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Un temps boosté dans les festivals par de nombreuses campagnes fantômes, le Brésil reste aujourd'hui encore une référence mondiale en matière de création publicitaire.

«La publicité brésilienne se porte bien depuis une trentaine d'années. Car la créativité dans la publicité, mais aussi dans la musique ou dans l'art en général, fait partie de notre ADN», s'enthousiasme Carlos Evangelista, qui fut directeur artistique au sein de plusieurs agences brésiliennes et qui est désormais installé à Paris, où il est directeur de création digital de Mediagong (Leo Burnett). La preuve : les campagnes brésiliennes sont régulièrement primées lors de festivals internationaux et en 2013, le Brésil était le 4e pays le plus primé au Gunn Report).

 

L'une des campagnes emblématiques de l'année dernière est d'ailleurs brésilienne. Il s'agit de la publicité «Real Beauty Sketches» réalisée par Ogilvy Brazil pour Dove, qui a remporté de nombreux prix, dont neuf lions d'or à Cannes ainsi que le Grand Prix dans la catégorie Titanium.

 

Rien de surprenant pour Hugo Rodrigues, chief operating officer et chief creative officer de Publicis Brasil, Salles Chemistri et Publicis Dialog : «Personne ne gagne à la loterie sans avoir acheté de ticket ! Nous, les Brésiliens, savons bien cela et c'est pourquoi nous inscrivons beaucoup de campagnes aux festivals internationaux. Mais aucune ne gagnerait si elles n'étaient pas bonnes. Nous vivons dans un pays gigantesque et multiple, avec des cultures variées et riches. Il est donc naturel que les campagnes qui sont capables de surmonter tous les challenges soient saluées à l'international.»

 

Pour autant, les agences brésiliennes n'ont pas toujours évité la facilité, pour ne pas dire plus, en présentant de nombreux «ghosts», ces campagnes jamais diffusées et faites spécialement pour les festivals. «Quand je travaillais au Brésil, au sein des agences, il y avait une partie des équipes qui travaillait pour les clients et l'autre sur des publicités destinées à décrocher des prix. Mais ce n'est plus vrai aujourd'hui», explique Carlos Evangelista.

 

Ce que confirme Ricardo Chester, directeur de création de l'agence indépendante Africa (15 lions à son actif): « Il n'y a plus de campagnes fantômes aujourd'hui. C'est trop dangereux en termes de réputation pour les créatifs, les agences et les réseaux.»

 

«La fin des ghosts» n'a manifestement pas bridé la créativité brésilienne. «Nous parlons beaucoup, nous sourions beaucoup, nous dansons beaucoup, nous chantons beaucoup, nous ne sommes pas timides et nous aimons raconter des histoires. Ça aide un petit peu», résume Ricardo Chester. De ce côté-ci de l'Atlantique, Andrea Stillacci, président-fondateur et directeur de la création de l'agence Herezie qui a beaucoup travaillé avec le Brésil lorsqu'il était chez JWT, estime pour sa part que «les publicités brésiliennes sont très humaines».

 

«Chaque fois, ils trouvent des insights simples et vrais, qui peuvent fonctionner au-delà de leurs frontières, ajoute-t-il. Ils ont une forte capacité à raconter des histoires à travers des images, comme pour la campagne de Getty Images par Almap BBDO [qui raconte une histoire d'amour en utilisant simplement les vidéos issues de leur banque d'images]. Si les Brésiliens utilisent les innovations technologiques pour déployer leurs idées, ils ont moins peur que les Français de jouer sur les émotions avec des publicités simples.»

 

Un point de vue partagé par Carlos Evangelista. Selon lui, «les créatifs brésiliens n'hésitent pas à produire des publicités qui font rire, qui énervent... Il suffit de regarder “Kombi Last Wishes”, la campagne d'Almap BBDO pour saluer le départ en retraite du Combi Volkswagenpour s'en convaincre.»

 

L'innovation et la créativité brésiliennes s'expriment aussi dans les stratégies médias. Depuis des années, les agences locales ont développé le placement de produit dans les telenovelas, notamment pour promouvoir des produits de grande consommation. Ainsi, Kellogg's avec son agence JWT Brazil a utilisé ces séries très populaires pour faire entrer dans les mœurs la pratique du petit déjeuner, inexistante jusqu'alors.

