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Entre ceux qui veulent y aller à tout prix et ceux qui ne peuvent pas le voir en peinture, que vaut vraiment le Web3 ? Stratégies fait le point en trois questions. 

Rarement un nouveau concept a été aussi protéiforme, flou, et polémique. Entre ceux qui soupirent dès qu’ils entendent son nom, ceux qui y jettent toutes leurs économies par pur profit, et ceux qui y perçoivent le salut du monde, ce qu’on appelle le Web3 divise l'opinion. La médiatisation de ses expressions visibles (NFT, métavers...) masque en grande partie le changement technologique profond qu’il représente. Pourquoi ? Car il reste peu concret. Le Web3 est encore en version bêta, il foisonne, se cherche, et reste complexe à appréhender. Basé sur le concept de blockchain, il fait peur autant qu’il reste « loin » dans l’esprit du public. À ce déficit de clarté, s’ajoute une scission générationnelle : si 8 % des Français déclarent détenir des cryptomonnaies, ils sont déjà 32 % chez les 18-25 ans, selon le sondage de l’agence Heaven menée avec Sysk en mars 2022, et 34 % de cette tranche d’âge envisage de s’y mettre. De ce hiatus vient l’engouement des marques au risque de s’y jeter trop vite et mal s’y prendre, ou celles qui préfèrent refuser l’obstacle et le reléguer au grenier des idées survendues. Alors que faire ?  

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Qu’est-ce que le Web3 ?  

Le Web3 regroupe tous les services numériques basés sur une technologie décentralisée de gestion de l’information : à ce jour, la blockchain. Contrairement à de l’information stockée sur un serveur appartenant à un unique propriétaire, la blockchain permet « d’éclater » l’information sur un réseau d’ordinateurs, ouvert à tous, tout en la cryptant. On peut voir la blockchain comme un grand livre au sein duquel chacun peut inscrire une information. Tout le monde sait qui y écrit - c’est transparent -, sans savoir ce qu’il écrit - c’est crypté. Chaque fois qu’une opération est effectuée sur le réseau, elle est validée par les ordinateurs qui œuvrent donc à faire vivre la blockchain. Pour les remercier, on les récompense en leur attribuant un « token », un jeton numérique. Ce principe – grandement simplifié ici – de création de jetons, permet de créer de la valeur, et d’en détenir. Cette détention de valeur est à la base des différents services comme une cryptomonnaie, un NFT ou un métavers…

Qu’est-ce que cela change ?  

Cette notion de valeur est au cœur du succès du Web3 et de son nom. « C’est la 3e itération du web. Le Web1, au début d’internet, était un web de lecture, retrace Guillaume Olivieri, directeur associé chargé de l’innovation et des écosytèmes digitaux d'Isobar. Vous aviez un site web pour donner de l’information au public. Les évolutions technologiques, notamment avec le code JavaScript et l’arrivée du smartphone, ont permis de passer au Web2, basé sur l’interaction. Le contenu est devenu la clé, car il créait de la connaissance. En interagissant, en écrivant, vous créez de la donnée, qui était la monnaie d’échange contre un service. Les grandes plateformes se sont monétisées comme cela. Le Web3, lui, vient prendre le contrepied de tout cela : c’est une tentative de réappropriation du net par le grand public. » Cette philosophie, qui consiste à s’opposer à la privatisation du web, à sa centralisation au cœur de grands groupes, est très présente dans les projets de Web3, qui valorisent la notion de communauté. « Aujourd’hui, le web s’arrête à l’échange de valeur. Quand vous devez payer un bien ou un service, vous sortez votre carte bancaire et vous basculez vers un autre univers, décrit Pascal Gauthier, CEO de la licorne française Ledger, qui fabrique des porte-clés sécurisés en guise de portefeuille (wallet) de cryptoactifs (monnaies, NFT...). Le Web3 permet de fluidifier l’échange de valeur. Vous détenez vous-même votre valeur. » Ce changement est fondamental. « Imaginez que vous n’avez plus besoin de banques pour gérer vos actifs, votre patrimoine... Vous l’échangez directement et publiquement en passant par la blockchain », s’enthousiasme un directeur de prospectives de grand groupe français.

