Evénement

Arrivés en tête au premier tour de l’élection présidentielle avec respectivement 27,8% et 23,1% des votes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen affichent des positions souvent irréconciliables sur les marques, les médias ou le numérique. 

Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ce n’est pas seulement un clivage entre deux choix de société, deux options économiques, deux philosophies face à l’Europe… C’est aussi un fossé entre deux programmes concernant l’audiovisuel public, le soutien à l’information, la prise en compte du climat dans les dépenses de communication. À l’heure où jamais la candidate du Rassemblement national n’a été aussi proche du président-candidat dans les sondages de deuxième tour, Stratégies s’est projeté dans leurs programmes respectifs concernant les médias, la publicité, le numérique ou la culture.

  • EMMANUEL MACRON

« États généraux de l’information ». Le président-candidat défend la notion d’« indépendance culturelle et informationnelle ». Il a présenté cette idée le 17 mars à Aubervilliers lors de la présentation de son projet en conférence de presse : « Les crises que nous vivons, les transitions, les nouvelles formes de guerre montrent combien la fiction, l’information, la création forgent les esprits dans les sociétés démocratiques ouvertes et sont des sujets de souveraineté et d’indépendance ». D’où la volonté de « protéger l’information libre face aux ingérences », en particulier sur le numérique. Cela passe par « des états généraux pour le droit à l’information » qui « établiront les éléments susceptibles d’établir une information libre et indépendante ». Jean-Marc Dumontet, son représentant « culture », a été plus explicite le 28 mars devant le club We are. Pour lui, « les algorithmes atomisent et exacerbent les points de vue ». Les réseaux sociaux sont même comparés aux « journaux va-t-en-guerre de 1914-1918 ». Le rôle de ces États généraux vise donc à « interroger le droit à une information fiable ». Et de poursuivre : « Ce ne sont pas les grandes plateformes et les hébergeurs, qui sont juges et parties, qui le garantiront. À nous d’imaginer ces dispositifs très ténus, mais il faut certainement flécher la vertu et encourager les journalistes dont le travail est de recouper leurs sources. » C’est pourquoi Emmanuel Macron a cité RSF lors de sa conférence de presse : l’association propose justement avec l’AFP un label permettant d’exclure de la ressource publicitaire les sites délivrant des infox. Le président veut consolider « un modèle économique viable pour une information libre et indépendante et pour la production de documentaires. » 

Audiovisuel public. C’est l’une des rares choses annoncées avant le premier tour : Emmanuel Macron veut supprimer la redevance qui, de toute façon, disparaît, car celle-ci ne peut plus être adossée à la taxe d’habitation à partir de 2023. Les Français n’auront donc plus à payer 138 euros – à condition de disposer d’un téléviseur – et l’État reprendra entièrement la main sur 3,2 milliards d’euros qu’il alloue à ses entreprises audiovisuelles publiques via la redevance, comme il le fait déjà en remboursant 600 millions d’euros d’exonération pour les foyers modestes. De là à penser qu’une telle dépendance lui permettra de façonner à sa guise le monde audiovisuel public, y compris sur le plan éditorial, c’est la crainte exprimée par de nombreux acteurs de la filière. La fin d’une taxe affectée augurerait d’un régime de pressions. « La redevance, c’est du fétichisme, une ligne Maginot, a répliqué, le 28 mars, Jean-Marc Dumontet. Il n’y a pas de corrélation entre une taxe affectée et le respect de l’indépendance. La redevance est un leurre. Il n’y aura pas d’audiovisuel public s’il n’y a pas de volonté politique forte, et le président a cette volonté. » Emmanuel Macron pourrait aussi en profiter pour remettre en chantier sa loi réformant l’audiovisuel public, interrompue par le covid, ne serait-ce que parce qu’il convient d’adapter à l’ère numérique la loi sur la communication de 1986.

Piratage. Le candidat s’est engagé dans la défense du droit d’auteur et du droit voisin au niveau européen. Une loi contre le piratage a déjà été votée lors de son mandat. Selon Jean-Marc Dumontet, il s’agit d’aller plus loin. « Il faut être plus virulent sur les systèmes qui prospèrent et peut-être passer à une contravention plus qu’à une judiciarisation de ceux qui piratent », traduit-il. Le candidat lui-même a parlé le 17 mars, lors de sa conférence de presse à Aubervilliers, de « poursuivre l’aide à la création et aux artistes par une deuxième étape de la commande culturelle » et de développer la création « au-delà de la stratégie de commande publique », en « défendant droits d’auteurs droits voisins ».

