Télécoms
L'opérateur lancera dimanche 26 janvier sur TF1 le premier film, de 90 secondes, de sa campagne renouvelant ses codes autour du lien. Derrière cette création signée BETC, qui sera appuyée par une vague de spots TV et digitaux, une réflexion d'un an sur l'identité de la marque. Explications de Richard Viel, son directeur général, et Tifenn Ouchène-Boureau, sa directrice de la marque.

Bouygues Telecom peut donner parfois l’impression d’avoir une image un peu vieillotte malgré une réputation de très bon réseau. Souscrivez-vous à cette idée ?

Richard Viel. Vieillotte ? Je suis assez surpris ! Nous avons obtenu nos fréquences en 1994 et lancé Bouygues Telecom en 1996. Nous sommes une start-up qui a à peu près réussi. Mais avant tout, nous sommes une entreprise innovante. Nous sommes les premiers à avoir imaginé le forfait, à avoir lancé le son digital haute résolution, l’internet mobile, ou une box Android pour supporter de manière native l’environnement OTT. Nous avons proposé le premier réseau 4G dès octobre 2013. Bien que liés à TF1, nous avons été les premiers à signer avec Netflix. Nous avons des gènes et des valeurs très forts, parce qu’issus d’un groupe familial. Et c’est vrai que nous communiquons moins. Nous aimons bien démontrer d’abord. Quant au réseau mobile de Bouygues Telecom, il est exact qu’il est devenu une référence. Nous sommes numéro un dans le monde rural depuis deux ans, selon l’Arcep, alors que nous étions plutôt vus comme étant un opérateur des villes. 

Et sur la relation client ?

R.V. Dès le début des années 2000, elle a été au cœur de Bouygues Telecom. Nos centres d’appels ont été reconnus pour avoir le meilleur taux de réponses, la meilleure empathie. Après, l’entreprise a connu un choc sur le marché lié à l’approche agressive, prédatrice d’un acteur. Faire des prix pas chers c’est bien, à condition d’avoir une rentabilité correcte. Quand vous êtes le chantre du pas cher, il faut pouvoir le supporter dans la durée. Si vous sortez une box Delta à 60 ou 70 euros, vous avez un petit problème d’image. 

Vous avez aussi remonté vos prix… Vous avez présenté en janvier une nouvelle box qui n’est accessible que pour vos abonnés haut de gamme à la fibre payant près de 42 euros par mois (25 euros la première année)…

R.V. Ce nouveau modem [qui donne l’accès à internet] intègre la dernière génération de wifi (wifi 6) et bénéficie d’un design qui maximise sa puissance. Cette box ultra-performante permet de couvrir toute la maison en wifi, avec une vitesse comparable à celle de la fibre. C’est pour cela que nous la réservons à nos clients fibre.

Réfléchissez-vous à votre « raison d’être », comme l’y invite la loi. Pensez-vous communiquer autour de votre responsabilité ?

R.V. La responsabilité, l’essentiel est de la faire, pas de communiquer dessus. Nous avons investi il y a plus de dix ans dans une société, Recommerce, qui récupère des mobiles anciens pour les recycler. Dans le cadre de notre fondation, nous avons aussi des actions à destination des enfants, de l’éducation, de l’inclusion numérique. On pense qu’une entreprise doit donner du sens à la vie des citoyens. 95 % de nos collaborateurs sont fiers de travailler chez Bouygues Telecom, d’après nos études. Si on considère qu’internet est devenu vital, on s’engage pour garantir le service avec un routeur 4G en cas de panne. Nous avons aussi veillé à améliorer l’expérience utilisateur en ayant des centres d’appels joignables le week-end.

Mais n’avez-vous pas une réticence à en faire un sujet de communication ?

