Enquête

Le Made in France n’est plus vu comme un label aussi prestigieux que par le passé. L’évolution politique d’États d’Afrique de l’Ouest, la concurrence d’autres nations et le sentiment anti-français n’aident pas. Mais les entreprises françaises sont relativement épargnées.

Ce 4 octobre 2022, Olivier Becht, ministre français délégué au Commerce extérieur et à l’Attractivité, inaugure à Bercy la quatrième édition du salon Ambition Africa, destiné à renforcer les partenariats entre les entreprises françaises et africaines. Sous le patronage d’Emmanuel Macron, l’événement voit défiler sur scène les représentants des firmes tricolores comme Société générale, CMA-CGM, L’Oréal, Suez, JCDecaux, Meridiam… « L’ambition que nous portons est de changer le regard que la France porte sur l’Afrique mais aussi que l’Afrique porte sur la France », déclare le ministre. Car ce regard vers l’ancien colonisateur est loin d’être enchanteur. De plus en plus de pays africains semblent prendre leur distance vis-à-vis de la France, pire vis-à-vis de la marque France, autrement dit, d’un système de valeurs.

Témoin, le « french bashing » qui s’exprime de plus en plus ouvertement sur les réseaux sociaux, parfois de façon instrumentalisée chez des opposants politiques ou dans certains milieux. « Sur le terrain, j’observe un sentiment anti-français qui s’est affirmé ces dernières années et je dirais même que la situation empire », constate Marie-France Réveillard, journaliste à La Tribune Afrique.

Des États francophones comme le Mali et le Burkina Faso sont désormais aux mains de juntes militaires qui, malgré un risque djihadiste élevé, contestent à des degrés divers l’intervention de l’ancienne puissance coloniale dans leur sécurité. L’opération Barkhane, qui a pris fin dans sa forme malienne, a laissé des traces qui tendent parfois à assimiler la France à une force d’occupation au Sahel. France 24 et RFI ont aussi été chassées en mars 2022 de Bamako et de toutes les villes maliennes. Le 1er octobre, à Ouagadougou, des drapeaux russes ont été agités par des manifestants et l'ambassade de France s'est retrouvée sous les jets de pierre de certains d'entre eux qui ont également mis le feu à l'entrée du bâtiment.

A l'Est du continent, la Centrafrique est « l’otage du groupe Wagner » comme l’a affirmé Emmanuel Macron, la Guinée semble tourner le dos à « nos valeurs » en étant entre les mains du colonel putschiste Doumbouya, un ancien de la Légion étrangère, citoyen français et marié à une Française. Au Tchad, la reconnaissance par Emmanuel Macron de Mahamat Idriss Déby, chef de l’État après que son père est mort au combat, est vue comme un fait du prince alors que des manifestations récentes pro-démocratie ont fait une cinquantaine de morts à N’Djamena. Sans compter l’idée générale que la France et l’Europe ne se sont pas montrées très solidaires au moment de la pandémie, à la différence des Chinois avec leur « diplomatie du masque ».

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Cet état des lieux n’aide pas à polir l’image de l’Hexagone. Étienne Giros, président du Cian, le Conseil français des investisseurs en Afrique, invite toutefois à ne pas confondre le sentiment anti-Français avec l’image de la France. Ce sentiment est une marque de défiance vis-à-vis du pouvoir politique français mais il n’est pas partagé par la plupart des dirigeants et relève parfois de la manipulation. « Il ne gêne pas les entreprises dans leur vie quotidienne même si c’est un frein pour celles qui ont des projets d’investissement ou sont des nouveaux entrants », note-t-il.

En revanche, l’image de la France est bel et bien une déception dans le baromètre Africaleads, réalisé tous les ans pour le Cian après 2 895 entretiens dans 14 États africains. À la question de savoir quel est le pays qui a la meilleure image en spontané, la France arrive en sixième position (18 %) après les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, la Chine et le Royaume-Uni (en chute depuis le Brexit). Et dès qu’il s’agit de déterminer avec des réponses assistées quels sont les partenaires les plus bénéfiques du continent, elle n’est plus qu’en neuvième position après le Japon, les Émirats arabes unis et la Turquie. La France est néanmoins en hausse en 2022 (+ 6 points) notamment grâce à ses investissements à impact sociétal qui inclut ses entreprises comme son aide publique au développement ou sa politique culturelle.

Étienne Giros voit donc une image double constituée, côté pile, d’un aspect donneur de leçons, d’une présence militaire durable au Sahel et d’une réticence à accorder des visas, et côté face, d'un tissu de ETI-PME et de quelques multinationales reconnues pour leur performance : Orange (seule citée dans le top 10 d’Africaleads), TotalEnergies, Carrefour… Il faut d’ailleurs noter que rares sont les grandes entreprises qui font vibrer la corde tricolore : elles veulent apparaître africaines pour ne pas être taxées de néocolonialisme.