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Le Web3 responsabilise l’utilisateur et l’engage en le rendant partie intégrante de la structure. Et c’est cette notion d’engagement qui excite les marques dans le domaine. « Le Web3 est particulièrement intéressant pour la grande distribution. Il offre un grand potentiel pour réinventer la relation avec nos consommateurs en intégrant beaucoup de gamification et l’opportunité de repenser la notion de service client », décrit Nicolas Safis, directeur de l’innovation du groupe Carrefour. Au-delà d’une nouvelle manière d’échanger l’information, le Web3 tisse un nouveau lien entre les utilisateurs et la technologie, en les rendant propriétaires d’un bout de cette technologie. Les marques y voient l’opportunité de nouer un lien plus fort. Ce qui ne sera pas sans conséquences. « L’arrivée de ces nouveaux instruments modifie l’interopérabilité des outils, les flux financiers, et les systèmes de gouvernance. Il faut repenser en partie les dispositifs juridiques », affirme Franck Guiader, directeur de Gide 255, cabinet d’avocats spécialisé en Web3. Quid de la notion de territoire pour une technologie entièrement décentralisée, répartie partout dans le monde ? Si le RGPD, par sa définition assez large ne semble pas remis en cause, « il va falloir compléter les textes pour définir la gestion des risques, les impôts... D’autres questions se posent comme : à qui appartiennent les données créées par un avatar, dans un métavers basé sur la blockchain ? », s’interroge le spécialiste. « Dans le Web2, tout ce que vous avez appartient à un tiers. C’est donc le problème de quelqu’un d’autre », ajoute Pascal Gauthier. Dans le Web3, c’est votre problème.  

Faut-il y aller ?  

« Il est urgent de ne pas se presser », affirme Frédéric Saint-Sardos, vice-président de Havas Play. Entre les déconvenues spéculatives des cryptomonnaies, le rendu graphique parfois malaisant des métavers, le Web3 rebute. « Son abstraction le réserve aux technophiles, déplore Guillaume Olivieri. Et son évolution est coincée sous l’épée de Damoclès de l’expérience utilisateur. » Le Web3 ne pourra se démocratiser sans des interfaces plus fluides, qui intégreront sa complexité tout en matérialisant son nouveau paradigme. Et en répondant clairement à la question encore ténue de ses dépenses énergétiques. Ce qui n’empêche pas des marques de recruter forces spécialistes ou chief metaverse officers. « Aujourd’hui, le Web3 a surtout besoin de temps, prêche Pascal Gauthier. Il va falloir désapprendre ce qu’on a appris. » Au point de faire l’impasse ? « Il faut s’interroger sur son premier pas dans cet univers, dans une vision plus large, dont l’intérêt potentiel ne se limite pas au monde virtuel », ajoute Frédéric Saint-Sardos. « Toutes les marques ne peuvent pas à ce jour prétendre à une place dans le Web3 », tranche Guillaume Olivieri. Mais le besoin de temps n’est-il pas la marque des vraies innovations ?

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Quatre formes du Web3

Le Web3 apparaît aujourd'hui sous plusieurs aspects. Retour en détail sur chacune d'elles.

- Les crypto quoi ? 

Dans la blockchain, les ordinateurs gèrent l’information en réseau de manière décentralisée. Chaque fois qu’ils participent, on les rétribue « virtuellement » avec un « token », un jeton virtuel qui correspond à la valeur de leur participation au réseau. Ces jetons de valeur peuvent alors s’échanger. En faisant cela, vous créez une monnaie. Comme une pièce d’un euro, non unique, représentant une certaine valeur, qui passerait d’une personne à une autre. Selon les différences de fonctionnement entre les blockchains, on retrouve sur le Web3 différentes cryptomonnaies, la première est la plus connue, le Bitcoin, dont le concept est né en 2009, par Satoshi Nakamoto. D'autres, correspondant aux autres blockchains sont nées : les Ethers, sur la blockchain Ethereum, idem avec les Litecoin etc. Au-delà des projets totalement spéculatifs des cryptomonnaies, ou de leur instabilité, elles sont l’actif d’échange de tout ce qui se passe sur le Web3, et peuvent s’adosser à des règles particulières.
Sur la blockchain Ethereum, vous pouvez réaliser une opération qui créera un Token unique. Cette opération est appelée « smart contract ». C’est un contrat pour lequel tous les autres ordinateurs de la blockchain peuvent vérifier la bonne exécution. Ce token de rétribution ne peut pas s’échanger. Il est infalsifiable et attesté par toutes les machines participantes. On l’appelle donc « token non fongible », en anglais, Non-Fungible Token : il correspond au NFT. Vous devenez alors « propriétaire » de ce qu’il représente, que ce soit une image, un film, un gif, ou quelques secondes d’une musique. Cet objet numérique et son propriétaire sont inscrits dans le smart contract.

