Streaming
La plateforme américaine a mis la main sur la Metro Goldwyn Mayer et acquis les droits de la NFL, de la Premier League et de la LFP. Mais la nature protéiforme d’un tel acteur dans le monde de l’image pose question.

« Il faudrait être fou pour refuser Amazon », a déclaré Vincent Labrune, le président de la Ligue de football professionnel à L'Équipe, le 17 juin, après avoir cédé 80% des droits de la Ligue 1 pour 250 millions d’euros par an. Et si, au contraire, il fallait être fou pour laisser entrer Amazon dans la bergerie de l’audiovisuel ?

Alors que la plateforme est déjà présente dans le sport avec la NFL, la Premier League anglaise ou Roland-Garros, Amazon se prépare à diffuser la Ligue 2, avec un multiplex de huit matchs le 24 juillet. Avant la Ligue 1 en août. Mais la plateforme n’a toujours pas fait connaître ses tarifs ou ses forfaits qui impacteront forcément un abonnement à Prime de 49 euros par an en France.

Pratiques monopolistiques

Le rachat de la MGM, pour 8,45 milliards de dollars aux États-Unis, première acquisition d’un studio hollywoodien par un Gafa, est aussi lourd de sens. Et si ce n’était que le début d’une longue série d’emplettes dans le monde de la production dont la plateforme contrôlerait l’accès ? La Federal Trade Commission (FTC) va enquêter outre-Atlantique sur ce rachat. Sa présidente, Lina Khan, s’est fait connaître par un article sur le « paradoxe antitrust d’Amazon » où elle explique que les lois américaines sont démunies face aux pratiques monopolistiques d’un tel géant (Amazon lui reproche sa partialité).

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La vidéo, produit d’appel ou essentiel ? Depuis une étude de Morgan Stanley, qui montre que les abonnés à Prime dépensent 3 000 dollars sur la plateforme, soit deux fois plus que les non abonnés, la souscription au service de livraison rapide est devenue le nerf de la guerre. Il touche 200 millions de personnes dans le monde, dont 175 millions consultent le service Vidéo.

La Ligue de foot et l’accès au catalogue de la MGM avec ses 4 000 films - dont la franchise James Bond - et ses 17 000 contenus audiovisuels, vont renforcer Prime Video. Et ce n’est sans doute pas fini : « Amazon a investi 8 milliards de dollars dans les contenus là où Netflix a mis 17 milliards, rappelle Victor Marçais, partner chez Roland Berger, ils sont en position de continuer à investir ». Oui, mais au détriment de qui ?  « On va finir par avoir un sujet global sur les investissements d’Amazon dans les contenus, estime Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Il y a une distorsion de concurrence potentielle. À un moment, ils devront montrer que ce n’est pas qu’une logique prédatrice d’éviction d’acteurs comme Canal+ et BeIn. »

Auto-distribution

Impossible en tout cas de justifier un épais catalogue d’œuvres et des droits sportifs prestigieux avec un prix de 5, 6 ou 7 euros par mois. Selon Business Insider, Prime Video qui revient à 99 dollars pour un an aux États-Unis a un coût évalué par JP Morgan à 785 dollars par abonné et par an.

« Il serait nécessaire de faire une place à part au cas d’une entreprise qui non seulement écrase ses concurrents dans l’audiovisuel par le dumping, mais en outre, accumule des milliards de données au passage pour cibler directement ses ventes de produits », a souligné Alain Le Diberder, ancien directeur des programmes d’Arte sur son blog.

Car Amazon ne se contente pas de collecter les données comme Netflix, ou de les céder à des annonceurs comme Google, elle s’auto-distribue et vend aussi directement des produits grâce à sa data. Rien ne l’empêche donc de commercialiser demain de façon ultra-ciblée des produits dérivés ou, mieux, un abonnement à un accès internet à partir de son très lucratif service de cloud.

Le géant propose déjà, avec FireTV, un boitier d’accès à la vidéo digitale. Un dirigeant de médias qui ne veut pas être cité observe qu’ils ont « un remarquable schéma holistique et une culture très itérative qui leur permet de cocher toutes les cases » : la SVOD, mais aussi le studio, le gaming, les magasins, l’AVOD avec IMDB, le réseau social avec Twitch, le livre électronique avec Kindle. Mettre la main sur des licences de propriété intellectuelle est donc plus que profitable quand on a une telle physionomie d’opérateur d’intégration verticale. On peut à partir d’un seul personnage développer tout un business sur les différents maillons de la chaîne de valeur.

Tout cela n’est tenable que tant que le législateur et les autorités anti-trust ne trouvent rien à redire. Outre-Atlantique, où le débat se poursuit sur le démantèlement des Gafa, la loi « ending platform monopolies act » a été votée le 21 juin pour interdire aux plateformes de distribution de vendre leur propre gamme de produits.

« Le renforcement d’Amazon dans le domaine du streaming va entraîner un risque d’aggravation d’une position dominante, observe l’avocate Isabelle Wekstein-Steg, il peut être soumis au contrôle de la Commission européenne. » Ne serait-ce que pour protéger la production indépendante.

Dix « originals » en 2021

Amazon Prime Video est le deuxième service de SVOD en France, avec un tiers des utilisateurs en mai, selon le CNC (près de 6 millions d’utilisateurs en 2020). Via Le Bal des folles, avec Mélanie Laurent, ou Flashback, avec Gad Elmaleh et Sophia Aram, ou le prochain I Love America, avec Sophie Marceau, la plateforme investit dans la production originale française et devrait rapidement doubler les 15 millions d’euros qu’elle y a investi en 2020.

« Notre ambition est de proposer dix “originals” en 2021 et nous voulons accélérer la cadence », a expliqué Thomas Dubois, head of originals à Amazon France le 22 mars. Le décret Smad, qui entre en vigueur le 1er juillet, y contribue avec ses obligations de dépenses dans la création. Reste à savoir comment sera pris en compte le calcul du chiffre d’affaires, Amazon se refusant à publier ses comptes sur la vidéo.

Plaire à la famille et être « cosy »

Il en découle un positionnement un peu spécifique. « Ils sont dans une logique de distributeur et pas de coproducteur, estime Olivier Zegna Rata, délégué général du Syndicat des producteurs indépendants, ils veulent un accès au catalogue pour le mettre en rayons. Un peu comme un Carrefour face à un distributeur spécialisé comme la Fnac que serait Netflix. » D’où le sentiment qu’ils n’ont pas vraiment de ligne éditoriale hormis de plaire à la famille et d’être « cosy ». Mais l’objectif reste de fournir un maximum de programmes pour les mettre en devanture. « Au départ, le streaming était la cerise sur le gâteau, et puis cela devient de plus en plus le gâteau lui-même », ajoute-t-il.

La plateforme peut-elle aller jusqu’à garder pour elle des films en exclusivité comme on le voit avec Jolt, le 23 juillet ou le récent Tomorrow War aux 200 millions de dollars de budget ? François Pier Pélinard-Lambert, rédacteur en chef du Film français, ne le pense pas : « Ce qui intéresse avec la MGM, c’est la profondeur du catalogue, mais je ne pense pas qu’Amazon va tout garder pour lui. Je ne les vois pas retirer les programmes des chaînes et il y a cinquante nuances de fenêtrage. » 

Une chose est sûre : en augmentant ses investissements dans la création en France, Amazon accroît son pouvoir d’influence. Pas évident d’imposer des obligations fiscales et réglementaires à qui crée des emplois par milliers et fait vivre les artistes.

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