ses plus gros clients. Or – c’est le postulat de départ du livre, dont découlent tous les autres enseignements – la croissance d’une marque dépend de sa capacité à toucher tous les acheteurs de la catégorie, et en particulier la masse de « petits » acheteurs qui connaissent peu la marque voire s’en fichent totalement et consomment (très) occasionnellement. « En moyenne, 45% des bases d’acheteurs des dix plus grandes marques sont constituées d’individus ne les ayant achetées qu’une seule fois seulement », écrivent Wiemer Snijders et Charles Graham, maître de conférences en marketing à la London South Bank University, en se basant sur une étude menée sur 220 marques dans 22 catégories et sur une durée de cinq ans, pilotée par ce dernier. Autrement dit, trop pour se permettre de ne pas les prendre prioritairement en considération.

 

2. Où l’on désacralise la création d’engagement sur les réseaux sociaux. Engager ses communautés sur le digital en misant sur l’organic social, les contenus gratuits postés sans mise en avant payante, permet de toucher un public déjà abonné ou fan. Mais augmenter ce niveau d’engagement ne fera pas croître la marque, qui aura besoin pour cela de viser bien au-delà. « L’erreur fondamentale (…) consiste à faire de l’engagement – de sa mesure à son optimisation – l’objectif central en social media marketing », indique Jerry Daykin, spécialiste du marketing, ex-Mondelez, Carat et Diageo, aujourd’hui chez GSK. D’autant que selon une étude de 2012 de Datalogix, société œuvrant dans la data depuis rachetée par Oracle, « 90% des ventes provenaient de personnes qui n’avaient pas interagi avec les publicités », rappelle-t-il. Les annonceurs ont donc tout intérêt à rationaliser les dépenses occasionnées pour générer likes et commentaires. « Ce qui compte est le reach, complète Vincent Balusseau. Consacrer son énergie à la création de contenus en organic sans amplification par le paid n’est pas très efficient. »

 

3. Où l’on remet en question la nécessité de se différencier. En revendiquant leur modernité, leur authenticité, leur coolitude… Les marques aiment à se proclamer différentes. La réalité, c’est que les petits acheteurs ne verront pas, sur ce plan, la nuance entre deux produits de même catégorie. « Plus que l’image de marque, la mère de toutes les batailles, c’est la disponibilité mentale ! », affirme Vincent Balusseau. Autrement dit, la capacité à être associé à des moments de consommation dans l’esprit des gens. De ce point de vue, le fameux purpose, composante de l’image de marque, n’est pas si essentiel. Spécialiste de l’application au marketing des découvertes de la psychologie et des sciences comportementales, Richard Shotton a co-initié en 2015 une étude où mille consommateurs devaient associer des marques à des idéaux. « Si ces raisons d’être leur correspondaient réellement, les consommateurs auraient peut-être été capables d’associer le “bon purpose” à la bonne marque. Or, seules 6% des personnes interrogées ont reconnu BlackBerry, 10% Mercedes et 21% Moët & Chandon, respectivement », avait-il constaté. Le propos général n’est pas de dire que le purpose est inutile mais de mettre en garde contre certains excès.

 

4. Où l’on relativise le primat de la créativité et de l’originalité. Partant du principe que les petits acheteurs connaissent peu une marque, que la mère de toutes les batailles est la disponibilité mentale, le plus percutant pour les services marketing sera de parvenir à laisser une trace dans l’esprit des consommateurs. Ce qui passera par l’utilisation d’assets distinctifs comme un logo, des couleurs, une mascotte, un jingle. Ce n'est pas que la créativité est inefficace, loin de là : il s’agit de préférer la répétition dans la créativité à la créativité à tout prix, pour capter l’attention de la cible tout en s’assurant que la provenance du message est claire, sans quoi même une créativité à toute épreuve tomberait à plat. « Les nouveaux positionnements, messages, design, signatures ne fonctionnent que s’ils sont utilisés dans la durée et de manière systématique, dans une logique de création de lien avec les autres assets existants, et en vue, in fine, de renforcer les structures mémorielles de la marque dans le cerveau des gens », précise Kate Waters, directrice de la stratégie au sein de la chaîne britannique ITV. « La meilleure com est celle à laquelle on ne doit pas penser », appuie Wiemer Snijders.

 

5. Où l’on met l’émotion à distance. Pour séduire un consommateur qui ne s’intéresse pas à soi, déclencher des émotions est souvent l’option privilégiée. Cela permet de créer de l’attention pour le message et de favoriser sa mémorisation. Mais si la marque n’est pas directement associée dans le récit à l’émotion, cela ne présente aucun intérêt business. Budweiser, lors d’une publicité diffusée au Super Bowl 2015, en a fait les frais. Le spot mettait en scène une amitié entre un chien et un cheval, sans référence ou lien avec la bière si ce n’est le logo à la toute fin. « Alors que tout le monde a craqué sur les chiots, “ils n’ont eu aucun impact sur les ventes”, comme l’a résumé le vice-président en charge du marketing US chez A-B InBev, Jorn Socquet », cité par Phil Barden, ex-Unilever, Diageo et T-Mobile. L’important, c’est de faire comprendre ce que l’on vend. Comme pour le purpose, le client ne doit pas y penser trop longtemps…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.