Stratégies Les 50

Stratégies fête ses 50 ans et dans quelques mois, Elisabeth II fêtera – on l’espère ! – ses 70 ans de règne. «Nouveaux mondes», la thématique retenue pour célébrer le demi-siècle, peut alors sembler contradictoire avec l’apparent caractère suranné du second. Le choix de cet éditorial peut donc paraître incongru, mais justifié. Et si la reine Elisabeth incarnait une nouvelle forme de communication politique ? La très belle photo de Chris Levine, « The lightness of being », a inspiré ma réflexion. Depuis la succession à son père en 1952, la reine Elisabeth est «the one and only, the essence» comme le font dire les auteurs de la série The Crown sur Netflix à celui qui incarne son époux, le Prince Philip.

Mais en matière de communication, elle demeure une exception dont la méthode contribue sans aucun doute à la légende. Depuis son accession au trône, elle n’a accordé aucune interview, s’est certes laissé filmer mais sans s’exprimer et ses allocutions publiques sont traditionnellement aussi courtes que générales, aussi ciselées que consensuelles, la spontanéité et l’émotion y ayant rarement leur place.

Elisabeth II a, en quelque sorte, poussé à l’extrême la théorie de Jacques Pilhan, qui recommandait aux présidents qu’il conseillait la rareté de la parole pour qu’elle n’en ait que plus de valeur. Et il faut des circonstances exceptionnelles, la mort de Diana ou la crise de la Covid par exemple, pour qu’elle déroge à ce principe. C’est donc très largement par l’image que la reine incarne depuis sept décennies l’Histoire et la pérennité.

Les modalités d’abord. Bien sûr, dans son pays et dans ceux dont elle est la souveraine, elle est partout et sur toutes sortes d’objets : des pièces et des billets, des timbres, des bibelots et même des torchons ! Au fil des années, elle est également devenue l’une des personnes les plus photographiées au monde grâce notamment au pool très bien organisé, le Royal Rota, que son service de communication met en place à chacun de ses déplacements. Au point que certains professionnels, comme ­Arthur Edwards, qui officie pour The Sun, sont presque des familiers. Les journaux, puis la télévision et désormais les réseaux sociaux ont été tout au long de son règne ses principaux canaux de communication.

Pour nourrir cette stratégie, elle a également posé à maintes reprises pour les plus grands peintres et les plus grands photographes, alternant postures en majesté, comme avec Cecil Beaton ou Annie Leibovitz, et inspirations plus disruptives, comme celles d’Andy Warhol, référencée dans la Royal Collection quoiqu‘elle ne l’ait pas rencontré pour cela. Elle est iconique au point que les publicitaires se sont emparés de son image. Eurostar et Virgin par exemple, l’ont prise pour égérie pour certaines de leurs campagnes. Sans oublier la polémique pochette des Sex Pistols, interprétant en 1977, à l’occasion du jubilée d’argent, un God save the Queen revisité : l’image de la reine fait vendre !

La tonalité, ensuite. Couronne de diamants ou chapeau vivement coloré sur la tête, foulard Hermès et paysages bucoliques pour les séquences plus décontractées ont été autant de codes précis pour indiquer à l’observateur le territoire de langage du moment. Au fil du temps, Elisabeth II s’est donc dotée d’un langage qui lui est propre… presque sans parole.

Le plus dur est de durer, mais la reine d’Angleterre nous a prouvé en images que le défi pouvait être relevé. En 2022, son jubilée sera de platine, 70 ans pendant lesquels, pour elle, le silence aura été d’or.

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