Fini, l’effet waouh. Dans un contexte économique tendu, le secteur de la distribution privilégie les technologies qui améliorent l’expérience client et la productivité. Le défi reste celui de leur adoption par les consommateurs et les employés. Un article également disponible en version audio.

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Une solution de paiement basée sur l’identification des veines de la paume de la main, présentée comme la plus sécurisée au monde ; un outil pour mettre fin au problème de la taille des vêtements commandés, et réduire leur taux de retour de 70 % ; une intelligence artificielle analysant en temps réel les données de ses concurrents pour ne rater aucune opportunité… Voilà quelques innovations présentées lors de la Paris Retail Week, qui a accueilli, en même temps que le Salon international des espaces commerciaux (Siec), 500 exposants et 25 000 visiteurs du 19 au 21 septembre. Cet échantillon de nouveautés montre que le terrain de jeu de la révolution digitale, dans le secteur de la distribution, est vaste. Commerce omnicanal, data, parcours client, logistique : l’innovation est partout et les distributeurs en sont toujours plus friands.

« L’innovation n’a jamais été aussi forte, elle est présente dans tous les briefs, les distributeurs veulent investir », constate Philippe de Mareilhac, président de l’agence de design et d’architecture d’intérieur Market Value. Le projet qu’il a mené pour Kiabi, l’une des principales enseignes de prêt-à-porter en France, en est l’illustration. Le concept « Kiabi 2030 » a cherché à pousser les curseurs du digital, de la RSE et de l’expérience-client le plus loin possible. Le résultat est visible dans deux premiers magasins, près de Valenciennes et à Madrid, qui doivent être inaugurés courant octobre. Parmi les innovations, des cabines connectées dans lesquelles un écran permet au client d’avoir accès à des suggestions de looks et des informations produit. Il peut aussi, sans se déplacer, contacter un vendeur pour qu’il lui apporte une autre taille de vêtement à essayer. Ces magasins sont également équipés d’un robot utilisé pour un système d’e-réservation. De son domicile, le client réserve le vêtement qu’il souhaite venir essayer en magasin. Une fois sur les lieux, il récupère via un code-barres, dans une trappe, le produit convoité, certain de ne pas être venu pour rien.

Ces innovations ne vont pas forcément se déployer dans les 500 magasins que compte Kiabi. Ces deux premiers points de vente font office de laboratoire. Dans le contexte actuel, c’est une constante. Avant de généraliser à l’ensemble d’un réseau de coûteuses innovations, les distributeurs testent leur efficacité à petite échelle. « Des innovations qui coûtent une fortune mais qui, ensuite, n’apportent pas le service espéré ne seront pas répliquées », indique Philippe de Mareilhac. Celles, en revanche, qui améliorent le trafic, l’engagement et la productivité ont des chances d’être reproduites. Les magasins tests de Kiabi adoptent ainsi la technologie RFID [radio-identification]. Équipé d’une puce, le produit est reconnu automatiquement lors du paiement en caisse, évitant au client de le scanner. Présente aussi chez Decathlon ou chez Nespresso, cette technologie a fait ses preuves. « Aujourd’hui, les marges baissent, diminuant d’autant la capacité à investir. Or plus on avance dans la technologie, plus les investissements sont lourds », analyse Thomas Graffagnino, directeur à SIA Partners. Conséquence, selon lui, les innovations qui relèvent plus de l’animation ou de l’expérience pure sont condamnées au profit de celles qui agissent comme des leviers de performance.

Logique de performance

« Aujourd’hui, on a quitté le côté paillettes de l’innovation technologique, les distributeurs sont davantage dans une quête d’efficacité que d’image », confirme Aurélien Leprêtre, directeur général d’Altavia Insitaction, qui accompagne des retailers dans leur transformation digitale. Son agence vient de mettre au point une marketplace permettant aux distributeurs d’investir le secteur de la seconde main au travers d’une appli où l’on peut vendre et acheter des produits d’occasion et se faire rémunérer en bons d’achat de l’enseigne participante. Carrefour Belgique est la première à expérimenter, ce mois-ci, cette innovation. En termes de services apportés au client, l’intelligence artificielle commence également à se répandre, là encore, dans une logique de performance. « On n’est pas forcément dans l’expérience “waouh”, mais plus dans l’utilisation de l’IA comme outil de prédiction, par exemple. Dès qu’on peut prévoir des ventes ou du trafic, on peut ajuster la logistique et améliorer l’expérience client dans les rayons d’un magasin », affirme Valérie Piotte, directrice générale d’Altavia OpenLab. Avant d’en mettre plein la vue, autant déjà « corriger les irritants du commerce physique », plaide cette experte, ce qui est facilité par l’utilisation des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. « Le click & collect, notamment, a permis une relation différente avec la boutique. La technologie a redonné de la valeur à quelque chose qui est essentiel dans le commerce : la proximité », avance Christophe Pradère, CEO de BETC Design.

