Dossier Événementiel
Voilà des mois que les festivals de musique ne peuvent pas se tenir normalement. Le digital offre une alternative aux organisateurs qui y voient le moyen de faire rayonner l'événement malgré tout. À quelles conditions et avec quel modèle économique ?

2020, pour les festivaliers, aura un goût amer. À cause du Covid-19, impossible, depuis mars, d’assister à un grand concert en plein air. Cet été, une fois encore, le choix aurait dû être pléthorique. Mais, virus oblige, il faudra compter sans les éditions habituelles des Vieilles Charrues et de la Route du Rock, tous deux annulés, ou encore de Rock en Seine, qui promet un « nouveau format original pour 2020 ». Même déroute pour les festivals étrangers avec, par exemple, l’annulation du Burning Man aux États-Unis, converti en digital. Une déception peut-être aussi cruelle pour les organisateurs de ces manifestations. Manque à gagner, risque pour l’emploi, impossibilité d’exercer son activité… La situation, pour eux, est particulièrement compliquée. Dans ce contexte, certains ont choisi de s’appuyer sur le numérique pour expérimenter de nouveaux formats davantage « Covid compatibles ».

C’est le cas par exemple de We Love Green, organisé du 3 au 7 juin de manière dématérialisée. « Nous avons créé une carte interactive pour naviguer dans les contenus : archives, concerts exclusifs, sessions musicales… », explique Marie Sabot, directrice associée du festival combinant musique et conférences. Accessible sur le site WeLoveGreen.tv, cette carte permet de se promener dans différents espaces : concerts, dancefloor, village innovations...

Artistes confinés

Au total, l’événement a réuni 82 000 personnes derrière leur écran et touché 7 millions d’individus (vidéos vues, réseaux sociaux...). À l’instar de We Love Green, d’autres festivals ont également fait ce pari – ou se sont créés sur ce créneau. Ce mouvement a commencé dès le confinement. Du 1er au 7 avril, le festival « Je reste à la maison » a rassemblé une centaine d’artistes (Oxmo Puccino, Yael Naim, Sanseverino…), qui se sont produits en live sur Facebook. Du 21 au 26 avril, le Printemps de Bourges s'est transformé en « Printemps Imaginaire » avec notamment des vidéos livrées par les artistes confinés. Pendant ce temps-là, le rappeur Travis Scott a donné des concerts dans le jeu vidéo à succès Fortnite. Même type de projet pour le groupe Courier Club qui, le 25 avril, a organisé un festival dans le jeu de construction Minecraft. Des initiatives digitalisées ont aussi été prises pour la Fête de la musique, le 21 juin, comme le concert en réalité virtuelle de Jean-Michel Jarre.

Solution palliative, réponse temporaire à une situation sanitaire dégradée ou bien nouvelle expérience, la digitalisation d’un festival doit aboutir à bien plus qu’un concert filmé. « Nous sommes en train de tout digitaliser, confiait fin juin Debby Wilmsen, porte-parole de Tomorrowland, festival de musique électronique prévu les 25 et 26 juillet en numérique. Nous souhaitons que les DJ jouent en live. Nous leur proposons de jouer dans un studio vidéo sur fond vert. Les images sont ensuite converties en 3D pour donner l’impression qu’ils sont sur scène ».

Élargir son public

La digitalisation présente plusieurs avantages. Elle permet de faire parler de soi et d’occuper le terrain médiatique à la période prévue tout en maintenant l’activité, au moins pour les équipes digitales. Elle permet aussi de proposer une expérience un peu différente en imaginant, par exemple, d’autres moyens d’interagir avec les artistes, tout en offrant une solution face à l’impossibilité de voyager. Par ailleurs, elle aide à toucher un public plus large. « Quand Tomorrowland se passe en Belgique, nous vendons 400 000 tickets et sommes sold out, dévoile Debby Wilmsen. Là, il n’y a pas d’âge minimum pour participer et un code [de connexion] est utilisable sur trois appareils. » Des participants sont attendus d’Amérique du Sud, du Mexique, de Chine ou du Japon. Enfin, le digital est adapté pour faire vivre l’événement sur la durée. Par exemple, We Love Green entend mettre en ligne des contenus régulièrement. « Avec Adidas, nous allons tourner une vidéo avec le rappeur Hatik et la mettre en ligne comme un vrai concert », illustre Marie Sabot, qui projette aussi, pour la rentrée, une conférence sur la mode durable avec Kering.

