Supplément RSE

Malgré l’éveil des consciences sur les questions de responsabilité et la montée en compétences des groupes de communication traditionnels, les agences expertes de la RSE restent assez sereines.

Après avoir un temps tenu face à la RSE la posture de la poule devant un tournevis, puis celle d’un publicitaire du XXe siècle devant une nouvelle tendance, les grandes agences de communication intègrent peu à peu ce nouveau champ dans leur organigramme. Tractées par une poignée d’agences pionnières – L’Agence Verte (1992), Sidièse (1999), Limite (2003), Mieux (2009)… – et accompagnées depuis 2008 par une commission RSE à l’AACC, elles joignent aujourd’hui le geste à la parole. Avec plus ou moins de dextérité.

« Les agences se sont mises en ordre de bataille, comme le prouve le succès du référentiel RSE Agences actives qui labellise 94 agences, confirme Gildas Bonnel, président de Sidièse et de la commission RSE de l’AACC. Elles sont très demandeuses de conseil et de formation. Il y a une saine émulation, même si toutes n’ont pas encore pris la pleine mesure du rôle d’agent de transformation que nous pouvons être. » Signal fort, certains poids lourds du secteur, déjà obligés depuis la loi NRE de 2001 de s’intéresser à la RSE, ont entamé leur mutation d’agence responsable, à l’image d’Havas, intégrant en 2021 L’Agence Verte, ou de BETC, incitant ses clients à pratiquer la compensation carbone sur ses tournages. Surtout, l’engagement de Publicis est très prononcé, porté par un département dédié et actif.

Cette bonne nouvelle pour la communication, les marques et les consommateurs qu’elles entendent servir aurait aussi pu sonner comme une alerte à l’endroit des agences pionnières, voyant leur avantage concurrentiel se banaliser dans les agences comme l’est devenu le digital, mais il n’en est rien. « Accompagner le secteur dans sa transition est un pilier de ma feuille de route RSE, reprend Gildas Bonnel. Contribuer à faire bouger l’écosystème est également de notre responsabilité. »

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Altruistes et décomplexés, donc, partenaires plus que concurrents aussi – tous avouent ne croiser les grandes agences que dans le cadre de collaborations –, ces communicants viscéralement responsables fonctionnent sur un logiciel différent de leurs homologues traditionnels et RSE friendly. « Le développement durable peut être une compétence, mais il est avant tout une façon de regarder le monde, quelle que soit sa fonction dans l’entreprise. Il faut donc un nouveau modèle d’agence, confirme Thomas Parouty, fondateur de l’agence Mieux. Ici, tout le monde est expert sur les sujets RSE, la gouvernance est construite sur un modèle horizontal et paritaire. Tout le monde joue collectif, avec des niveaux d’expérience et des talents variés mais avec le même niveau d’engagement. »

Suivant une autre philosophie, généralement dotées d’un statut d’entreprise à mission et d’une vraie raison d’être, ces agences profitent aussi de leur modeste taille pour relever les défis de la communication responsable. « Le gros sujet, c’est la formation des équipes, rappelle Laurent Terrisse, fondateur de Limite. Il est plus facile d’intégrer les changements dans de petites structures de 10 ou 35 personnes qu’avec 150 ou 1 000 collaborateurs. » Luc Wise, fondateur de The Good Company, ajoute : « Contrairement aux grandes, nous n’avons pas besoin d’un département chargé d’acculturer le reste de l’agence. Ici, tout le monde, du comptable au créatif, est responsable RSE. » Un détail qui peut faire la différence à l’heure où les annonceurs multiplient les critères de production, d’achat ou de gestion responsables dans leurs process de sélection d’agences.

Dans leur nouveau modèle, les agences RSE se sont affranchies de certaines obligations, comme accepter des conditions de travail ou des objectifs de campagne peu responsables lorsque le gain ou le maintien d’un budget est en jeu. « Une grosse agence doit conserver un niveau d’activité et de profit, elle est parfois contrainte de prendre un budget parce qu’elle en a besoin. Nous avons gardé cette liberté de pouvoir dire non, observe Gildas Bonnel. Le sujet des actionnaires est très intéressant quand on interroge le champ de la responsabilité de la publicité, intrinsèquement liée à un système capitaliste libéral. »

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Celui-ci est aujourd’hui remis en question. « Quand on est obligé de cracher du pognon pour un actionnaire qu’on ne connaît pas et qui ne nous connaît pas, on ne peut pas être responsable, estime Luc Wise. Chez nous, tous les CDI sont automatiquement actionnaires de la boîte, quel que soit leur poste. On peut mieux servir les clients quand les collaborateurs sont impliqués, motivés et ont une forte culture RSE. Je suis prêt à dire non ou à staffer plus que nécessaire, quitte à rogner sur nos marges, pour avoir un boulot bien fait. »

Peu inquiètes quant à la concurrence, les expertes RSE reconnaissent cependant la nécessité de garder un temps d’avance, de rechercher les signaux faibles pour anticiper les grands sujets comme l’ont été le digital responsable, le carbone, l’inclusion… « Il faut continuer la formation pour être capable d’intégrer les nouvelles contraintes, les directives européennes… ajoute Thomas Parouty. Nous devons aussi être en pointe sur l’innovation marketing à impact pour accompagner nos clients sur la création de produits et services alternatifs lorsque leur offre n’est pas responsable. Sans oublier, bien sûr, la créativité. » Un avis partagé par Luc Wise : « Il faut apporter de la créativité dans la responsabilité. Nos agences étaient surtout reconnues pour leur expertise RSE, mais nous avons besoin de créativité pour gagner la bataille et faire du good le nouveau cool. »

Et Gildas Bonnel de conclure : « Ce n’est pas parce qu’on imprime sur du papier recyclé et qu’on fait des événements écoconçus qu’on est un agent de la transformation. La première strate est importante. Après, ce qui fait la transformation culturelle d’une entreprise, c’est le fait d’être en holacratie [où le mode de décision est collégial et la répartition des responsabilités est commune à tous]. Notre mode de gouvernance est différent, la culture d’entreprise est nourrie de façon singulière… C’est pour ça que nous n’avons et n’aurons pas les mêmes réponses. »

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