Société
Avec le «vocal fry», parler avec une voix de clopeuse était presque bien vu dans les années 2000. Désormais, c’est la voix aiguë voire enfantine qui a le vent en poupe. Retour sur cette tendance qui n’en est plus une.

Vocal «fry», pour friture. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une nouvelle recette de cuisine. Ce terme évoque en réalité une technique vocale consistant à faire grésiller sa voix. Ce phénomène n’est pas nouveau, il émerge en 2009 aux États-Unis avec l’arrivée très médiatisée de femmes telles que Britney Spears, ou les nouvelles influenceuses de Calabasas, les soeurs Kardashian. Le Monde allait même jusqu’à nommer ce phénomène «La voix de l’Amérique». À chaque prise de parole, ces femmes usent du grésillement, dégoulinant sur une voix nasillarde. D'un point de vue pratique, cette technique consiste à comprimer ses cordes vocales pour parler deux octaves au-dessous de sa fréquence normale.

À la suite d’un binge-watching intensif de séries pour midinettes, de type Cruel Summer ou Search Party, le constat est sans appel. Les personnages féminins usent et abusent de cette voix rauque et craquée. Une des actrices de Search Party, Shalita Grant, revient sur cette obligation dans une interview pour Refinery29 : «Quand j'ai eu l’audition pour le personnage de Cassidy, elle était décrite avec une friture vocale. Je ne regarde jamais L'incroyable famille Kardashian... Ce n'est pas mon délire. Je lui portais déjà un jugement. Pour cette raison, il était important d'aller de l'avant et d'apprendre. J'ai recherché la psychologie derrière cette friture et j'ai appris que ces femmes n'essayent pas en réalité d'élever leurs voix, elles essaient de la faire baisser et l’astuce repose sur la pression que vous exercez sur vos cordes vocales. Les garçons le font aussi, mais avec notre filtre patriarcal dans les oreilles, nous ne l'entendons qu'avec les femmes. Derrière cela, il y a une psychologie : paraître plus professionnelle avec une voix grave.»

En 2010, la linguiste Ikuko Patricia Yuasa consacrait à cet «anti-falsetto» une étude et parlait de «nouveau genre de voix féminine.» Elle est perçue comme «hésitante, non agressive et informelle, mais également comme instruite, dénotant un mode de vie urbain et une mobilité sociale ascendante», ajoute l'autrice. Les adeptes de cette voix niaise gagneraient donc en crédibilité. Un faux-semblant déguisé? Malgré leurs apparences, souvent décrites par le public comme «bimbos» ou «superficielles», certaines de ces femmes sont néanmoins à la tête d’empires. Même si en 2014, l’Université de Duke publiait l’étude «Serial vocal fryeuses», prouvant le contraire. Les femmes qui grésillent trouveraient plus difficilement du travail.

 

French fry

Elizabeth Holmes a choisi quant à elle de se défaire de toute superficialité pour arborer un look austère très boyish. Cette CEO, connue pour son escroquerie avec l’affaire Theranos, fascine autant qu’elle irrite. En tapant son nom sur Google, les premiers résultats mènent directement sur sa voix. La rend-elle plus grave ? Est-elle fausse ? Les montages audio et vidéo vont bon train pour démontrer sa fourberie. «Il y a une vidéo d’elle en pleine interview où elle est en permanence en vocal fry jusqu’au moment où sa voix naturelle reprend le dessus. Elle a une seconde de flottement avant de reprendre sa voix friturée. Cette affaire a été un point de bascule pour la renaissance du phénomène, même si les gens n’en parlent pas tant que ça sur les réseaux sociaux», souligne Jean-Baptiste Bourgeois, directeur des stratégies de We Are Social. 

 

Le vocal fry, tellement 2000 ? «C’est suranné. Je pensais qu’on avait fait le tour du sujet dans les années 2000-2010. Il est lié à une culture, à une esthétique. La voix de Britney Spears dans Hit me baby one more time résume bien le phénomène avec cet imaginaire de la bimbo tout autour. En revanche, ce stéréotype de caricature, je l’observe beaucoup moins aujourd’hui», avance Nicolas Pochitaloff, senior planneur chez Publicis Luxe. À en croire Jean-Baptiste Bourgeois, cette tendance du vocal fry semble bien trop installée dans l’imaginaire collectif. Après une veille des réseaux sociaux, il affirme que peu en font mention, encore moins en France «car les Français ne sont pas dupes». Cécilia Gabizon, vice-présidente d’ETX Studio, affirme quant à elle qu’il existe un vocal fry à la française. «Chez les hommes, les syllabes frottent, avec des invariants dans les tons. On parlera plus d’un phénomène de quartierisation, émergeant des banlieues, où les “r” et les “s” sont appuyés plus que de raison. Prenez l’exemple de Marseille, il y a beaucoup de mots et d’expressions issus d’un mélange entre l’Arabe et le Français, où le fameux “frère” prend une nouvelle allure de vocal fry.»

  Voix non-genrée

La fréquence est un indicateur de genre. Habituellement, les femmes adoptent une voix à 200hz quand les adeptes de vocal fry la porteront à 100hz, au même niveau que les hommes donc. En remontant le temps, les époques ont fait jouer différents timbres. Ils sont un indicateur des codes sociaux et de l’environnement. La voix peut être haut perchée comme les actrices des années 50-60, elle peut être grave à l’image des journalistes dans les reportages télé afin de donner cet effet “drama”. La génération Z semble prendre un tout autre chemin. «Si pendant toute la moitié des années 2010, on était sur le vocal fry, l’inverse se produit actuellement. Dans un sketch du Saturday Night Live, Elon Musk joue un docteur et se moque de la nouvelle génération en les imitant avec des voix toutes douces, fluettes. Pour pousser la recherche et observer ce phénomène, je me suis refait toutes les vidéos Vogue avec les stars du moment, Thimotée Chalamet, Zendaya... et il est vrai que les jeunes vont vachement dans l’aigu. Les mèmes à la mode sur les réseaux sociaux sont d’ailleurs passés du “Suh, dude” (quoi de neuf, mec) dicté d’un ton très lancinant et grave au “chiche” qui part dans les aigus», affirme Nicolas Pochitaloff. Chez ETX Studio, plateforme d’information sonore, leurs recherches les mènent vers une voix de plus en plus neutre. «Sur la demande des marques, nous travaillons sur des voix jugées agréables, dont la voix non-genrée, qui se cale sur une fréquence médiane à 150hz. Nous réduisons les marqueurs sexuels et c’est à l’internaute qui reçoit le sonore de percevoir le genre de la voix», avance Cécilia Gabizon. Finalement, le phrasé varie en fonction des nouveaux porte-paroles, ceux qui ouvrent la voie à d’autres voix. 

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