Reste que le format n’est pas facile à monétiser. Billetterie classique, abonnement à une plateforme, partenariats avec des marques, publicités, pourboires via des start-up comme TipeeeStream : plusieurs options sont possibles, même si le modèle économique reste à structurer. Avec des initiatives comme United We Stream, il est même possible de faire un don et d’assister à des livestreams de DJ. Une solution qui apparaît, cependant, peu pérenne. En attendant, dans les faits, certains festivals ont commencé par « demander aux collectivités publiques et aux sponsors de ne pas récupérer leurs fonds, et aux spectateurs de ne pas demander le remboursement de leur place par solidarité, pour une question de survie », détaille Emily Gonneau, directrice de Nüagency, agence de communication digitale spécialisée musique et culture. Certains événements ont également proposé un report des billets pour 2021.

Droits d’auteur

En pratique, il est compliqué de faire rester des partenaires lorsque le retour sur investissement promis en physique et en digital n’est pas le même ou que, autre problématique, des adblocks peuvent être utilisés contre les publicités. Autre aspect à prendre en considération, toute captation de concert implique de payer des droits d’auteur et de reproduction à l’artiste et à son écosystème (éditeur, label…). « La Sacem s’est vite investie et les artistes auront en 2021 des revenus sur le livestream, selon sa durée et son nombre de vues », rappelle Maxime Thibault, responsable innovation et transition énergétique au sein de l’Irma, centre d’information et des ressources sur la musique. We Love Green, par exemple, ne s’y retrouve pas. Selon sa directrice, environ un million d’euros de frais étaient engagés lorsque l’annulation est survenue. 300 000 à 400 000 euros ont été rassemblés pour l’événement dématérialisé, un différentiel potentiellement fragilisant pour le festival. « Au-delà, il s’agit de faire vivre une marque », explique la manager, qui a pu s’appuyer sur une dizaine de partenaires dont trois quarts privés et un quart publics.

Autour de la monétisation, c’est tout un écosystème qui s’est renforcé. « Yurplan, MyOpenTickets Labs et Omnilive se sont associés en mai pour créer une plateforme de livestreams monétisés », relate Maxime Thibault. Dice et Shotgun sont aussi présents sur le marché de la billetterie. Pour tous, il reste une inconnue : le fait qu’une éventuelle deuxième vague compromette ou non la tenue des festivals annoncés ces prochaines semaines.

« In real live »

Le digital prendra-t-il le pas sur les événements physiques ? Rien n’est moins sûr… « Avant de parler du format, il faut reparler de l’expérience que l’on cherche à proposer au spectateur », note Emily Gonneau, directrice de l’agence de communication digitale Nüagency. Pour définir cette expérience, chaque festival se posera la question de sa singularité et de ce que les gens viennent y chercher. L’enjeu est aussi de maintenir le lien, les interactions humaines, tout en cultivant un sentiment d’appartenance à travers, par exemple, la création d’apéros festival en amont ou en aval de l’événement. Même si le digital n’interdit pas cela, ce n’est pas la même chose que « la puissance du sentiment d’appartenance qui se crée par le vécu aux côtés de personnes réunies dans un même lieu autour de la même personne, la fascination pour l’artiste et sa manière de s’incarner sur scène, la conscience aiguë de la part du public d’être les témoins privilégiés d’un moment rare (…) », poursuit l’experte dans une tribune publié sur le site Irma.asso.fr. Et ce, même si les masques et les distances de sécurité peuvent amoindrir un peu cette communion collective… La clé réside dans l’adaptation des formats. Un premier concert avec du public a ainsi été autorisé à l'Accor Arena le 19 juin, avec moins de 5 000 personnes, contre 20 000 d'ordinaire. L'événement a aussi été retransmis sur France Télévisions. Une nouvelle façon d’envisager un événement musical.

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