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L’appel au boycott de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar a propulsé le journal Le Quotidien de la Réunion sur le devant de la scène médiatique. Kevin Bulard, le rédacteur en chef, revient sur ce choix éditorial.

Quand avez-vous décidé de boycotter la Coupe du monde de football ?

KEVIN BULARD. Courant août, le chef du service des sports du journal, Flavien Rosso m’a alerté. Il ne voyait pas comment couvrir cette Coupe du monde. C’est-à-dire comment se réjouir d’une compétition dont l’organisation porte atteinte aux droits de l’homme, aux droits des travailleurs, aux droits des minorités. Le Guardian estime que 6 500 personnes sont mortes au Qatar sur les chantiers des stades. Amnesty International, qui souligne l’opacité qui règne dans le pays, parle de milliers de morts.

L’impact environnemental vous a-t-il a moins gêné ?

Pas du tout. Ces stades à ciel ouvert climatisés sont une hérésie environnementale. Il y a 1 400 chambres d’hôtels au Qatar alors qu’il y aura 1,2 million de spectateurs. Ils logeront dans les pays voisins, donc 160 avions seront chaque jour en connexion avec Doha. Imaginez le bilan carbone. Sans parler de l’argent roi et des affaires de corruption actées par la justice.

Comment couvriez-vous cet événement habituellement ?

Parfois en envoyant un correspondant. Mais en raison de notre plan de départ qui a touché 40 % de notre effectif, nous sommes obligés d’être drastique. Nous le couvrons avec les dépêches de l’AFP.

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Et quel sera précisément votre traitement éditorial cette année ?

La directrice du journal, Carole Chane Ki Chune, la fille du fondateur, a validé notre proposition. Nous avons fait passer nos valeurs avant nos profits. Nous sommes tombés d’accord pour ne pas couvrir l’aspect sportif et compétitif de cette Coupe du monde. En revanche, nous ferons des articles sur les droits de l’homme, l’environnement et tous les aspects de société autour de ce mondial.

Pourquoi avoir fait la une sur ce sujet le 13 septembre ?

C'était le jour des 46 ans de notre journal. Nous avons ainsi rappelé nos valeurs d’indépendance et d’engagement contre la violence. Nous avons détaillé notre position en une, et dans un dossier de quatre pages. Nous avions annoncé aux équipes cette décision la veille.

Comment a-t-elle été accueillie ?

Il y a eu des applaudissements. Certains ont parlé de « fierté », d’autres ont exprimé leurs craintes sur l’impact économique. Car la presse régionale est fragile. On peut imaginer que certains lecteurs ne nous achèteront pas, ne trouvant pas de résumé des matchs, et que certains annonceurs ne viendront pas chez nous.

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Avez-vous évalué le manque à gagner publicitaire ?

Peut-être entre 6 000 et 8 000 euros. Lors de la dernière Coupe du monde, notre supplément nous avait rapporté 14 000 euros.

Et comment ont réagi les lecteurs ?

À 99 % de manière positive.

Quels sont les bénéfices de cette prise de position ?

Si nous avions voulu faire un coup de com, nous n’aurions pas pu faire mieux. Cela a pris une ampleur incroyable. L’AFP a publié une dépêche qui a entraîné nombre de reprises, d’articles et d’interviews dans la presse hexagonale, en Suisse, en Belgique, au Canada, en Israël et en Suède, alors que l’on imaginait que cette décision n’irait pas au-delà de notre île. Des lecteurs se sont abonnés pour nous féliciter et nous soutenir. Cela nous vaut un solide capital sympathie.

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