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En tournée en Europe, Troy Ruhanen, CEO de TBWA Worldwide, explique son plan de modernisation du réseau d'Omnicom et sa vision de l'évolution du métier.

Quel est concrètement le rôle du CEO de TBWA Worldwide?

Troy Ruhanen. Mon premier travail en arrivant en 2014 a été de redynamiser l'identité de TBWA, en commençant par moderniser notre concept de disruption qui existe depuis vingt-cinq ans. Beaucoup de gens utilisent ce mot, souvent à tort et à travers. A nous de lui redonner encore plus de force. Ma seconde mission est d'apporter plus d'innovation dans le groupe. Quand je suis arrivé, nous avions un comité de direction composé de six personnes. Ça ne m'a pas paru très moderne à l'heure des réseaux sociaux. J'ai tout changé et créé un groupe de 40 à 50 personnes, pas seulement des CEO, mais aussi des créatifs, des planneurs stratégiques, des data analysts... et de différentes régions du monde. Trois fois par an, nous nous réunissons pendant trois jours. Les présentations ne doivent pas excéder 25 minutes. Cela doit nous permettre, dans notre métier où les innovations sont incessantes, d'être en alerte permanente. C'est aussi le moyen de casser tous les carcans bureaucratiques d'un réseau international. Notre boulot est d'être le plus proactifs possible pour nos clients.

Au-delà de cette organisation, qu'est ce qui a changé depuis que vous êtes à la tête de TBWA?

T.R. Nous avons lancé en 2015 «Disruption Live» destiné à faire émerger des idées disruptives pour nos clients de TBWA. Bien plus qu'une newsroom classique, cela permet d'être à l'écoute de tout ce qui est nouveau à travers le monde, et pas seulement via les réseaux sociaux mais aussi au travers de la presse, de recherches académiques, de livres, de créations artistiques... L'objet étant de proposer des idées nouvelles à nos clients. Un des outils de cette nouvelle démarche est Backslash, lancé en juillet 2016. C'est un support de contenus produits par les équipes de TBWA partout dans le monde. Notre agence à Los Angeles en extrait le meilleur chaque jour pour réaliser et diffuser une vidéo quotidienne de trois à quatre minutes à l'ensemble des salariés du réseau, sur des secteurs particuliers (voyages, divertissement...) ou des thèmes transversaux (statistiques démographiques, tendances de consommation par groupes d'âges...). Nous en sommes déjà à plus de 200 vidéos.

Quelques mois après le lancement en France de TBWA Groupe, réunissant neuf agences sous un seul P&L, quel premier bilan en tirez-vous ?

T.R. Nous avons lancé cette nouvelle organisation en octobre-novembre 2016. Et déjà nous pouvons dire que nous avons obtenu de très bons résultats avec une croissance de 3,5% de l'activité. Mettre tout le monde autour de la table facilite énormément les choses pour trouver les bonnes solutions.

D'autres marchés ont-il adopté ce principe d'organisation au sein du réseau ?

T.R. L'Australie travaille sur le sujet. Les activités de cinq à six agences en shopper marketing, relations publics, production et innovation digitale ont été intégrées avec l'agence publicitaire. Amsterdam est aussi engagé sur ce type de projet. Tout comme la Belgique. Mais à ce jour, la France est le pays qui a fait ce changement à la plus grande échelle. A terme, l'idée est de développer ce type d'organisation partout dans le réseau où cela sera pertinent. Mais la structure ne fait pas tout. Les talents restent le nerf de la guerre.

Envisagez-vous d'acheter une agence en France comme vous l'avez fait en février dernier en Grande-Bretagne avec Lucky General ?

T.R. Cette acquisition, comme celles que nous faisons habituellement, est d'abord basée sur les talents et pas seulement sur les clients… qui vont et viennent. Ce rachat s'inscrit dans un contexte particulier où notre agence à Londres connaît depuis cinq ans des difficultés. Ce n'est pas le cas ici en France, qui est notre premier marché en Europe. Nous avons pu le faire ailleurs, comme en Allemagne voilà trois ans, en rachetant Heimat. Mais l'essentiel est de trouver le bon partenaire.

