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Nouvelles façons de tourner, de monter et demain de créer des images : le secteur de la production est confronté à une révolution technologique qui touche toutes les étapes de la conception d’un film. Un article également disponible en version audio.

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Fini les tournages à l’autre bout du monde pour aller trouver du soleil en plein hiver ? Pas encore, mais le développement rapide des studios virtuels pourrait bien, à terme, bouleverser les pratiques de tournage. Ces studios virtuels sont des murs à leds qui permettent de projeter sur un fond des images animées ou fixes. « Vous filmez ou vous shootez des produits ou des acteurs devant ce fond et vous avez l’impression qu’ils sont dans l’image », vante Frédéric Trésal-Mauroz, CEO de Prodigious.

Une série diffusée sur Disney+, The Mandalorian, a été tournée de cette manière, pour un résultat plutôt bluffant. « Créer un décor virtuel permet d’optimiser les coûts et le bilan carbone. On économise 80 % des émissions entre une campagne délocalisée à l’autre du bout du monde et une autre tournée en région parisienne dans un studio virtuel », note Antoine Clergeot, directeur de l’innovation de Prodigious. En 2021, ce producteur a réalisé pour la Licra le film « Démasquons la peur » en utilisant la technique du studio virtuel pour répondre à la problématique d’un tournage de nuit dans les rues de Paris et éviter les contraintes liées à la météo ou aux autorisations.

Il y a deux ans, Frenzy Paris avait aussi utilisé un studio virtuel pour un film Nina Ricci mode. Pour Elsa Rakotoson, CEO de Frenzy Paris, il est illusoire de se dire qu’on peut obtenir les mêmes conditions qu’en décor naturel. « Notre film était très immersif, avec des images aquatiques. L’idée était de créer des images qu’on ne pouvait pas avoir sans cet écran. Ce n’est pas venu en remplacement, mais comme une perspective créative nouvelle », estime la productrice.

William Blanc, chargé de la production publicitaire chez Quad, insiste sur les limites de l’exercice. « Si l’on voulait mettre une voiture dans le désert d’Atacama, on pourrait, mais aucun projecteur n’est en mesure de reproduire la puissance de la lumière du soleil. Comme une automobile, c’est un miroir, les points chauds sur la carrosserie sont impossibles à reproduire. On aura des reflets parasites et des images dont on va sentir qu’elles ne sont pas organiques et prises sur l’instant », note-t-il. La technique a donc encore des progrès à faire. Mais déjà, avec la 3D en temps réel, on peut déclencher un mouvement de caméra et le décor bouge en même temps, sur le principe des jeux vidéo, où l’environnement change quand le personnage se déplace.

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Le montage fait face lui aussi à une révolution technologique. Les outils intégrant l’IA se multiplient, permettant d’automatiser une partie des tâches. « Ces outils s’installent sur l’intégralité du workflow de production. Nous en utilisons partout où il y a une possibilité de gagner en productivité sur des tâches répétitives et liées à une exécution pure et dure, sans valeur ajoutée en termes de craft », note Antoine Clergeot. Chez ce producteur, le sujet est l’une des priorités de l’année, avec une approche agnostique en matière d’outils. « Nous n’avons pas d’outils propriétaires, nous allons chercher ceux qui conviennent selon les cas de figure », précise-t-il.

Ce marché sur lequel se positionnent Adobe et Microsoft attise les convoitises. Olivier Reynaud, l’un des cofondateurs de Teads, spécialiste de la vidéo publicitaire en ligne, a créé Aive, une start-up qui se fait fort de mettre à disposition, même des non-experts, une solution pour automatiser la déclinaison d’assets. Son intelligence artificielle créative vidéo et audio décompose une vidéo en datas, ce qui permet d’automatiser toutes les étapes de la post-production. « En quelques clics, on peut créer une version courte d’un spot d’une minute avec l’audio qui s’adapte automatiquement. L’intelligence artificielle fait elle-même la sélection, explique son travail, et livre un score créatif pour vérifier que la vidéo est optimisée au format demandé, par exemple un format vertical de 15 secondes pour TikTok », détaille Olivier Reynaud, qui vise producteurs, agences, télévisions ou créateurs de contenus.

À cette intelligence artificielle utilisée pour la post-production s’ajoute aujourd’hui celle dite « générative », qui permet cette fois, à partir d’un texte, de créer des images. Pas un seul producteur, aujourd’hui, ne se désintéresse de la question. Des outils comme Midjourney sont déjà utilisés, pas encore pour de la création proprement dite mais au stade de la maquette ou du story-board. « On utilise l’IA pour mettre en place des univers vers lesquels on veut aller, l’outil est génial pour ça », relève William Blanc. « Nous avons une dizaine de collaborateurs qui promptent [qui utilisent l’IA générative], avec quatre ou cinq outils différents, la combinaison de plusieurs est parfois nécessaire pour créer des visuels ou de la vidéo », note Antoine Clergeot, qui n’a toutefois pas prévu de recruter de « prompteur » en tant que tel. Prodigious a aussi développé en interne Talkbox, un générateur de voix de synthèse pour les formats digitaux.

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Pour l’instant, mis à part une campagne Renault pour les 30 ans de la Twingo sur les réseaux sociaux, qui a demandé au public d’imaginer sa propre version du véhicule grâce à l’IA, cette dernière n’est pas utilisée en création. « Fabriquer des images à partir de quelques mots, c’est très tentant mais pas encadré en termes de droits. On ne peut pas se permettre de jouer au petit bonheur la chance et se retrouver avec des ayants droit qui vous tombent dessus », affirme Maxime Boiron, CEO de TBWA Else. « Il manque un cadre légal sur la propriété des images, pas question d’en utiliser pour une campagne client », confirme Jérôme Houdry, directeur général de 87seconds.

Représentée par La Pac, la réalisatrice Lisa Paclet s’est essayée à l’IA, avec l’outil Dall-E2, pour un film personnel, « Midnight Interviews », et travaille sur un clip en IA pour le label de musique Ed Banger. « Je préfère apprivoiser l’outil plutôt que de me dire qu’un jour je n’aurai plus de travail », s’amuse-t-elle. « C’est un outil nouveau mais pas autre chose qu’un outil. Quel est le talent qui s’en sert ? La question reste toujours posée », rassure Jérôme Denis, CEO de La Pac.

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