Métavers. « Nous nous battrons pour défendre un métavers européen », a également affirmé le candidat le 17 mars en mettant en avant la « possibilité pour les créateurs de créer et de ne pas dépendre d’acteurs et d’agrégateurs anglo-saxons et chinois qui pourront, sinon, contourner nos règles du droit d’auteur et voisin ». Dans son programme, il parle aussi de « proposer des expériences en réalité virtuelle autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations ». À travers les métavers, Jean-Marc Dumontet souligne qu’il s’agit de transformer en « utopie » ce qui peut être aussi une « dystopie » : « On n’a pas vu arriver les plateformes et à quel point elles peuvent saccager la démocratie ».

Pass culture. Le candidat entend poursuivre l’extension de son « pass culture » qui peut être déployé auprès des 15-17 ans depuis le 1er janvier 2022, après avoir proposé été proposé aux 18 ans en juin 2021. Trois cents euros sont alors remis aux jeunes pour qu’ils les dépensent en services culturels (livres – y compris mangas – musées, cinémas, musique…).

Apprentissage numérique. Emmanuel Macron souhait sensibiliser au codage et aux usages numériques dès la classe de cinquième. Plus globalement, il veut transformer l’État en mettant en place des applications et estime entre 400 000 et 500 000 les besoins d’experts digitaux et de développeurs supplémentaires. Pour aider à la maîtrise des outils numériques, il prévoit aussi de former 20 000 accompagnateurs.

Cybersurveillance. Le candidat-président souhaite une plus grande régulation des plateformes et des réseaux sociaux. Un filtre anti-arnaques devra avertir avant toute visite sur un site potentiellement piégé. Côté pornographie, l’Arcom est déjà en mesure de déférer devant le juge des sites qui ne verrouillent pas leur accès à des mineurs. Emmanuel Macron assume les « interdits d’écrans et d’accès aux réseaux pour nos enfants et jeunes adolescents » et entend « réguler les plateformes et les réseaux sociaux face aux contenus pédopornographiques ».

Europe. Emmanuel Macron veut investir pour développer des champions européens du cloud et consolider notre réseau satellitaire. Dans le cadre de sa « planification accompagnée », il veut aussi la mise en œuvre d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe.

Innovation et climat. Outre cette taxe carbone pour les extra-européens, le candidat veut le développement de solutions de « décarbonation » dans le prolongement de sa loi climat et résilience de 2021. Il entend aussi mettre sur pied une filière française chargée de concevoir une « offre abordable de voitures électriques ». Il veut en outre que soient investis chaque année 30 milliards d’euros dans l’écosystème des start-up françaises.

  • MARINE LE PEN 

Privatisation de l'audiovisuel public. Pour Marine Le Pen, il faut revoir d'urgence la place de l’audiovisuel public. Selon la candidate RN, « parce qu’on est une grande démocratie (…) on n’a pas besoin d’avoir un service public de l’audiovisuel aussi important », « à part un audiovisuel pour l’Outre-mer et un audiovisuel pour que la voix de la France dans le monde continue à porter ». Elle s’engage donc à « privatiser l’audiovisuel public pour supprimer les 138 euros de redevance ». La candidate n’a en revanche pas détaillé les moyens nécessaires pour financer lc service public en Outre-mer [RFO] et à l'extérieur [France Médias Monde et TV5] si, une fois élue, elle supprimait la contribution à l’audiovisuel public. Arte et l’INA seraient aussi potentiellement épargnés. 

Gafam. La candidate entend « réduire l’empreinte des Gafam » et envisage de les « démanteler » pour favoriser l’émergence de géants français ou européens. « Les géants de la Big Tech ne s’imposent pas seulement en tant que force financière, économique et technologique mais aussi en tant que force morale et politique entrant en concurrence directe avec les États », juge-t-elle. Elle estime « possible » d’imposer aux Gafam des « contraintes légales exceptionnelles en raison de leur hégémonie », « de les obliger à conserver et traiter les données des Européens en Europe », « d’envisager une ouverture contrainte de capital à des sociétés européennes des Gafam voulant exercer en Europe » ou d’« obliger les maisons mères dont des filiales exercent en Europe à rompre le lien hiérarchique qui les unit afin que ces filiales européennes deviennent des sociétés indépendantes ». La candidate appelle, par ailleurs, à « être vigilants vis-à-vis des géants du numérique chinois », prenant à témoin le bras de fer entre l’ex-président américain Donald Trump et le réseau social TikTok. 