Tifenn Ouchène-Boureau. Tout le travail de réflexion mené depuis un an sur la marque, qui sera visible à partir de fin janvier - à travers une campagne media de grande ampleur -, consiste à coller à la stratégie, à la culture de l’entreprise et à ces notions de responsabilité et d’engagement. Notre parti-pris est que la marque doit rayonner non seulement dans sa communication mais aussi en boutiques, en RSE, bref infuser l’ensemble des points de contact en interne et en externe dans une logique de symétrie des attentions. Ce qui est très important, c’est de ne pas être dans un discours extérieur mais dans quelque chose qui repart de l’existant, qui colle à l’entreprise. Nous avons donc réalisé un bilan culturel en interne, avec des focus groups comprenant des salariés nouveaux et anciens, en s’inspirant de méthodes anthropologiques et RH. Il est apparu qu’il ne fallait pas seulement parler de la marque comme étant en rapport avec l’ADN de l’entreprise mais aller plus en profondeur par rapport ce qu’est réellement Bouygues Telecom.

Et qu’a révélé ce bilan ?

T. O-B. D’abord, que les valeurs humaines sont clés. Bienveillance et respect sont des maîtres-mots, et c’est vécu comme un rapport d’étonnement par ceux qui arrivent dans l’entreprise. C’est lié à des valeurs d’honnêteté et d’éthique qui caractérisent Bouygues Telecom…

R.V. Et ce sont des valeurs probablement décalées par rapport au reste du marché [sourire]. Cette constance et cette unicité nous la devons à notre actionnaire.

La volte-face de Martin Bouygues en 2014, qui a finalement renoncé à vendre Bouygues Telecom, a-t-il eu un impact en termes de marque employeur ? D’éventuels talents ne se sont-ils pas détournés de votre entreprise faute de visibilité sur son avenir ?

R.V. S’il y a eu des questions, c’est quand on a perdu en deux ans 2000 collaborateurs dans une entreprise de 8000. La tension est montée lors du deuxième plan de départs volontaires de l’entreprise. Le plus grand risque, dans ces cas-là, c’est de perdre 25% de l’effectif mais 50% des talents. Ou que tout le monde devienne attentiste. Dans les deux cas, cela ne s’est pas produit. Ce qui a sauvé l’entreprise, au-delà de l’engagement et de la compétence des salariés, c’est que l’actionnaire nous a challengé sur une ambition, un grand projet, avec un coaching serré… et quelques erreurs de certains concurrents. On s’en est très bien sorti ! C’est comme une renaissance : quand vous renaissez, vous êtes encore plus forts. Nadal dit lui-même que de redevenir numéro un mondial au tennis lui a donné une énergie phénoménale.

T.O-B. Il y a une culture de la résilience, qui est palpable chez les salariés. C’est le deuxième pilier de l’entreprise avec la culture d’ingénieur, le souci des choses bien faites, la qualité du réseau.

Et comment cela se traduit-il en termes d’identité de marque ?

T.O-B. Nous avons mené une étude Kantar TNS sur les besoins émotionnels des consommateurs. On s’est aperçu que le premier besoin, par rapport à la connectivité, est de rester en lien avec ses proches. Cette réflexion a commencé à infuser notre communication. La campagne de Noël 2018 sur le lien avec son réseau intime nous a valu le prix Effie en 2019. 

R.V. L’esprit des Gilets jaunes sur un rond-point, c’est aussi autour du lien, de ce qu’on partage ensemble… Le rugby monte car les gens aiment se retrouver ensemble. On a pris conscience de cette question sociétale du lien, qui nous correspond bien.

S’agit-il d’aller au-delà de la communication sur les produits ?

T. O-B. Il s’agit de trouver des fondamentaux qui guident la stratégie pour dix, quinze ou vingt ans. Ce n’est pas une nouvelle plateforme de communication pour les trois ans qui viennent. On est allé chercher des éléments de fond qui expliquent pourquoi les télécoms existent dans la vie des gens.

Cela correspond-il à votre « raison d’être » ?

T. O-B. On ne s’est pas inscrit dans une démarche de loi Pacte. Ce n’est pas uniquement corporate, mais d’une vraie démarche de fond. Presque une psychanalyse pour arriver à être très raccord avec ce qu’est l’entreprise !

R.V. On veut travailler sur la qualité d’une expérience. La loi Pacte évoque une responsabilité sociétale, mais elle est moins encline à parler du client. Mon métier est de m’assurer que votre téléphone soit disponible 365 jours par an. C’est un service qui répond à un besoin. Prenez Amazon, ce n’est pas moins cher, mais le taux d’erreurs est très faible, l’expérience vécue est top, et c’est livré le lendemain dans près de 100% des cas. Mon rêve est de faire pareil, de pouvoir assurer une livraison en 24 heures.

