Plus qu'une simple relocalisation de l'industrie, nous devons aller vers des aspirations partagées comme la transmission des savoirs et s’attaquer aux problèmes sociaux tels que le déclassement.

Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un immeuble abritant une usine textile s’effondre au Bangladesh. Le bilan est de 1 138 morts parmi les ouvriers dont on découvre les conditions de travail d’un autre âge pour des marques occidentales. Plus près de nous, l’explosion en 2001 de l’usine AZF de Toulouse causait 31 morts et 2 500 blessés. Certes, les faits rapportés ne sont pas de même nature, mais ils montrent que la relocalisation des industries en France doit s’accompagner de transformations majeures en matière de RSE : le made in France doit plus que jamais être un made in autrement.  

Sous l'impulsion du président Macron, le gouvernement a lancé en 2021 un vaste chantier de relocalisation des industries stratégiques. Le plan France 2030, doté de 54 milliards d'euros sur cinq ans, vise à combler le retard industriel français, à stimuler les investissements dans les technologies innovantes et à soutenir la transition écologique. Cependant, les stratégies de relocalisation soulèvent inévitablement la question cruciale de la valeur ajoutée du made in France. La marque pays n’est certes pas une marque comme les autres. Multidimensionnelle, multi-acteur, multi-cible et sans pilote dédié, sa gestion n’est pas simple, mais elle est soumise au même principe de réalité : elle doit prouver sa valeur ajoutée pour continuer d’exister.

La mission Marque France avait en 2013 retenu trois valeurs fondamentales pour la marque pays : la passion comme l’amour des gestes et des savoir-faire, la vision comme reflet du désir du donner du sens et la création née de l’effet de surprise. Le degré d’abstraction de ces valeurs et leur caractère trop élitiste laissaient déjà entrevoir une difficulté bien réelle : comment ancrer de telles valeurs dans le vécu de nos concitoyens et échapper à la suspicion de n’être que « communication » ? En matière de made in France, il ne faut pas reproduire la même erreur en s’intéressant au message (la communication) alors même que le sens (le positionnement) n’a pas été clairement établi.

S'éloigner des modèles de production à bas coûts

Or pour créer une réelle valeur ajoutée, il est essentiel de s'éloigner des modèles de production à bas coûts qui ne sont pas applicables à notre pays, mais aussi des stratégies de montée en gamme limitées aux seuls marchés de niche. Si les stratégies de coûts bas ne sont pas réplicables, les stratégies de premiumisation ne sont pas la panacée car elles supposent que les concurrents à bas coûts ne sont pas capables d’opérer une montée en gamme de leur offre, ce qui n’a jamais été le cas, et la Chine le démontre chaque jour.

Dès lors, le made in France doit se décliner en made in autrement, qui lui seul crée la différenciation nécessaire pour assurer à nos entreprises un avantage concurrentiel. On n’achète pas un bien pour sa seule (re)localisation mais parce que cette localisation renvoie à un certain nombre de propriétés distinctives. Les Allemands sont reconnus pour leur accent sur la qualité, les Italiens pour leur style, les pays nordiques pour leur design fonctionnel, les Américains pour leur innovation technologique. Ces propriétés distinctives puisent dans la culture, l’héritage, le patrimoine de chaque pays. Et en ce qui concerne la France ? Nous sommes « transgressifs », selon la Mission France (« nous créons des choses inattendues », « nous faisons l’événement »). Cette valeur est peut-être en phase avec les attentes des populations jeunes, urbaines et aisées de notre pays, mais elle ne peut être un projet fédérateur pour toutes les classes sociales.

Le made in France doit reposer sur des valeurs crédibles et unificatrices plutôt que sur des projections fantasmées. Toutefois, dans une société où les valeurs individuelles prévalent sur le destin collectif, il n'est pas facile de définir un ensemble de valeurs que les Français sont enclins à partager. A l’heure où la justice sociale, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont des enjeux cruciaux pour le développement durable, il est essentiel que le made in France intègre pleinement les principes fondamentaux de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Cela permettra de construire un modèle de compétitivité qui ne peut pas reposer uniquement sur des coûts bas, mais qui doit pleinement intégrer la justice sociale et la durabilité environnementale.

Aspirations partagées

Le made in autrement doit reposer sur des aspirations partagées comme la transmission des savoirs, la formation continue, le désenclavement territorial, la mobilité sociale, la préservation des écosystèmes... Le made in autrement doit s’attaquer aux problèmes sociaux tels que le déclassement et redonner du sens au travail.

S’inscrire dans une démarche de souveraineté économique, en partant du besoin des territoires et des populations, est de notre point de vue la bonne vision pour concilier trois ambitions pour les entreprises : la performance, la justice sociale et la protection des écosystèmes. Cette démarche permet d’éviter les schémas simplistes en prenant en compte toutes les externalités négatives (et pas seulement les coûts). Il existe un juste milieu entre la stratégie de réduction des coûts et la préservation des acquis sociaux et environnementaux, sans pour autant construire des chaînes de valeur dont la seule finalité est de satisfaire les consommateurs aisés.

L’enjeu du made in autrement, construit autour d’une souveraineté économique assumée, est de redonner aux entreprises la capacité d’agir en leur offrant des marges de manœuvre qui font défaut dans de nombreux secteurs. Cela permettra aux acteurs économiques nationaux ou européens de définir et mettre en œuvre leurs propres stratégies dans l’intérêt commun de l’humanité.