Perspectives
Invité d’honneur de la conférence « Design : les tendances 2022 » le 22 septembre et parrain du Grand Prix du design, Patrick Jouin livre ses réflexions sur le rôle social de son métier.

Quel regard portez-vous en tant que designer sur la crise sanitaire ? Comment le design peut-il aider à traverser cette épreuve ?

Patrick Jouin. Cette crise est une expérience partagée par quasiment tous les êtres humains sur terre en simultané. Cela nous rappelle que nous sommes une communauté humaine fragile. Le design a été une arme contre la flambée de l’épidémie, de nombreuses initiatives ont fleuri dans le monde, comme l’illustration graphique des gestes barrières. Alors que l’on manquait de masques, des designers de toute la planète ont proposé des idées. Le designer a une approche concrète des problèmes et cherche ce qu’il y a de commun dans les solutions. J’ai choisi de faire ce métier justement pour cette dimension du commun. Trouver le compromis juste, celui qui fonctionne pour le plus grand nombre, est un beau jeu intellectuel.

 

Vous-même avez cherché comment maintenir les restaurants ouverts au plus fort de la crise. Quelle a été votre démarche ?

Quand la France est entrée dans son premier confinement, Alain Ducasse m’a appelé pour que l’on réfléchisse à des solutions pour le monde de la restauration. Dès le 22 avril, il présentait au président de la République nos premières ébauches qui consistaient surtout en des paravents et des masques pour les serveurs et pour les clients lorsqu’ils se déplaçaient vers les toilettes. Ces idées étaient inacceptables pour la profession à l’époque… Dans le même temps, le New York Times publiait un article sur la façon dont l’air conditionné d’un restaurant en Chine avait été responsable de nombreuses contaminations. Avec des professeurs de la Pitié-Salpêtrière et un ingénieur, nous avons compris qu’il fallait traiter l’air, comme dans une salle d’opération. Nous avons fait un POC [proof of concept, preuve de concept] dans un restaurant d’Alain Ducasse du 6e arrondissement de Paris, Allard. On a prouvé avec un laboratoire indépendant que l’air était filtré et purifié quasiment à 100 %. Logiquement, ce restaurant n’aurait jamais dû fermer, mais à partir du moment où le gouvernement a décidé la fermeture de tous les établissements, cela n’avait plus de sens de continuer l’expérience.

 

Quelle leçon en tirez-vous ?

Le principe est applicable à tous les restaurants, mais il dépend du volume d’air à traiter. Un grand volume nécessite une grande machinerie, ce qui peut être coûteux. Nous avons beaucoup appris. C’était excitant de tenter d’aider la profession. C’était aussi un challenge de parler de sécurité sanitaire tout en préservant l’atmosphère typique du restaurant. C’est le type de projet que j’adore : le beau qui fonctionne. C’est trop facile de faire du beau qui ne marche pas.

 

La responsabilité du design, c’est également prendre en compte la sauvegarde de la planète. Quelle est la place de l’écoconception dans votre travail ?

Je suis l’enfant d’une génération qui a cru au progrès, qui construisait sans isoler, qui voyait le jetable comme un geste très pratique et hygiéniste. J’ai rêvé de devenir ­designer en écoutant L’Inrockuptible de Bernard Lenoir sur ma petite radio Braun de Dieter Rams. J’ai dessiné une chaise transparente en polycarbonate pour Kartell… J’ai dû réévaluer en profondeur mon amour pour le plastique. Nous designers avons un rôle essentiel à jouer quand nous faisons le choix d’une matière. Les matériaux synthétiques ont des qualités évidentes, mais il faut les utiliser à bon escient. En pleine crise du covid, on apprécie que les seringues soient jetables. Être designer, c’est faire des choix : celui d’une matière, de sa provenance, mais aussi d’une approche constructive des produits. Pourra-t-on les réparer ? Vais-je mettre du placage 6/10 sur un meuble qui ne pourra jamais être reponcé ou plutôt un placage de 3 mm qu’un artisan retravaillera dans cent ans ? Nous devons concevoir des objets qui durent ou qui soient très facilement démontables et recyclables. À chaque étape de la conception d’un produit, le designer est confronté à ces décisions.

 

Vous travaillez par exemple actuellement sur les équipements du Grand Paris Express. Quelles sont vos contraintes ?

Il s’agit de penser des objets qui résisteront à une cinquantaine d’années d’utilisation intense. Nous privilégions la qualité des matières, ce qui se patine plutôt que ce qui s’abîme. Nous pensons au coût global avant tout, quitte à choisir des matières qui ont un bilan carbone moins bon que d’autres, mais qui résisteront plus longtemps. Nous faisons des paris, mais tout est prototypé et testé.

Parcours

1967. Naissance à Nantes.

1992.Diplôme de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI).

1994-1998. Il travaille dans l’agence de Philippe Starck.

1998. Il fonde l’agence Patrick Jouin iD.

2000. Début de sa collaboration avec Alain Ducasse pour le restaurant du Plaza Athénée.

2006. Il crée l’agence Jouin Manku avec l’architecte canadien Sanjit Manku. 2007. Design du service de Vélib’ pour JCDecaux, Grand Prix Stratégies du design.

2011. Compas d’or pour la casserole Pasta Pot d’Alessi.

2021. Il travaille au réaménagement de la gare Montparnasse, des espaces bar et restauration de La Mamounia à Marrakech, du salon Air France du terminal 2F de Roissy-Charles-de-Gaulle, du centre d’affaires Biome à Paris.

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