TRIBUNE

[Tribune] Depuis l’explosion des réseaux sociaux, la vivance a changé le jeu pour les marques. Elle force à repenser la réflexion sur l’engagement, en se concentrant sur des stratégies d’affection.

En 2023, près de 5 milliards d’individus ont accès à internet. L’impact est tel que le Haut commissariat pour les réfugiés des Nations Unies déclarait dès 2017 que rester connectés pour les réfugiés «n’est pas seulement une question de survie. C’est la voie vers l’autosuffisance et l’indépendance, vers plus de bien-être et vers la découverte des communautés qui les accueillent».

Nos vies numériques construisent un nouveau rapport à nos existences, à l’autre. L’expérience de converser avec ChatGPT instille un trouble sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas tout à fait. Le moteur de ce nouveau terrain de jeu : la notion de vivance, avec laquelle les entreprises doivent désormais composer.

La vivance, une tentative de définition

La vivance est la traduction française du terme anglais liveness, c'est-à-dire «la qualité ou l’état d’être en vie». Un terme utilisé en informatique, qui commence à être adopté en sciences de l’information et de la communication. Son exemple le plus concret : le «Typing Awareness Indicator» (TAI), lancé en 1997 chez IBM. Il s’agit des fameux trois petits points et indications qui apparaissent quand un utilisateur de messagerie instantané comme Whatsapp est en train de taper un message.

Cette fonctionnalité, qui paraît ordinaire aujourd’hui, a pourtant accéléré la vivance. Un utilisateur peut commencer à ressentir l’autre derrière un écran, à décrypter ses hésitations, sa fréquence de publication, ses doutes, ses émotions, sans nécessairement voir physiquement la personne. De nouvelles habitudes sociales et émotionnelles ont pu se créer autour du TAI : la fameuse «FOMO» (fear of missing out, en français : la peur de passer à côté de quelque chose d’important), qui n’en finit plus d’exploser, les phénomènes de ghosting...

Depuis ces premiers TAI, de nombreux indices ou indicateurs de vivance ont été créés. Sur les plateformes comme Discord, voir qui est en ligne (ou absent) avec des petits statuts sous les noms d'utilisateur permet de créer des habitudes auprès des membres d’un même serveur : connivence, empathie, décryptage de l’état d’esprit d’autres individus. Sur une même logique, le succès de LiveStatus, une application qui permet de partager des contenus via des widgets sur les écrans verrouillés de nos amis, accélère encore cette vivance. Dans le champ amoureux bien sûr, mais également dans le domaine du marketing, avec des stratégies toujours plus extimes.

Pour les marques, la vivance est le nerf de la guerre dans le monde numérique

La vivance, depuis l’explosion des réseaux sociaux, a changé le jeu pour les marques et autres acteurs en ligne. D’abord parce que la vivance implique une forme nouvelle de vie : connectée, et de façon permanente. Cela a bien sûr des incidences pour des sujets prosaïques comme le service client : ne pas répondre à un individu au bon niveau et dans un laps de temps correct peut être perçu comme du ghosting, donc une forme d’irrespect de la marque.

Plus fondamentalement, ce qui fait qu’une marque a un fort impact en ligne auprès de communautés larges n’est pas uniquement sa notoriété ou désirabilité, c’est surtout son capital de vivance. En d’autres termes, sa capacité à compter plus que les autres acteurs en ligne dans la bataille de l’attention, que ce soit des influenceurs, des créateurs, des KOC (Key Opinion Consumers), des clients finaux, des marques concurrentes...

Les marques doivent apprendre à jouer avec les attributs de la vivance. Un exemple intéressant est la marque Vetements, lancée par Demna Gvasalia en 2014. Dès le départ, la marque a créé un univers culturel, des codes (par exemple, la façon dont on prononce son nom), véhiculés non pas seulement à travers des campagnes de publicité mais à travers des communautés d’initiés, jouant le rôle de véritables apôtres (et de gardes-fous) auprès de publics devant mériter l’accès à la marque. Sur Instagram, des comptes privés plus ou moins secrets ont été ouverts, comme Vetements_Uncensored, où chaque nouveau follower devait être approuvé manuellement par la marque, avec la promesse d’être exposé à des contenus plus provocateurs. Une distribution de l’accès à la vivance de la marque à des individus choisis, tout en se reposant essentiellement sur des contenus pris par les fans de la marque eux-mêmes.

Repenser la réflexion sur l’engagement et la culture partagée

Cette logique, on la retrouve auprès de marques ultra populaires dans certaines cours des lycées, comme Minus Twø, qui semblent pourtant passer sous le radar des médias et canaux classiques. Dans les mondes virtuels et autres métavers, c’est précisément ce qui se passe en dehors ou en parallèle de l’expérience elle-même qui leur donne vivance : la discussion sur des forums ou groupes privés sur Discord, le rôle grandissant des avatars. Bref, ce qui permet de maintenir en vie l’expérience vécue.

La vivance est clé également au sens où elle peut circuler. Alors que certains moyens de communication ont un impact dans le temps limité, le fait que des marques - ou des célébrités - puissent capitaliser sur un nombre croissant de followers dans les réseaux sociaux a un intérêt fort afin de réfléchir à plusieurs années la transmission de la force dont elle dispose. La vivance force à repenser la réflexion sur l’engagement (faire interagir) et sur la culture partagée, en se concentrant sur des stratégies d’affection (faire ressentir), voire même à enrichir le storytelling de techniques de deep acting, où les porte-paroles d’une marque ressentent sincèrement l’émotion véhiculée dans leurs messages.

Cette vivance est orchestrée essentiellement via les réseaux sociaux et alimentée par toutes les interactions privées à disposition. Lush, qui avait fait le pari de sortir des réseaux sociaux, a sans doute oublié que le sujet n’est pas les canaux de communication mais la capacité à exister là où des publics clés vivent et se construisent. De quoi ouvrir de belles réflexions sur les love brands et sur la façon dont les marques peuvent transformer les followers en participants, pour reprendre les mots de Cédric Charbit, le patron de Balenciaga.

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