Medias
Les «opérations spéciales» ont plus que jamais le vent en poupe. Mais à l’ère du «contenu de marque», régies publicitaires et agences média vont plus loin en proposant aux marques séries publicitaires et rubriques sponsorisées.

Comment sortir des classiques formats publicitaires, en glissant vers une présence plus subtile sur des contenus éditoriaux? Après l'ère des traditionnels publireportages et autres rubriques sponsorisées, les régies, les agences médias et les marques développent de plus en plus des «opérations spéciales» sur mesure. Main dans la main.

L'enjeu est désormais de raconter une histoire, «storytelling» oblige, le plus souvent par une opération étalée dans le temps et cross-médias, à la faveur du développement des médias en ligne et des réseaux sociaux.

«Il s'agit d'intégrer l'annonceur dans une relation marque-média qui l'engage davantage. Il y a davantage de points de contacts, de supports, et de complémentarité des usages», résume Corinne Mrejen, directrice générale de la régie publicitaire du Monde, M Publicité.

Logiquement, toutes les régies publicitaires, sollicitées par les agences médias pour monter des opérations sur mesure, se sont dotées progressivement de structures dédiées aux opérations spéciales.

Cela a commencé dans la presse magazine dans le courant des années 2000, tels Lagardère Publicité, qui s'est dotée d'un département ad hoc en 2003, et le groupe Mondadori, qui a créé le sien l'année suivante.

Début 2008, Express-Roularta Services, la régie du groupe de presse, leur emboîtait le pas avec La Fabrique à Idées, une «plateforme de conseil et de production de solutions sur mesure». Comme ses concurrents, Prisma Média et Groupe Marie Claire ont eux aussi développé des structures ad hoc. Et la liste n'est pas exhaustive... 

La presse quotidienne s'y est mise aussi. Lors de l'arrivée de Corinne Mrejen en mai 2011 comme nouvelle directrice générale, M Publicité (née de la fusion des trois régies Le Monde Pub, Publicat et I régie) s'est dotée d'un nouveau département dédié aux opérations spéciales, Genious M. «Un pôle Luxe transversal à la régie existe également», précise-t-elle.

On peut citer aussi au sein de Figaro Médias la structure Figaro Médias Emergence, créée en septembre dernier et présidée par Patrick Hurel, directeur général adjoint de la régie publicitaire.

La régie Les Echos Médias comporte quant à elle une structure digitale, où elle développe son activité opérations spéciales, au sein d'une entité dédiée, Les Echos Médias Agency. Elle s'apprête d'ailleurs à recruter un directeur des opérations spéciales.

Quant au groupe Amaury, il consulte une dizaine d'agences de communication pour réfléchir à la création de contenus de marque. Devant la demande croissante des annonceurs dans ce domaine autour de ses différentes marques (L'Equipe, Le Parisien, etc.), il souhaite se doter d'ici à la fin de l'année d'une offre unique qui passera soit par la création d'une entité intégrée, soit par un partenariat avec un prestataire extérieur, soit enfin par le rachat ou une prise de participation au sein d'une agence spécialisée.

En matière de formats, on connaissait les rendez-vous ou rubriques sponsorisées, comme l'interview de l'hebdomadaire Challenges sponsorisée par SFR Business Team, aussi disponible en vidéo sur Challenges.fr.

Sur le Net, les nouveaux médias vont plus loin: le Huffington Post français, commercialisé par M Publicité, a ainsi fait une arrivée remarquée en janvier dernier, avec une rubrique technologique, intitulée «La vie digitale», sponsorisée de bout en bout par Orange, entre blocs publicitaires et blogs aux couleurs de l'opérateur.

«Il y a ici une coproduction entre le média et la marque, dans un univers totalement dédié à la marque, avec des “blocs de marques” distincts des articles. Et des possibilités de tracking et de mesure d'audience», souligne Corinne Mrejen.

Au-delà de cette opération, où la présence d'Orange pourrait être pérennisée, M Publicité entend bien commercialiser ce format publicitaire particulier: comme le dévoilait alors Stratégies, elle proposait d'emblée aux annonceurs ce format de «pages de marques». D'autres annonceurs pourraient ainsi sponsoriser des rubriques événementielles, «comme autour du festival de Cannes», annonce Corinne Mrejen.