 

«Il est impossible de comprendre le consommateur brésilien sans parler des soap operas. Le placement de produits dans ces séries touche un très grand nombre de personnes», explique Hugo Rodrigues. D'ailleurs, dans ce pays où les habitants passent en moyenne chaque jour 5 h 28 devant la télévision, les deux tiers des investissements médias sont consacrés à la télévision, selon l'agence médias Magna Global.

 

«Malheureusement, ces placements de produits sont trop intrusifs et pas du tout subtils, nuance Hugo Rodrigues. Dans une scène, par exemple, un homme peut se rendre à la banque pour retirer de l'argent mais finit par rencontrer le directeur et avoir une longue discussion avec lui sur les avantages d'être un client de cette banque. Il n'y a pas de vérité humaine dans une scène comme ça, qui semble vraiment hors contexte

 

L'un des obstacles au rayonnement des publicités brésiliennes réside dans la langue, en premier lieu lorsqu'il s'agit de s'adresser à l'Amérique du Sud. Mais le problème tend à se résoudre du fait que les créatifs n'hésitent pas à utiliser davantage les images que les mots pour se faire comprendre à l'international. De même, la mise en avant de problématiques locales dans les publicités brésiliennes nuit à leur exportation. Selon Carlos Evangelista, «certaines publicités n'ont plus de sens une fois sorties du pays. Or nous avons beaucoup de publicités locales, bien plus qu'ailleurs. Beaucoup de campagnes intéressantes ne gagnent pas de prix à l'international car personne ne les comprend... comme cette publicité réalisée l'an dernier pour Fiat, qui rassemble tous les éléments d'une campagne locale : la langue, la musique, le choix du musicien, l'idée de lier une voiture au foot.»

 

(sous-papier)

 

Un air de samba sur la Croisette

 

Cette année, le Brésil sera à l'honneur lors du Festival international de la créativité de Cannes : le jeudi 19 juin sera consacré à la créativité brésilienne («Brazil Day»). Un choix dicté par le Cannes Report 2013, qui «a placé le Brésil comme le deuxième pays le plus créatif du monde [après les Etats-Unis] et Sao Paulo comme la ville la plus créative du monde, avec 114 lions au total pour les agences brésiliennes», explique Philip Thomas, chief executive officer du festival.

 

Toujours selon le Cannes Report 2013, le Top 20 des agences de publicité est composé de cinq agences brésiliennes (Ogilvy Brazil en 1re position, Almap BBDO 3e, Y&R Sao Paulo 11e, DDB Brasil 13e et Leo Burnett Tailor Made 14e). Sans oublier que, selon le Top 10 des meilleurs directeurs de création pour 2013, cinq d'entre eux sont brésiliens: Paco Conde, Roberto Fernandez et Anselmo Ramos (Ogilvy Brazil), Luiz Sanches et Bruno Prosperi (Almap BBDO) sont les dignes héritiers de Marcello Serpa (Almap BBDO), Washington Olivetto (WMcCann) et Nizan Guanaes (DM9 DDB).

 

A Cannes, le «Brazil Day» donnera la parole à plusieurs créatifs brésiliens, notamment Fred Gelli, creative director chez Tatil Designing Ideas, Chuck Porter, cofondateur et président chez CP+B, Mauricio Mota, fondateur de The Alchemists, Laura Chiavone et Marcelo Páscoa de DM9 DDB.

 

Focus. Le Wave Festival

Depuis 2007, le Brésil dispose de son Festival latino-américain de la création, le Wave Festival, qui se tient habituellement mi-avril au Copacabana Palace, célèbre hôtel de Rio de Janeiro. «Ce festival prend de l'ampleur depuis deux ans, depuis qu'il intègre d'autres nationalités dans les jurys. Lorsque je travaillais encore au Brésil, le Club de création de Sao Paulo [équivalent du Club des DA] était plus important que le Wave Festival. Aujourd'hui, la tendance s'inverse», explique Carlos Evangelista, directeur de création digital de Mediagong.

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