Orange Afrique, avec ses 18 000 salariés, a ainsi un siège à Casablanca, une présidence et un management africains, et seulement une dizaine d’expatriés. Elle souhaite être reconnue pour sa contribution à l’emploi dans chaque pays et à l’écosystème des start-up avec ses digital centers. Atos Afrique, dont 99% des salariés sont Africains, reconnaît de son côté une double identité : « Nous mettons systématiquement en avant notre double nationalité, explique Bérénice Chassagne, head of emerging markets. Elle est un puissant facteur de différenciation vis-à-vis de nos concurrents en Afrique. Mais ce qui compte le plus, c’est la relation de confiance et la proximité qu’Atos Afrique entretient avec l’ensemble de ses parties prenantes ».

Quant à Total, qui est très contesté par les ONG en Europe pour son projet d’oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie qui aura un impact majeur sur l’environnement, elle serait aussi vue en Afrique comme un bon employeur, formant des chefs de station et payant ses impôts.

« L’image des entreprises françaises est plutôt bonne, soutient le président du Cian, elles délivrent de bons produits, les gens sont contents même si l’on trouve qu’on manque un peu d’ambition, qu’on est un peu lents et qu’il est difficile, quand on y est employé, de progresser dans la hiérarchie ». Le retrait de Bolloré Logistics du continent montre néanmoins qu’un développement dans les ports et le rail, qui peut être entaché d’appels d’offres truqués et de commissions, comporte aussi un risque réputationnel. BNP Paribas a aussi annoncé sa volonté de se retirer d’Afrique subsaharienne. « Des groupes, notamment français se retirent, vendent leur participation, un certain nombre se dit que pour l’instant on va mettre le pied sur le frein », constatait Étienne Giros à Ambition Africa. Les raisons tiennent à la perception du risque qui a augmenté depuis la guerre en Ukraine, et ses conséquences alimentaires sur l’Afrique, à la réputation qui peut être entachée par des révélations sur les conditions de travail d’un sous-traitant et, enfin, aux contraintes réglementaires qui n'avantagent pas les entreprises françaises face à des entreprises chinoises ou turques. Les exigences environnementales peuvent ainsi être un atout en matière de RSE mais aussi un handicap face à une Afrique subsaharienne qui ne produit que 2 % du CO2 dans le monde et ne veut pas être soumise à des lois contraignantes.

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« Nous n’avons pas les mêmes standards, mais cela finira par nous servir », veut croire Philippine van Tichelen, directrice associée de Havas International Consulting, qui raconte qu’un appel d’offres du ministère de l’Énergie en Mauritanie a été perdu par l’agence faute d’apporter les « personnels clés » attendus. Elle constate aussi qu’on ouvre les bras aux PME françaises, que les grands groupes comme Veolia ou Total bénéficient d’une bonne image-employeur et qu’il importe de jouer la carte locale. À l’exception des campagnes panafricaines qui peuvent être portées par n’importe quel comédien africain, il est nécessaire, de plus en plus, de parler la langue des pays où se vend le produit. Pour cela, Havas Paris a recours à des binômes via un réseau d’agences partenaires comme ALBG Communication au Sénégal et en RDC, Stratcomm Africa au Ghana. « La montée en compétences des ressources créatives sur le continent ces dernières années est impressionnante », note-t-elle.

Répondre à des populations désireuses d’avoir des produits locaux, c’est aussi le pari que fait Canal+ avec ses quinze filiales et ses 11 millions de foyers équipés d’un décodeur. « Avec les chaînes A+ en Côte d’Ivoire, Sunuyeuf au Sénégal, Maboke en RDC ou Novegasy à Madagascar, le groupe propose aux Africains des contenus qui leur ressemblent », souligne Damien Legeai, directeur marketing, dont la régie Canal+ Advertising cumule trente chaînes (TV5, Novelas, France 24, RFI…) et 47 % de part d’audience cumulée sur les huit pays d’Africascope (+22 % en volume publicitaire au premier semestre). Mais cela n’interdit pas une communication aux couleurs du drapeau tricolore en Afrique : « Quelques annonceurs comme Elle & Vire avec sa Tour Eiffel mettent en avant le fait d’être Français : c’est un signe de prestige, un gage de qualité, ça va inciter à acheter », constate-t-il. La régie est présente en Afrique auprès des annonceurs et des agences avec des managers locaux.

« Les boîtes africaines se tournent vers les Africains », résume François Hurstel, patron-fondateur de l’agence d’influence Concerto, qui a lui-même placé une Camerounaise à la tête de son bureau à Abidjan pour être plus audible. Mais en fait, ne serait-ce pas parce que la marque France n’a plus grand-chose à dire qu’elle n’est plus très en vogue en Afrique ? La vision qu’un pays a de son propre déclin ne retombe-t-elle pas tôt ou tard sur son image ? « Si on veut avoir plus d’influence, il ne faut pas avoir de stratégie d’influence », estime Xavier Desmaison, président du cabinet Antidox. Il s’agit selon lui de soigner une image globale en donnant envie d’imiter un savoir-faire ou de se sentir inspiré par un référentiel. « Il faut travailler le positionnement de la France qui doit revenir à son utilité, à sa raison d’être et à des relations partenariales autour des sociétés civiles qui permettent de retisser du lien », conclut-il. Ce qui n’empêche pas une « stratégie de contre-influence », décidée très récemment contre les fake news par exemple, quand nos intérêts sont menacés.

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