D'autres nouveaux médias apparus récemment sur la Toile, qui reposent en bonne partie sur les contributions des internautes et le débat, explorent eux aussi l'arrivée de ces marques-sponsors. Atlantico envisage ainsi lui aussi de proposer aux marques de sponsoriser des rubriques.

Quant au site de débats Newsring, lancé en novembre dernier, il s'apprête à proposer aux marques des sponsoriser des débats ou d'envoyer leurs experts sur des débats en cours, via des comptes sponsorisés. S'il n'annonce pas de date de lancement, «on enchaîne les rendez-vous avec les agences médias et les agences de communication», explique Julien Jacob, PDG de Ringmedia, la société éditrice.

Autre nouveauté pour les marques, raconter une histoire dans des opérations de «brand content» étalées sur la durée. Le vendredi 13 avril, la régie Les Echos Médias lançait ainsi la première «Brand Saga Série limitée» avec Citroën, et au menu, 16 pages sur les secrets de fabrication de la ligne DS, qui fête ses deux ans.

La marque a ainsi un cahier à part, co-brandé Les Echos Série limitée, et glissé dans le supplément luxe mensuel du quotidien. Une manière de donner «de façon inédite et exclusive la parole aux marques pour qu'elles racontent leur histoire», soulignait la régie publicitaire dans son communiqué.

Chez le groupe Mondadori, les opérations spéciales étalées sur plusieurs semaines sont devenues monnaie courante, notamment sur un de ses titres-phares, Grazia, qui sert de laboratoire d'expérimentations.

«Les opérations spéciales n'accompagnent plus les seuls lancements, mais permettent de soutenir les marques, de rappeler leurs valeurs, dans une logique de ‘brand content'. Cela permet de créer aussi des rendez-vous autour d'une marque», souligne Jean-Jacques Benezech, directeur opérations spéciales cross média à Mondadori France.

En automne dernier, Grazia publiait ainsi, six semaines d'affilée, des doubles pages de publi-reportage pour la tablette Samsung Galaxy Tab, avec des salariés de Grazia témoignant de leur utilisation au quotidien.
Actuellement, l'hebdomadaire féminin publie une série de cinq «reportages» montrant des clientes de la marque Diesel «en situation», en train de découvrir des boutiques à Lyon ou Toulouse, transformées en loft le temps d'une soirée. Une série très visuelle, avec les «portraits» de «Marine & Coline complicité assumée» ou «Vanessa happy attitude». Malgré la mention discrète «Grazia promotion», la mise en page rappelle fortement celle des rubriques people ou mode du magazine.
L'an dernier, Grazia avait déjà publié une série de portraits de clientes de la marque Diesel. «Le brief était de montrer que Diesel était aussi une marque pour les femmes, et de créer du buzz auprès du lectorat», résume Valérie Camy, directrice exécutive de la régie publicitaire de Mondadori.

Ces opérations spéciales sont parfois intégrées simultanément sur plusieurs médias, où menées sur le Web, où les régies inventent de nouvelles formes d'interactions avec l'internaute. Yves Saint-Laurent s'offrait ainsi mi-janvier sur Le Monde.fr et le site de M le magazine un publi-rédactionnel de luxe, dans une opération orchestrée par M Publicité et Zenith-Optimedia, étalée sur six semaines, pour un tarif brut s'échelonnant entre 300 000 et 400 000 euros.

Pour la sortie de la gamme de soin anti-âge «Forever Youth Liberator»,  un e-magazine participatif baptisé «Ces femmes qui défient le temps» donnait la parole à des femmes comme Shahinaz Abdel Salam, blogueuse et activiste égyptienne. Les internautes pouvaient recevoir un échantillon et donner leur avis sur le produit.

Autre tendance, la marque «invitée» va carrément co-produire un contenu avec le média où elle est annonceur. Dans le numéro d'avril du mensuel féminin Biba, l'éditeur a ainsi inséré huit pages beauté signées par une des rédactrices, mais dûment signalées «En partenariat avec Sephora», présentant «9 nouvelles tendances make-up à tester», avec des échantillons de maquillage à tester. Lequelles sont insérées dans le cahier spécial beauté du magazine.

