Le groupe M6 a été confronté cette année à un épineux sujet de réputation à travers son animateur Stéphane Plaza, mis en cause pour violences conjugales. Regards croisés de spécialistes de la communication de crise.

C’est, pour M6, le principal chantier de communication de l’année : comment gérer l’affaire Plaza ? L’animateur de 53 ans, sur lequel une enquête préliminaire a été ouverte le 10 octobre pour « violences par conjoint », à la suite de courriers envoyés par deux anciennes compagnes, a été maintenu à l’antenne. Une enquête interne a été bien sûr déclenchée et l’ordre est ensuite venu d’en haut : il faut sauver le soldat Plaza, animateur préféré des Français de 2019 à 2021 et, de surcroît, un associé en affaires, M6 ayant 51 % de son réseau de 700 agences immobilières.

Comme Sébastien Cauet, mis en cause, lui, pour des faits de viol ou d’agression sexuelle, Stéphane Plaza a porté plainte contre les plaignantes pour harcèlement et cyberharcèlement. Mais à la différence de la star de NRJ, il n’a pas été suspendu. Jean-Marc Morandini, maintenu à CNews malgré une condamnation à six mois de prison avec sursis pour « harcèlement sexuel » sur un jeune comédien, a cru bien faire en publiant sur son blog un article de soutien affirmant « que les agences immobilières pourraient réclamer des millions à celles et ceux qui ont harcelé l’animateur en raison d’un préjudice d’image ». Un terrain miné, car si préjudice d’image il y a, M6 pourrait tout aussi bien se retourner contre son animateur en cas de condamnation. Tout comme le réseau d’agences immobilières qui payent 8 % de leur chiffre d’affaires pour leur franchise, selon Capital.

Présomption d’innocence

Sur BFM Business, le patron de M6, Nicolas de Tavernost a souligné le 6 novembre que deux enquêtes internes, sur la chaîne et chez son producteur Mediawan (Réservoir Prod) « n’ont donné aucun élément qui justifierait une sanction contre Stéphane Plaza. Je dirais même au contraire que ses collègues l’appuient plutôt ». Affirmant agir avec « toujours énormément de précautions » s’agissant de violences conjugales, il a aussi rappelé sans les nommer que l’animateur Gilbert Rozon, et l’acteur Ary Abittan, ont été écartés de La France a un incroyable talent pour l’un, et d’une série de M6 pour l’autre « et que cela a été un peu vite car ces deux personnes finalement ont obtenu un non-lieu » après des plaintes pour viol. La position du groupe, qui se refuse à communiquer sur cette affaire, est donc d’attendre l’issue de l’information judiciaire.

Contrairement à LCI, qui avait suspendu de son antenne Darius Rochebin, finalement blanchi des accusations de presse portées contre lui, M6 a donc fait le choix d’affronter la tempête médiatique au nom du respect de la présomption d’innocence. Cela n’est pas sans risque car l’enquête de Mediapart, qui a déclenché l’affaire le 21 septembre, a fait état de « violences verbales et psychologiques » : doigt cassé reconnu par l’animateur, « love bombing » assimilé à une technique de manipulation, comportement alcoolisé… Stéphane Plaza n’a alors plus rien du gendre idéal. Même son amie Karine Lemarchand, qui s’affiche avec lui et le défend de toute violence, reconnaît son côté « goujat ». Sur Instagram, pas sûr que le message « feel good » de l’animateur le 7 décembre soit suffisant : « J’ai la conscience tranquille, je continue et continuerai de défendre la cause des femmes ! »

M6 a-t-il donc bien fait de ne pas lâcher son animateur qui, selon L’Informé, contribuerait pour 8 % aux recettes publicitaires de la chaîne sur les huit premiers mois de 2023 et pour 25 millions d’euros de chiffre d’affaires et 17 millions de bénéfice opérationnel en 2022 à Stéphane Plaza Immobilier ? « Il y a une mécanique particulièrement complexe de la gestion de crise qui tient à la célébrité de Stéphane Plaza. Son exposition médiatique démultiplie l’écho de l’affaire, analyse Jean-Christophe Alquier, expert de la communication de crise. Le deuxième facteur de complexité est lié à la procédure judiciaire qui crée, durant l’enquête préliminaire, une sorte de no man’s land : tant qu’on n’est pas mis en examen, on est entre deux. On n’a pas de statut judiciaire. » Or une enquête préliminaire peut durer des années… Et les faits reprochés à Stéphane Plaza se sont produits dans la sphère privée. Le rôle de M6 n’est pas d’arbitrer sur ce volet-là.

« Stratégie du gros dos »

L’affaire résonne aussi avec d’autres révélations de violence conjugale qui mettent ou ont mis les accusés sous pression, que l’on songe à Adrien Quatennens (LFI) ou Mathias Vicherat (Sciences Po). Pour Stéphane Plaza, s’il a bien eu le 10 octobre un rassemblement de protestation avec 25 à 30 personnes devant M6 au nom d’un MeTooMedia, il est sans doute trop tôt pour savoir si son image en sera durablement affectée. « Pour M6, c’est une stratégie du gros dos assez classique, c’est j’assume, circulez y a rien à voir, résume Philippe Moreau Chevrolet, qui a cocréé « Kinsugi » sur le risque réputationnel. Contrairement aux États-Unis, où le rapport de force est très favorable aux réseaux sociaux, on se caractérise en France par un équilibre avec les institutions qui se refusent à désavouer quelqu’un quand il est utile à l’organisation. Et on a une culture autoritaire : c’est le chef qui décide, pas les parties prenantes, pas le grand public. »

Reste à voir si les audiences n’en seront pas altérées. Les 25 novembre et 7 décembre, celles de son émission Tout changer ou déménager peuvent être jugées décevantes avec 5,7 % puis 6,3 % du public, et une cible FRDA à 11,5 % et 12 %, loin des 25 % de 2022. Le risque est certes plus limité qu’avant avec une présence mensuelle à l’antenne - et non en access. Mais l’homme tourne aussi un téléfilm, annonce un projet avec Mediawan… « Pour M6, qui pris la majorité du capital de son réseau immobilier, Stéphane Plaza n’est pas seulement un animateur mais un actif et désormais un risque industriel », rappelle Jean-Christophe Alquier, même si « cela ne va pas empêcher les gens de passer la porte des agences ». Mais pour Philippe Moreau Chevrolet, « c’est encore plus grave quand on a une crise immobilière ».

L’affaire écorne aussi l’image populaire de l’animateur. « Stéphane Plaza, c’est le copain de la famille, sympa, un peu gaffeur… Il y a un hiatus absolu entre ce que cette crise met à jour de sa vie privée et son image publique. Dans une société du dévoilement, la dynamique qui s’enclenche est celle de la personnalité démasquée. C’est cette histoire qui se joue, si les accusations sont justifiées », développe Jean-Christophe Alquier, avant de rappeler « l’idéal Plaza » conceptualisé par l’essayiste Jérôme Fourquet. Cet idéal porte sur la propriété, le rêve du pavillon avec jardin mis en scène dans les émissions, une aspiration enracinée chez une partie des Français.