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Quel est l’impact de l’inflation du cloud sur les investissements digitaux ? Si les acheteurs disent ne pas la ressentir, les adtech la ressentent fortement. Pourquoi de telles dissensions ?

Tout augmente, tout augmente… même ce qu’on ne voit pas. Le cloud non plus n’est pas épargné par l’inflation. Dès 2022, la plupart des grands fournisseurs ont fait grimper leurs tarifs face à la hausse des prix de l’énergie. Le cloud, c’est essentiellement de l‘électricité que ce soit pour les serveurs, ou surtout leurs circuits de refroidissement. Impossible pour lui de passer à travers la hausse généralisée. En Europe, dès 2022, OVH et Scaleway ont augmenté leur facture d’environ 10 %. Idem pour Amazon, et Microsoft, qui ont annoncé des hausses de tarifs. Côté Google, si on se prévaut d'avoir pu limiter l'inflation énergétique, les tarifs ont tout de même augmenté en mars 2022, suite à un réalignement des offres. Pour des raisons différentes, donc, l'inflation est générale cette année. Une hausse qui s’est d’autant plus fait ressentir que le dollar a grimpé face à l’euros, alourdissant la facture pour les entreprises européennes qui sont hébergées sur des serveurs américains. « Au total, la hausse du prix du cloud oscille entre 10 et 30 % selon les zones géographiques », résume Christophe Collet, fondateur et CEO de la société de drive-to-store Locala (ex-S4M), qui vient d’investir les États-Unis. Une situation qui, à la longue, devient problématique. « Le cloud, en digital, c’est notre matière première. Avec le salaire des équipes, ce sont nos coûts les plus importants », continue le CEO. Mais au même titre que la sacro-sainte « dématérialisation », on a toujours pensé que le numérique était « gratuit », ou que les frais de matière première restaient largement marginaux. Cachez donc cette inflation que je ne saurai voir ! Ainsi, dans l’écosystème, certains acteurs ne l'entendent pas de cette oreille. « Il est compliqué de pousser des augmentations de prix parce que les agences ne le comprennent pas forcément », assure Christophe Collet. Mais qui peut supporter de telles hausses sans les répercuter ? « Nous avons commencé à faire de l’optimisation de gestion de Cloud », assure le patron de Locala. La pratique consiste à prioriser ce qui doit être stocké ou non, selon les considérations légales. Mais cela prendra du temps.

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En attendant, la publicité numérique peut-elle supporter une hausse des tarifs ? Dans ce secteur ou le ROI fait loi, la moindre augmentation peut avoir de sacrés impacts sur la répartition des budgets. « Chez les éditeurs de presse, le Cloud coûte plus cher, comme le papier. Donc la publicité coûte plus cher ! », estime Christophe Collet. On se retrouve ainsi avec des annonceurs qui voient leurs coûts de production augmenter, des consommateurs qui ont moins de pouvoir d’achat et des coûts publicitaires qui grimpent ! L’équation devient compliquée.

Pour Stratégies, Fabernovel a analysé ses factures pour plusieurs clients (entre 500 000 et 2 millions d’euros d’investissements) entre le deuxième semestre 2021 et 2022, et tenté de vérifier l’impact des hausses. Conclusion : « ce n’est pas si simple de rattacher le coût du Cloud à l’inflation publicitaire. Car dans la majorité des cas, on a affaire à un système d’enchères, dont les prix varient en fonction de la concurrence à un instant « t », des stratégies du client, de la maturité des campagnes, des cibles etc. Il y a tellement de facteurs différents sur les prix qu’il est quasi impossible de comprendre exactement ses évolutions et d’en tirer des généralités », explique Julie Belloto, directrice activation chez Fabernovel. Le simple fait de miser davantage sur le desktop ou sur le mobile a une influence sur les investissements de GoogleAds. Idem sur la maturité des campagnes. « Les stratégies d’optimisation des médias s’améliorent avec le temps, via des algorithmes qui augmentent leur performance au cours des semaines », ajoute la spécialiste.

En se limitant sur le mobile, et en tentant de faire une moyenne « observable », Fabernovel arrive à une augmentation du CPC moyen de 28 % entre le deuxième semestre 2021 et 2022. « Mais cette hausse ne peut pas être directement imputée à l’inflation du Cloud », assure Julie Belloto. Car une partie des investissements s’est davantage focalisée sur Google Shopping, en pleine croissance… qui un coût plus élevé.

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Interrogés, d’autres acteurs, côté achat, affirment qu’il est très compliqué d’observer directement une inflation du Cloud, et affirme qu’elle n’est pas « ressentie ». Pourtant elle a bien lieu, et les acteurs de la chaîne la constatent directement en fin de mois ! Et c’est ici que se situe le point névralgique de cette inflation : « En grande partie, elle pourrait ne pas se voir, et rester invisible », synthétise Julie Belloto. Elle reste diluée dans des paramètres flous, nombreux, que seules des IA sont capables de maîtriser. Beaucoup plus simple à faire avaler, donc… « Aujourd’hui, face à la complexité des variables, plus personnes ne peut passer des journées entières à décortiquer les moindres prix et les pressions d’investissements, assure Cyril Vart, vice-président exécutif de Fabernovel. En quelques années, on est passé de quelques variables simples à des systèmes de variables croisées quasi inextricables. » Mais incalculable ne veut pas dire inexistant.

Seulement, les grandes plateformes ont un avantage de poids. Fabernovel qui s’est spécialisé dans l’analyse du modèle des géants du numérique, l’a appelé « l’infinité ». « C’est la capacité des grandes plateformes de « péréquater » leurs coûts sur différentes lignes clients sans que cela ne se ressente », explique Cyril Vart. Concrètement, un Google multiplie les services ce qui lui permet de diluer les inflations structurelles sur toute sa gamme de produits. La hausse du Cloud, ainsi répartie devient invisible pour le client final. Mais l’open web, avec des plus petites sociétés dédiées, et malgré leurs souplesses, ne peut faire de même. In fine, cette inflation ressortirait donc comme un avantage concurrentiel pour les grandes plateformes, plutôt que pour l’écosystème programmatique indépendant. Et cela aura des conséquences. Confrontés eux aussi à l’inflation, « les marketeurs cette année n’auront d’autres choix que de faire des choix médias drastiques », analyse Christophe Collet. Et dans les stratégies médias digitales, ce sont toujours les plus rentables qui l’emportent.

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