Venue d’Arte, Emelie de Jong a été choisie par Sibyle Veil pour succéder à Sandrine Treiner à la tête de France Culture. Rencontre avec une femme du monde et de cultures.

Elle a coiffé au poteau une prestigieuse liste des prétendants potentiels au poste de directeur de France Culture. Soit le matinalier de France Inter Nicolas Demorand, le directeur des éditions du Seuil Hugues Jallon, Marc Voinchet, directeur de France Musique, et Bérénice Ravache, directrice déléguée de France Bleu, ou Emmanuel Laurentin, producteur du Temps du Débat. Florian Delorme, délégué aux programmes qui assurait l’intérim, avait rejoint la liste.

Américano-Néerlandaise née à New York en 1964, Emelie de Jong ne peut réfréner un discret sourire quand on évoque cette concurrence supposée sans que personne n’ait cité son nom. C’est la présidente de Radio France qui l’a sollicitée. « Je ne m’attendais pas du tout à cette proposition. Une connaissance commune avait conseillé à Sibyle Veil de me rencontrer même si l’on se connaissait de manière institutionnelle », confie-t-elle, installée devant la table de réunion en bois qui meuble son sobre bureau. Étagères tapissées de livres, mini-frigo, tout y est fonctionnel. Ce n’est pas pour déplaire à celle qui a abandonné ses sandales d’été sous son poste de travail pour chausser des talons hauts.

Passation de pouvoir

A-t-elle tergiversé ? « Oui, bien sûr, j’ai hésité car Arte est une très belle chaîne et en tant que directrice des programmes, j’étais au cœur du réacteur avec un très beau regard sur le groupe auquel j’avais encore beaucoup à apporter. Et j’avais un grand plaisir à travailler avec les équipes. Mais Sibyle m’a convaincue de relever le défi. » Les équipes, justement, avaient pâti du management mené par Sandrine Treiner. « Le collectif a vécu des moments difficiles. Mais je sens une envie d’aller de l’avant, une très grande intelligence et une très belle force de proposition », assure celle qui, au sein d’Arte, est entrée stagiaire au service de presse avant d’encadrer les six artisans de Tracks, l’émission culte des cultures underground, puis de diriger l’unité Arts et spectacles, et enfin les programmes d’Arte, GEIE aux 570 salariés. On lui doit notamment H24, une série sur les violences faites aux femmes.

Emelie De Jong a rencontré sa prédécesseure, Sandrine Treiner, conspuée par les uns pour son management implacable et admirée par les autres pour ses résultats non moins implacables. « C’était une passation de pouvoir entre deux pros et deux femmes qui ont le même goût pour cette antenne. Elle m’a parlé des dossiers importants. C’est une femme très vive et d’une grande intelligence, qui tient beaucoup à France Culture ». Elle voit ces chaînes « comme des sœurs aux mêmes valeurs d’exigence de qualité et de missions de service public fondées sur l’accessibilité ».

Sa feuille de route ? « Accompagner et amplifier une belle dynamique déjà présente », répond-elle. Mais elle veut aussi mettre au cœur de l’antenne débats et dialogue. Pour sa première grille de rentrée, elle a choisi de rappeler le scientifique Étienne Klein, de proposer une chronique dans la matinale à Esther Duflo, prix Nobel d’économie, et de confier un Book Club - qui double son temps d’antenne - à Marie Richeux. La matinale de Guillaume Erner « embrassera plus largement les enjeux de la planète avec une bande sérieuse et joyeuse » en place dès 6 h 30. Enfin, c’est Hervé Gardette, rédacteur en chef du 28 minutes d’Arte qui reprendra L’Esprit Public laissé vacant par Patrick Cohen.

« Rebelle et insolente »

Pour relever ses défis, cette « femme de terrain » comme elle aime se voir, a une connaissance bien rodée du concept de « média global », cher à Arte. Mais aussi une enfance qui a aiguisé sa curiosité, bercée par « une éducation éclectique et excentrique, comme l’étaient mes parents. Mon père, conseiller en art pouvait nous emmener à Helsinki ou Porto Rico, découvrir l’œuvre d’un architecte ou des concerts de musique traditionnelle. »

Un caractère impatient et joyeux : « À 17 ans, j’étais rebelle et insolente et aujourd’hui encore, il y a beaucoup de choses que j’ai du mal à prendre au sérieux. J’ai besoin d’humour et de gaieté. » Les équipes apprécieront. Son non-conformisme l’a amenée à copiner avec le futur écrivain Bret Easton Ellis en apprenant le piano dans le Bennington Collège, dans le Vermont. Elle y a adopté la devise de l’établissement « Learning by doing ». Elle a ensuite choisi Paris, se formant à l’École normale de musique, à la Sorbonne sous l’égide d’Antoine Compagnon et de Chantal Thomas, et à Sciences Po avec Jean-François Sirinelli. Elle a croisé Pierre Soulages et Iannis Xenakis. Sans savoir encore qu’elle ne quittera plus la France et la culture.

Parcours

1964. Naissance à New York.

1985. Bachelor of Arts au Bennington College, dans le Vermont.

1988-1994. Arrivée à Paris. Diplôme de l’École normale de musique (piano), maîtrise en musicologie à l’université Paris-Sorbonne et DEA d’histoire culturelle à Sciences Po Paris.

1992. Entrée à Arte comme stagiaire au service de presse d’Arte.

2011. Nommée directrice de l’unité Arts et spectacles.

2022. Nommée directrice des programmes d’Arte.