Quel a été le brief passé à BETC ?

T. O-B. À partir du bilan culturel, des insights émotionnels et de la nouvelle plateforme de marque, l’idée est que Bouygues Telecom est là pour faire grandir les relations humaines. BETC avait anticipé cette évolution depuis Noël 2018. C’est aussi venu nourrir le film publicitaire « Mamita » ou « Netflix ». Cela sous-tend aussi notre communication à venir sur la marque employeur ou notre nouvelle signature, « On est fait pour être ensemble », qui remplace « We love technology ».

R.V. C’était une approche d’ingénieurs qui avaient pris une avance technologique avec la 4G. Avec le temps, nos couvertures se rapprochent, les forfaits se ressemblent, les prix convergent. Ce qui a été fait dans le passé n'était plus différenciant.

Lire aussi : Bouygues Telecom refond ses codes et sa plateforme de marque

Bouygues Telecom a retrouvé des couleurs sur les trois premiers trimestres 2019, en gain d’abonnés. Le constat est-il visible sur l’année ?

R.V. Le constat devrait se confirmer sur l’ensemble de l’année, même s’il faut compter avec les grèves. 

Stéphane Richard, le patron d’Orange, considère que les télécoms sont arrivées à maturité en Europe, et notamment en France, et que les relais de croissance sont pour lui en Afrique. Partagez-vous cette vision avec 20 millions d'abonnés au total ?

R.V. Pas du tout. Les relais de croissance sont infinis en fonction de la qualité de service que l’on peut offrir. Nous sommes en croissance en part de marché sur le fixe comme sur le mobile ou sur le marché entreprises. Nous sommes capables de cela grâce à notre qualité de réseau, de la relation, de l’expérience. Il y a une demande très forte de la part de nos clients.

Bouygues Telecom n’a plus besoin de s’atteler à un autre opérateur ?

R.V. La démarche et le modèle que nous construisons font qu’il n’y a pas de nécessité de concentration.

Sur la fibre, rattrapez-vous votre retard ? Vous aviez annoncé 12 millions de prises à la fin 2019…

R.V. Nous n’en serons pas loin. Nous avons annoncé que nous rattraperions ce retard en 2022, avec 20 millions de prises commercialisables.

Qu’attendez-vous de la 5G ?

R.V. La 5G, c’est comme le Grand Paris : une promesse. Elle a trois vertus : elle nous apporte de la capacité, de la latence et permettra de connecter des dizaines de millions d’objets entre eux. Les besoins du client sont passés de 6 gigas en 2018 à 10 gigas en 2019. Ce sera peut-être 50 en 2025. Cela devient alors une nécessité d’agrandir nos réseaux. Mais toutes les promesses un peu avancées de la technologie ne seront pas là avant 2023.

Comment intégrer Huawei dans la stratégie 5G ?

R.V. C’est un sujet d’abord politique au centre des dissensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. En ce qui nous concerne, nous n’utilisons pas Huawei dans notre cœur de réseau ni dans les zones très denses pour la 4G mais sur le reste du territoire. Et tout le monde reconnaît que Huawei est en avance sur les autres équipementiers pour la 5G. Grâce à la puissance de sa R&D et à son marché d'1,5 milliard d’habitants. Mieux vaut être avec le poids lourd que contre lui. Les États-Unis n’en veulent pas mais ils ne sont pas sous la norme GSM, comme en Europe, où nous sommes interdépendants. Et on se focalise sur le cœur du réseau qui est une sorte de coffre-fort alors que les terminaux sont plus faciles à pénétrer.

Le projet de loi sur l'audiovisuel prévoit de la publicité segmentée. Qu’en attendez-vous ?

R.V. La première demande est surtout partenariale avec nos clients.

Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, a dit qu’elle attendait des opérateurs télécoms qu’ils lui donnent accès aux données de consommation de ses programmes. Êtes-vous prêts à lui donner cet accès ?

R.V. C’est un débat dans lequel les deux ont un rôle. Mais l’un ne peut pas avoir tout aux dépens de l’autre. La valeur de la publicité est un enjeu pour tout le monde.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.