L’intelligence artificielle n’est pas un sujet nouveau mais, récemment, l’IA dite générative l’a vulgarisée auprès du public. Carrefour a monté un département dont la volonté, explique Nicolas Safis, directeur de l’innovation de l’enseigne, est de « se saisir de toutes les innovations ». L’enseigne a utilisé l’IA générative pour développer Hopla, un robot de conseil pour faire ses courses sur le site de l’enseigne. Carrefour s’est appuyée sur les technologies d’OpenAI, et notamment GPT4. « La nouveauté, c’est le langage naturel. On peut lui poser des questions comme si on parlait à un humain ou lui écrire avec des fautes d’orthographe », note Nicolas Safis. Fidèle à sa raison d’être, la transition alimentaire pour tous, Carrefour a aussi appris à son chatbot à proposer des fruits et des légumes de saison quand le client l’interpelle sur des idées de menus. L’IA générative est également utilisée pour enrichir les fiches produit et pour automatiser certaines tâches à faible valeur ajoutée. « Nos acheteurs perdent beaucoup de temps pour rédiger des appels d’offres. L’IA doit leur permettre d’en regagner pour se consacrer à leur cœur de métier, la négociation », explique Nicolas Safis. Lors du salon VivaTech en juin dernier, Carrefour a aussi présenté une plateforme développée avec Google, qui permet de générer, grâce à l’IA, des campagnes marketing. Dans un autre domaine, l’enseigne teste aussi, à Saclay, en région parisienne, un service de drive mobile qui repose sur une navette entièrement autonome.

Chariots connectés

En matière d’innovations, les risques sont toutefois nombreux, à commencer par celui de dérouter la clientèle quand on remplace l’humain par des machines. « On est allé trop fort et trop tôt sur la partie encaissement automatique. Il faut remettre du service si on veut faire revenir les clients avec de gros charriots de courses », reconnaissait récemment Magali Daubinet, directrice générale des enseignes Casino. Depuis ce constat, le groupe teste dans certains supermarchés le retour aux caisses traditionnelles. Quand le client est livré à lui-même, un autre risque se profile : le vol. Pour y remédier, il faut parfois élever le niveau de la technologie elle-même. À Villeneuve-Loubet, près de Nice, la société Knap a par exemple développé un chariot connecté dernière génération équipé d’une caméra. Grâce à celle-ci, le client qui scanne une bouteille de vin à 5 euros avant de la remplacer dans son chariot par un grand cru à 50 euros est signalé à un employé situé à la borne de paiement. Mais si le client n’a rien à se reprocher, il ne risque aucun contrôle et passe en quelques secondes à la caisse. L’hypermarché E. Leclerc voisin, à La Colle-sur-Loup, s’est équipé de 40 de ces chariots cet été. « Les distributeurs essaient de trouver l’équilibre entre l’amélioration de l’expérience client et la garantie que tout soit payé », remarque Dylan Letierce, cofondateur de Knap.

Directeur de la stratégie chez Valtech France, Pascal Malotti alerte sur la nécessité que l’innovation technologique soit adoptée non seulement par les clients, mais aussi par le personnel. « L’enjeu des distributeurs, c’est de retirer les frictions en magasin. Pour cela, la technologie peut l’y aider, mais il reste le sujet de son adoption », pointe-t-il. À quoi sert-il en effet d’offrir à ses clients une expérience de réalité virtuelle immersive si aucun vendeur n’est présent sur le stand concerné pour en faire la démo ? Dans ce domaine, comme dans celui de la réalité augmentée, les expériences sont parfois sans lendemain. En 2018, Decathlon proposait dans une centaine de points de vente un casque de réalité virtuelle pour que les clients se projettent dans la tente qu’ils envisageaient d’acquérir. Avec le covid, l’opération s’est arrêtée. « Il y a aussi une limite dans les technologies elles-mêmes. Souvent, elles ne sont pas assez matures pour permettre d’investir et d’en faire un vrai business model », note Pascal Malotti. De son côté, Ikea continue de croire à son outil de réalité augmentée lancé il y a quelques années, avec une nouvelle version permettant aux clients, grâce cette fois à l’intelligence artificielle, d’agencer des meubles dans leur intérieur. « C’est un domaine où il y a encore énormément de potentiel », veut croire Pascal Malotti, qui mise sur l’arrivée prochaine du casque de réalité mixte d’Apple, Vision Pro, pour changer la donne.