Rétrospective
À l'occasion des 50 ans de Stratégies, Jacques Séguéla, cofondateur de l'agence RSGC et grand publicitaire, se souvient de cinq décennies de pub, de l'opulence des agences des seventies à la révolution tech des années 2010.

Cinquante ans à peine, 50 ans déjà, la pub nous a glissé entre les doigts et tu en as été le héraut et le héros de chaque instant. Aux esprits chagrins, Nietzsche professait : « Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde ». Cette musique, tu nous l’as redonnée à chacune de tes parutions, à chacun de tes scoops. Mais quel charivari en un demi-siècle pour en arriver à l’évidence : la pub a été, est, et restera le talent des idées qui font sens. C’est notre crédo chez Havas, la meaningful difference.

Je me souviens des seventies, les agences yankies opulentes et méprisantes, nous narguaient en brandissant leurs copies stratégies qui toutes lavaient « plus blanc que blanc » jusqu’à la transparence. Les rebelles Feldman, Brochand, Dru, Michel, dents longues et haleine fraîche mordaient l’establishment dans tes colonnes irrespectueuses. Que serions-nous devenus sans toi.

Stratégies, je t’aime.

Je me souviens des eighties, ce temps où la publicité est soudain devenue culte, les annonceurs courageux, les créatifs inventifs, les consommateurs amoureux de nos frasques, tu nous as soutenus. Entre nous, mon cher Strat, tu as été notre meilleure pub.

Stratégies, je t’aime.

Je me souviens des nineties où le Dieu Créa, soudain en disgrâce, fut détrôné par la déesse de la morale, oubliant en route le seul culte qui compte, celui de la différence. Mais toi tu n’as jamais cessé d’être ailleurs et autrement.

Stratégies, je t’aime.

Je me souviens du changement de siècle, en fait de millénaire. Notre société de consommation mua d’un coup en société de médiatisation et l’image de marque en culture marque. À nouveau tu nous as montré le chemin.

Stratégies, je t’aime.

Je me souviens de cette dernière décennie où la révolution du tout tech a pris d’assaut le trône à son tour, hélas en oubliant que tech sans affect n’est que ruine de l’homme et tech sans idée ruine de la publicité.

Stratégies, je t’aime.

N’en déplaise aux éternels grincheux, le consommateur a toujours eu viscéralement le besoin de se shooter à l’imaginaire. Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des rêves. La pub c’est l’émotion, l’émotion des pleurs, l’émotion des rires, l’émotion des choses de la vie. Mais créer, est en plus se laisser aller à la démesure, puis, redescendre sur Terre pour maîtriser son délire. La création est un saut en chute libre, mais tu as su nous le rappeler mon cher Strat : les figures y sont imposées.

Stratégies, je t’aime.

Et nous voici comme tous les dix ans à nouveau en question. Ne nous trompons pas de révolution. Le covid a tué les Terriens, mais pas les idées. Il a obligé nos annonceurs à vacciner leurs marques à la solidarité, la générosité, la collégialité. Quelle chance le retour sur soi, sur la famille, sur la nature. Voici venu le temps de recréer l’espoir.

En avant, Strat.

Tu dois plus que jamais nous aiguillonner. Quittons cette ronde endeuillée de la peur pour celle endiablée de l’espérance. Libérons nos énergies et nos envies, nos pensées et nos idées. Réhabilitons notre créativité endormie par la pandémie, retrouvons la raison d’être de la publicité : donner l’envie d’avoir envie. Si l’homme n’avait pas eu le désir fou de voler, il n’aurait jamais inventé l’aéroplane. Les crises sèment le doute, chacun se réfugie dans la raison, mère de la rigueur. À l’inverse, dans un fracas de liberté retrouvée les sorties de crise nous offrent ce moment de grâce : nous réinventer. Au feu cette paralysie de la joie de vivre que nous cultivions hier à longueur d’éclats de voix, d’éclats de rire, d’éclats de vivre, d’éclats de pub. Au feu ce commerce muselé, cette économie assistée, cette créativité castrée. Redonnons à nos marques leurs ailes du désir et rendons-les intemporelles. Une marque naît d’une idée, mais elle ne dure que si cette idée a su lui donner une âme. Seule l’âme est immortelle.

C’est leur supériorité sur nous, humbles passants de l’existence. La vie est si belle, la vie est si courte et d’abord la mienne. Croquons-la à pleines dents, à plein cœur, à pleine créa.

« Si la matière grise était plus rose nous aurions moins d’idées noires »

Ce n’est pas moi qui le dis, mais mon créatif préféré, Pierre Dac.

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