- La folie des NFT  

À partir du moment où l’on a pu devenir propriétaire d’un objet numérique, des communautés se sont amusés avec le concept, et ont commencé à créer des « collections ». « La première a été Cryptopunk, en 2017. C’était une variation de différentes représentations de petits visages, tous uniques, et réalisés par algorithme, raconte Gabriel Mamou-Mani, un webentrepreneur à l’origine du projet Panda Dynasty, une communauté rassemblée autour de différents jeux, et qui a, lui, réalisé 8888 pandas vendus en NFT en moins de 24 heures. Ces « collections » attirent parfois des internautes qui veulent s’offrir une photo de profil unique, mais parfois des passionnés proches de l’univers du jeu vidéo, qui créent leurs propres règles et constituent une communauté très soudée. On retrouve ici la notion d’engagement et de lien particulier. Car un NFT, au-delà d’un actif numérique est un lien qui évolue au cours du temps : une sorte de carte de fidélité ultra premium. D’où l’engouement des marques, comme Nike, Carrefour, ou des médias comme 20Minutes. « Elles peuvent, sur une portion restreinte de leur clientèle, réfléchir à donner accès à des avantages : évènements, produits, promotions... Il y a derrière aussi une notion servicielle très présente », ajoute Frédéric Saint-Sardos, vice-président de Havas Play. Mais au-delà des collections, ou des marques, les NFT et leurs technologies associées ont d'autres utilité. Elles attestent dans la blockchain – donc publiquement et de manière infalsifiable - de l’appartenance d’un objet à une personne. Ce qui pourra être utile pour les œuvres d’art, les cadastres, ou tout ce qui a besoin d’être authentifier par une autorité.

- Derrière le mot « métavers »

Bien présomptueux est celui qui arrive à définir clairement le concept de métavers. On l’imagine de nos jours comme un univers virtuel, agrémenté de réalité virtuelle, car il s’est développé conjointement aux jeux vidéo. « En réalité, il y a deux types de métavers : ceux de première génération - Seconde Life, les Sims, Fortnite… Des monde virtuels - surtout des jeux vidéo mais pas seulement - au sein desquels on interagit avec un avatar, décrit Nicolas Safis, directeur de l’innovation du groupe Carrefour. Mais on trouve aussi ceux de nouvelle génération, qui eux sont basés sur la technologie blockchain : Sandbox, Decentraland, Roblox…Ces derniers cochent les cases du Web3. On y achète des choses diverses avec des cryptomonnaies. Les objets échangés sont d’ailleurs souvent des NFT. » Ils permettent de devenir propriétaire dans l'univers. « Le plus important dans la notion de métavers, c’est que ce soit un univers ouvert, affirme Guillaume Olivieri, directeur associé pour Isobar. Ce que ne sont pas certaines plateformes. » Il sera alors possible à tout un chacun, en se basant sur le principe d’échange de valeur entre utilisateurs, de créer des services, de vendre des objets numériques etc. Certains y font correspondre la notion de navigateur : si Google Chrome ou Safari permettent d’explorer le Web2 et d’interagir avec les gens, les marques ou les institutions, le métavers sera la fenêtre du Web3, au sein de laquelle on pourra trouver des services. Une chose est sûre, on devra parler des métavers, au pluriel, car ils se baseront sur des communautés différentes, avec des envies distinctes, et des règles de fonctionnement diverses.  

- Le défi de la DéFi  

La possibilité de créer de nouveaux échanges de valeur change radicalement le monde de la finance. Ce nouveau secteur s'appelle la Finance Décentralisée: La Défi. Et si Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, a tiré la sonnette d’alarme, récemment, sur les cryptoactifs, c’est, pour beaucoup de spécialistes, un aveu d’inquiétude. « Cette technologie change les systèmes de gouvernance, car comme la technologie est distribuée, vous détenez une partie du protocole de décision », prévient Franck Guiader, directeur de Gide 255. Les utilisateurs sont de fait inclus dans le processus, comme un droit de vote augmenté. Financement de films, de projets... C’est l’aboutissement du financement participatif. Et ce n’est pas pour rien que le fonds Alven a annoncé avoir levé 350 millions d’euros pour des projets dédiés au Web3, ou que Cathay Capital et la licorne Ledger se sont associés pour créer un fonds spécifique international. « En France, nous avons en moyenne une génération et demie de délai sur ce qu'on voit aux États-Unis, note Denis Barrier, CEO de Cathay Innovation. Mais on observe une forte accélération outre-Atlantique. La réglementation va se mettre en place très vite. » Et affectera fortement jusqu’au monde des fonds d’investissement. « On voit déjà apparaître des fonds entièrement composés de cryptoactifs, qui investissement directement leurs tokens », conclut-il. En voilà un monde !

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