Craignez-vous que le Brexit ait un impact sur votre activité et celle du marché publicitaire outre-Manche?

T.R. Pour l'heure, il n'y a pas d'impact. Cela ne s'est pas traduit par une baisse des investissements publicitaires, au contraire. Certaines entreprises envisagent toutefois de quitter le pays. Si cela arrive, il y aura évidemment un impact sur notre activité. C'est un peu comme aux Etats-Unis depuis l'élection de Trump. Il plane une forme d'incertitude, mais pour l'instant la consommation n'a pas fléchi. En fait, l'économie se porte bien. Je crois surtout qu'aux Etats-Unis comme en Grande Bretagne, en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas où des élections sont aussi prévues, les gens attendent avant tout un profond changement. Nous sommes la société de la disruption et je pense qu'aux États-Unis, la bureaucratie de Washington, bien trop lourde, va entrer dans une phase de disruption. Je pense que Trump peut contribuer à cette nécessaire restructuration. Mais c'est encore trop tôt pour juger de l'impact de ces changements.

Que vous inspire l'état de la France dans ce contexte électoral ?

T.R. Que 40% des Français soutiennent Marine Le Pen montre les défis qui attendent la France et cette énorme attente de changement. Mais la France est un pays plein de ressources. Au dernier CES de Las Vegas, si vous regardiez les dernières innovations, hors Etats-Unis, elles viennent pour l'essentiel d'Israël, de Russie et de France. Il y a énormement d'entrepreneurs très innnovants et très créatifs dans ce pays. Et c'est primordial pour notre métier. 

Le fait de collaborer avec des clients high tech comme Apple, Airbnb, Intel ou Netflix change-t-il la manière de travailler d'une agence comme la vôtre?

T.R. Oui, complètement. Ils sont dans le business, ce sont des entrepreneurs et surtout ils ont un mode de fonctionnement entièrement orienté vers l'innovation et vers l'expérience produit. Autre avantage quand vous travaillez avec ce type de clients, vous êtes directement en contact avec la direction. Les décisions se prennent vite et en permanence. On est très loin des processus bureaucratiques! Dans notre secteur, nous attendons encore trop longtemps avant de prendre des décisions. Le consommateur, lui, n'attend pas. Je pense que c'est ce vers quoi notre métier doit aller: plus de souplesse, plus de rapidité, plus de confiance. 

Entre les sociétés technologiques et les grands cabinets de conseils, comment voyez-vous l'avenir des groupes de communication?

T.R. Je suis confiant. Evidemment, la lutte avec ces sociétés est parfois rude, notamment pour le recrutement des nouveaux talents. Ils ont certes l'argent pour les attirer. Mais généralement, ils n'y restent pas. Au bout de deux ou trois ans, ils partent. Les cultures sont trop différentes. La place du marketing et de la création dans ces grandes structures reste au bout du compte toujours marginale.

Vous étiez en première ligne lors du projet de fusion entre Omnicom et Publicis. Aujourd'hui, diriez-vous que ce rapprochement était une bonne idée ?

T.R. Si l'opération s'était conclue, cela aurait été très intéressant en termes de complémentarité des deux entreprises. L'effet de taille aurait été un atout, sans nul doute. C'était une vraie opportunité. Mais de toute évidence, la philosophie de chacun des deux groupes était trop différente. Omnicom croit en ses marques et dans la formation de ses talents. Aujourd'hui, les deux groupes ont choisi des chemins très différents. Publicis n'a pas donné la priorité à ses marques comme Saatchi ou Leo Burnett. Ils sont concentrés sur Sapient et le digital. Je ne dis pas qu'ils ont pris le mauvais chemin. C'est différent de ce que nous faisons. Un rapprochemement aurait aujourd'hui beaucoup moins de sens. 

Parcours

Juillet 2014. President et CEO de TBWA\Worldwide

Septembre 2013. Executive vice president d'Omnicom Group

Juillet 2011. Chairman et CEO de BBDO Americas

Août 2009. Deputy chairman de BBDO North America

Décembre 2004. Managing director de BBDO New York

2000. Managing director de Leo Burnett Sydney

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