Presse

Trois mois après son élection à la direction du Monde, Jérôme Fenoglio dévoile ses projets pour le quotidien du soir. Ses priorités: l’offre week-end et le lancement de chaînes verticales sur le numérique.

 

Quels sont vos projets pour le quotidien papier?

Jérôme Fenoglio. Sur la seconde moitié de la semaine, nos lecteurs disposent d’un temps d’attention plus important et ils ont envie de le consacrer à l’approfondissement de l’actualité. C’est pourquoi nous préparons pour fin novembre une refonte de nos offres de fin de semaine. Cela va commencer par un toilettage du Monde des livres, qui sera davantage tourné vers la prescription et le plaisir de lecture. Dans le journal daté du samedi, le cahier Culture & idées va devenir une «revue» des idées. Le Monde doit être le journal de la confrontation des idées et le succès du Monde festival le week-end dernier (plus de 18 000 participants contre 12 000 à 14 000 l’an dernier) confirme ce besoin de débats et d’échanges. Ce cahier accueillera notamment des contributions extérieures. Le journal, tout en gardant ses propres valeurs, doit rester un lieu ouvert à toutes les opinions. Le spectre d’expression doit être très large, dans les limites de la raison et de la loi. Le dernier acte de cette refonte portera sur le journal daté du dimanche-lundi, qui doit être davantage tourné vers la semaine qui vient.

 

Un peu comme un quotidien du septième jour?

J.F. Jusqu’à présent, nous ne profitions pas assez du temps disponible du lecteur. Après l'arrêt du supplément radio-TV, il y a un an, on était devenu un peu trop dépendant de l'actu. Il s'agit d'apporter plus de profondeur et des clés de compréhension. Dans le premier cahier, nous allons renforcer la partie décryptage, avec au moins quatre pages de géopolitique et de cartographie, et étoffer la partie culture. Cela pourra être la mise en avant d'une oeuvre qui sort la semaine suivante ou de repérer la polémique à venir. Actuellement, les personnages publics qui ont le plus d'audience et de popularité sont les polémistes - parler d'intellectuels pour certains d'entre eux serait excessif. On voit bien à travers leur présence télévisée ou leur intervention dans différents journaux qu'ils ont pris pas mal de l'ampleur qu'on donnait auparavant aux politiques. Après le deuxième cahier éco, nous allons aussi en créer un troisième, Epoque, qui sera tourné vers ce qui est en train de changer dans nos vies, du lifestyle à l'Afrique. Au global, la pagination de ces trois numéros va augmenter. Chacun aura davantage l’impression d’en avoir pour son argent.

 

Allez-vous décliner cette refonte sur le numérique?

J.F. Oui, nous allons étendre notre Matinale au samedi et au dimanche. Depuis son lancement en mai, l’application a été téléchargée plus de 265 000 fois, elle totalise 1,1 millions de visites par mois et compte plus de 6 000 abonnés spécifiques. Le modèle freemium qu’a choisi Le Monde sur le digital n’est pas le plus simple à gérer et il nous oblige à développer toute une série de publications purement numériques à BAT («bon à tirer») comme La Matinale, dès 7 heures du matin. A terme, on pourrait imaginer plusieurs éditions numériques par jour, sept jours sur sept. Finalement, c'est plutôt bien d'être un journal du soir...

 

Vous voulez aussi créer de nouvelles chaînes verticales sur votre offre digitale...

J.F. Parallèlement à cette offre payante importante, cohabite une partie gratuite calée sur les standards de qualité du Monde, que nous voulons en effet développer avec le lancement de verticales thématiques. Le Monde est très fédérateur quand il y a une grosse actualité mais dès que celle-ci est de moindre intensité, nous assistons à une fragmentation des usages... D’où l’idée de créer, sur le modèle de Pixels, des chaînes centrées sur les goûts et les envies de nos lecteurs. Nous pouvons imaginer quelque chose autour de la gastronomie, de la photo, de l’histoire, de la BD, de la science ; la liste n’est pas complètement arrêtée.

 

Comptez-vous y proposer du native advertising?

J.F. Ces verticales devraient nous permettre d’aller chercher de la publicité à travers de nouveaux formats mais ce ne sera pas du native. Tel que je le vois pratiqué ailleurs, le «native» fait courir un risque de confusion. Je préfère rester dans des propositions de formats cadrés, identifiés comme de la publicité, avec une nette séparation entre l’éditorial et le publicitaire. L’autre enjeu est de proposer des formats publicitaires qui respectent la tranquillité de lecture de l’internaute. C’est aussi ça l’avenir.

 

Votre diffusion numérique vient de dépasser la vente au numéro. Le kiosque est-il toujours une priorité?

J.F. Notre premier canal de diffusion du Monde est l’abonnement papier, avec plus de 100 000 exemplaires, le deuxième est l’abonnement numérique (80 000 abonnés pur numérique, en plus des 70 000 abonnés papier qui ont activé leur abonnement digital). Le kiosque arrive en troisième position et c’est un canal en déclin, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas prioritaire. Nous l’avons vu sur les événements de janvier 2015: quand l’actualité est là, les gens reviennent vers le kiosque. Dans le cas d’événements historiques, il existe encore aujourd’hui une vraie relation avec le papier. D’où l’intérêt de pouvoir imprimer plus en cas d’événements, ce que nous permet de faire notre nouvelle imprimerie à Tremblay-en-France.

 

Allez-vous rejoindre l’offre Instant articles de Facebook ou Apple News?

J.F. C’est en réflexion. Nous ne sommes pas favorables à y proposer tous nos contenus mais pourquoi pas faire un essai avec l’une de nos chaînes, comme Pixels ou Les Décodeurs. Il faut être très prudent, nous regardons ce qu’il se passe aux Etats-Unis. Ne nous précipitons pas, sinon nous risquerions de perdre notre identité à tout donner à quelques grands groupes.

 

Quelle est votre réaction à l’annonce d’un plan social à L’Express, qui devrait se traduire par la suppression de 125 postes suite à son rachat par Patrick Drahi?

J.F. Cette décision est terrible car elle envoie le message qu’on ne croit plus au journalisme de qualité alors qu’il y a plein de raison d’être optimiste si l’on est en situation d’investissement. Au Monde, nous avons la chance d’avoir la garantie de fonctionner dans un périmètre constant, avec une quantité suffisante de journalistes. La presse de qualité a un avenir, à condition de ne pas descendre en dessous d’un certain nombre de journalistes.

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