Collecte des données. Pour Marine Le Pen, le numérique est une source de progrès mais a aussi des aspects négatifs. Du fait de la domination des entreprises américaines et chinoises, la France et les pays d’Europe sont à ses yeux « trop dépendants et ne profitent que marginalement » de la croissance du numérique. « La souveraineté de la France et des pays européens est même remise en question de quatre manières », souligne la candidate dans le volet consacré au numérique de son programme. « La première, parce que toutes les données personnelles collectées profitent essentiellement à ces entreprises étrangères pour renforcer leur expansion. (…). La question de la collecte des données (…) - qui les collecte, où sont-elles hébergées, combien de temps, quelle utilisation peut-il en être faite, qui contrôle le respect des règles édictées- est donc fondamentale. (…). La troisième, parce que les règles qui garantissent une concurrence équilibrée peinent à s’appliquer (…). On le constate (…) en matière de fiscalité. Les grands groupes du numérique étrangers échappent au paiement des impôts qu’ils doivent dans de nombreux pays. (…) Le grand défi (…) est donc de garantir la protection des données personnelles de leurs citoyens, de favoriser l’émergence et le développement d’acteurs locaux, d’imposer le respect des règles que trop d’entreprises étrangères ont pris l’habitude de violer, et de maîtriser la sécurité des intérêts de la France et des Français dans le cyberespace. » 

Médias et journalistes. Pour la candidate, c’est aux journalistes et aux politiques qu’il « incombe de faire vivre le débat démocratique, le rendre plaisant et accessible, intelligible et, dans la mesure du possible, intelligent ». Selon elle, les responsables politiques sont en mesure d’avoir « des exigences » à l’égard des médias comme la « loyauté » ou l’impartialité. D’où la volonté pour cette dernière d’avoir des relations « les plus professionnelles possible » avec les médias. Elle déplore un « déséquilibre dans l’exposition des idées ». « Il faut avoir vécu dans une grotte depuis 20 ans pour avoir le sentiment qu’il n’y a pas un déséquilibre dans l’exposition des idées dans l’ensemble de l’espace médiatique ». Enfin, Marine Le Pen se montre favorable à une lourde sanction de la presse en cas de violation du secret de l’instruction pour éviter toute « instrumentalisation » de la justice. « En Grande-Bretagne, on n’a pas le droit, il y a un secret de l’instruction, c’est très réglementé et c’est très bien. Ça permet d’avoir une justice qui n’est pas instrumentalisée ou ne cherche pas elle-même à instrumentaliser les médias », illustre-t-elle. 

Marques. « Mon projet économique se résume en une phrase : tout pour les PME/TPE », a lancé début mars la candidate. « Je considère que depuis de nombreuses années, tout a été fait pour les grands groupes », estime-t-elle. En d’autres termes, si la candidate d’extrême-droite venait à être élue, c’est un bouleversement de l’ordre établi qui s’annonce pour les marques. Marine Le Pen promet ainsi de « donner la priorité aux PME pour les marchés publics », « baisser la TVA de 20% à 5,5% sur les carburants, le fioul, le gaz et l'électricité », « renationaliser les sociétés d'autoroutes », « baisser les impôts de production des PME-TPE » ou « créer un impôt sur la fortune financière » afin de « taxer la spéculation ». Dans le secteur de l’énergie, celle-ci veut « supprimer les subventions aux énergies ‘’intermittentes’’ », « arrêter les projets éoliens et démanteler progressivement les parcs existants », « relancer la filière nucléaire, hydroélectrique et investir dans l'hydrogène ». Enfin, sur le volet agroalimentaire, la candidate ambitionne de « retirer l'agriculture des traités de libre-échange », « faire intervenir l'État dans la fixation des prix », « interdire les importations ne respectant pas les normes françaises » ou « contraindre les cantines à utiliser 80% de produits français »

Recours aux cabinets de conseil. Elle pointe enfin le recours aux cabinets conseil. « Bien sûr qu’un cabinet de conseil n’est pas illégal en soi et qu’une collectivité, une administration ou même l’État peuvent être fondés à y avoir recours. (…) Mais en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. (…) Une intrusion privée de cette ampleur dans la conduite des affaires publiques pose trois questions symboliques. (…) Cela est choquant pour les contribuables qui paient ces gaspillages manifestes (…) », a commenté la candidate en référence au cas McKinsey. Sans préciser vouloir mettre un terme à des pratiques largement partagées à l’échelle européenne. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.