Confusion? «C'est un cahier rédactionnel: la rédaction a choisi les tendances», précise Jean-Jacques Bennezech, de Mondadori. Mais avec un annonceur signalé comme tel, et son échantillonnage mis en valeur par les pages mode d'emploi réalisées par la rédaction...

Ces opérations publicitaires rapportent beaucoup plus que des publicités classiques. Pour l'année 2011, le poids du segment des opérations spéciales avait augmenté de 20%, à 55 millions d'euros, et représentait ainsi 9% des investissements en publicité «display» sur Internet, d'après l'Observatoire SRI Cap Gemini.

Elles deviennent une ressource non négligeable pour les régies publicitaires: elles ont représenté 10% du chiffre d'affaires publicitaire total du groupe Mondadori en 2011, et 8% chez Lagardère.
Au point que, à l'avenir, elles pourraient représenter une ressource publicitaire incontournable – inévitable? – pour les médias. Mais elles font grincer des dents dans la profession.

Samedi 17 mars, Libération paraissait avec une surcouverture pour l'annonceur Total, et en dernière page un «portrait» de Romain Grosjean, le pilote de Formule 1... sponsorisé par Total. Certes avec la mention publicité, mais calquée sur le modèle de la rubrique portrait emblématique du quotidien.

Quelques jours avant, l'annonceur La Vache qui rit avait eu droit au même traitement. Des «opérations publicitaires contestables» pointées par les journalistes du quotidien dans un texte de griefs publié le 3 avril, lors d'une assemblée générale à l'initiative de la Société civile des personnels de Libération.

Le sujet a aussi donné lieu à des échanges animés entre éditeurs le 4 avril dernier, lors de la Journée de la presse magazine organisée par le Syndicat de la presse magazine (SPM). Ce jour-là, Xavier Romatet, PDG de Condé Nast France, dénonçait: «Aujourd'hui il y a de moins en moins d'information et de plus en plus de communication. Les médias ont à gérer le décodage d'une information de plus en plus marketée et des annonceurs qui émettent des messages de plus en plus qualitatifs».

Même si Internet permet de concevoir des contenus de plus en plus intégrés, «brand content» oblige. «Internet a repoussé les frontières de ce que nous acceptions jusque-là. Mais le niveau d'exigence des lecteurs envers les marques média est de plus en plus élevé. Arrêtons de penser que nous pouvons faire croire à des lecteurs que ce n'est pas de la publicité alors que c'en est», ajoutait Franck Espiasse, éditeur du pôle Femmes de Lagardère Active.

De son côté, Daniel Daum, directeur du pôle TV de Prisma Média, prévenait: «Nous devons faire attention à ne pas créer une confusion entre rédactionnel et publicité. Sinon il y a un risque de rupture de confiance entre les lecteurs et la marque.» 

 

Encadré
Quand les journalistes se mettent en scène dans des publireportages


Il y avait déjà eu le cas de la série de six publi-reportages pour la tablette Samsung Galaxy Tab, publiés dans Grazia en octobre dernier, où l'on voyait des utilisateurs, présentés comme «Sarah, journaliste à Grazia», une rédactrice mode, ou encore la «responsable éditoriale de Grazia.fr» qui vantaient les mérites de ladite tablette. Ce printemps, c'est le maroquinier Le Tanneur, dans sa dernière campagne publicitaire, qui montrait «Elysée Rossignol, journaliste» et «Marie Lichtenberg, rédactrice de mode», arborant des sacs à main. Dans la vraie vie, Marie Lichtenberg, qui a conçu le sac qu'elle arbore dans la publicité où elle pose, est rédactrice mode au magazine Elle. Mélange des genres? C'est la troisième fois que l'agence Beaurepaire monte une telle opération: «Les journalistes mode sont des spécialistes de cet univers, et en même temps, cela montre des vrais gens, qui utilisent leur sac au quotidien», souligne Emmanuel Brunet, directeur de la création à l'agence.

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