Supplément régions

Après des années de stagnation, les réseaux publicitaires réinvestissent les régions. Il s’agit à la fois de se rapprocher des clients et de s’adapter à la révolution des modes de travail.

Croissance à deux chiffres, recrutements à la hausse, ouverture d’agences… En région, les voyants de l’activité des réseaux sont au vert. Leur implantation n’y est pas récente. Ces enseignes, à commencer par Havas et Publicis, ont franchi le périphérique pour accompagner leurs clients du secteur automobile, Peugeot et Renault. Cela les a amenées à développer des structures locales il y a déjà plus de trente ans, à l’image de Publicis, présent dans le Nord depuis 1989. Mais au fil des années, la donne a changé. « Il y a eu une période compliquée dans les années 2010 où l’on avait le sentiment que la volonté des grands acteurs en région était d’aller chercher des agences à Paris », remarque Nicolas Zunz, vice-président de Publicis France.

Persuadé que ces clients allaient ­finir par se lasser de n’avoir de talents qu’à Paris, Publicis a fait le dos rond, maintenant ses positions avant de passer à l’offensive. Sa stratégie ? Installer des avant-postes de ses enseignes phares dans les trois régions où le réseau est déployé. À Lille, outre l’agence de ­publicité Publicis Lille, le groupe dispose ainsi de bureaux ­Carré Noir, Razorfish, Publicis Media Connect et Publicis Consultants, sans compter les équipes data d’Epsilon. À Lyon, aux côtés de Publicis LMA, on trouve Carré Noir, Publicis ­Consultants et Publicis Media Connect, avec des antennes à Annecy, Nancy et Marseille. La volonté de se déployer est la même dans l’arc atlantique (Nantes, Brest, Rennes et Bordeaux). « Nous créons ces avant-postes pour les clients qui n’ont pas envie de passer leur vie dans le TGV. Les faire venir à Paris, c’est une vision dépassée, il faut se rapprocher d’eux », estime Nicolas Zunz.

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Cette politique décidée avant la crise sanitaire a donné naissance au campus Publicis à Wasquehal, dans la banlieue de Lille. Inauguré en novembre 2021, il regroupe, sur 5 000 m2, 400 collaborateurs de l’agence. De son côté, le rival Havas n’est pas en reste. Président d’Havas Factory, l’agence de créative production d’Havas France, François Barral assure que « les clients nationaux à forte identité régionale ou régionaux sont très attachés à notre présence locale ». Havas Factory est implanté à Lille, Reims et Rennes avec une centaine de collaborateurs, autant que sur ses sites parisiens. Pour lui, « une implantation en région est un atout à l’heure de la relocalisation de la production en France ». « Sous la pression de délais très courts et de budgets serrés, la production de masse a eu tendance à être offshorisée en Europe de l’Est, voire en Inde ou à l’Île Maurice. Ce modèle basé sur une main-d’œuvre bon marché a atteint ses limites, avec des soucis de qualité qui rebasculent une charge de travail chez les clients et une dépendance dont on a pris conscience pendant le covid et avec la guerre en Ukraine », estime-t-il.

La solution est venue de la technologie. Havas a déployé avec le cabinet Polyconseil une plateforme nouvelle génération, Pacha, dédiée à la production des plans d’actions commerciales des distributeurs. « La valeur ajoutée de la technologie permet de compenser très largement le différentiel de coûts avec l’offshore », assure François Barral. Le gain récent du budget Castorama semble valider son intuition. « Ce client avait souffert d’une production délocalisée et il a été sensible à des équipes opérant cette plateforme en région », indique-t-il.

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Au-delà du lien de proximité que les réseaux cherchent à établir avec leurs clients régionaux, leurs têtes de pont en province se développent sous l’effet d’un second phénomène : la révolution du travail. Accélérée par le covid, elle débouche sur la possibilité, pour les collaborateurs des agences parisiennes, de travailler à distance en province [lire page 38]. Dentsu, le troisième grand réseau après Publicis et Havas à opérer en région, a mis en place un accord qui permet à ses employés de choisir le nombre de jours qu’ils veulent passer au bureau et à la maison. Sur les 1 000 employés du groupe japonais en France, 80 % passent aujourd’hui la moitié de leur temps en télétravail. « En termes de productivité, nous avons gagné en moyenne, par employé, 25 heures de temps de transport sur un mois », se félicite Pierre Calmard, président de Dentsu France. Les conséquences s’en ressentent sur les six bureaux du réseau, à Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux et Toulouse. Une centaine de collaborateurs de Dentsu travaillent aujourd’hui dans ces antennes. « Le nombre a presque doublé en deux ans et le mouvement n’est pas fini », note le patron. Même constat chez Publicis : 600 de ses employés, soit près de 15 % des effectifs du groupe, sont désormais basés loin de Paris. « Nous voulons donner la possibilité à nos collaborateurs de travailler pour Publicis partout en France », plaide Nicolas Zunz.

La présence régionale permet aussi de résoudre une partie des difficultés de recrutement. « Le marché parisien des talents est tellement disputé, et parfois même hors de tout contrôle, que cela nous permet de faire un pas de côté. À Lille aussi, il y a des écoles de digital ou de design et tout autant de talents qu’à Paris », estime le vice-président de Publicis France. Avec ce nouveau rapport au travail, les bureaux locaux deviennent hybrides, avec des employés travaillant pour leurs propres clients locaux ou en soutien de budgets gérés de Paris. Directrice générale adjointe d’Havas Media, Caroline Le Moal gère les bureaux déployés par son agence, sous la marque Havas City, à Toulouse, Lille, Lyon, Marseille et Nantes. Elle pointe une autre conséquence de cette révolution du travail. « Élargir une zone d’activité ne passe plus forcément par des acquisitions immobilières. Nous pouvons très bien nous développer vers Bordeaux depuis notre bureau de Toulouse ou vers Nice depuis Marseille », estime-t-elle. Chaque entité Havas City compte aujourd’hui entre dix et vingt employés. Ils partagent parfois leurs bureaux avec ceux d’Havas Factory, comme à Lille. Parmi ces collaborateurs de province, une dizaine « d’expatriés », des Parisiens installés depuis le covid en région. « On se sert aussi de nos bureaux locaux pour réinventer le rapport au travail », ajoute-t-elle en faisant état d’une croissance de 10 % de l’activité d’Havas Media en région sur les deux dernières années grâce, notamment, à une « dynamique new biz particulièrement marquée ».

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