TRIBUNE

Érigé en super-héros capable de solutionner n’importe quel problème ou dépeint comme un imposteur, le fondateur d’une entreprise déchaîne les passions. Il est grand temps de démystifier son rôle.

Les époques changent mais pas l’image du chef d’entreprise. Malgré les siècles, la succession de régimes politiques et de courants économiques sans oublier les nombreuses mutations de l’entreprise, il reste perçu comme un robot programmé pour exploiter les travailleurs selon une logique froide de profitabilité qui ne souffre d’aucune empathie.

Avide et insensible, il ne vivrait que pour la gloire et l’argent. Un portrait peu reluisant qui traduit une réalité bien française au sein de laquelle il est difficile de faire accepter l’idée que la valeur créée par une entreprise puisse être partagée entre collaborateurs, dirigeants et investisseurs de façon équitable. Dans cette fable comme dans celles de Jean de La Fontaine, il nous faut un gagnant et des perdants.

Paradoxalement, on attend du chef d’entreprise qu’il soit en tout point parfait : toujours en maîtrise, cohérent, exemplaire, pédagogue, bon gestionnaire, humain bien entendu, sans état d'âme ni jamais empreint aux doutes. On attend évidemment de lui qu’il soit inspirant et fasse preuve de leadership vis-à-vis de ses équipes. On tolère qu’il soit accessible, mais ne serait-ce pas là encore une énième stratégie montée de toute pièce à des fins manipulatoires pour obtenir ce qu’il souhaite ?

Dans cette relation ambivalente entre la société civile et les entrepreneurs, amour et haine se mélangent comme souvent pour ne faire qu’un et se traduire sous la forme d’un «je t’aime, moi non plus» fluctuant au gré des saisons.

Souvent, une fois le succès arrivé, on retiendra de lui qu’il gagne beaucoup d’argent et qu’il a bâti «un empire», parfois avec envie ou même jalousie. Mais qui se souviendra des nuits blanches à retravailler le business plan, des déceptions humaines qui font partie de son aventure, des engagements personnels qu’on lui a parfois imposés lorsqu’il s’est retrouvé caution personnelle en hypothéquant sa maison ou a dû arrêter de se payer durant de longs mois pour assurer la survie de son entreprise et le maintien des emplois qu’il a créés ?

Ni héros, ni salaud, juste humain

Dans son dernier livre, Anthony Galluzzo s’attaque «aux entrepreneurs storytellers qui nouent des relations symbiotiques avec les journalistes avides de bons clients». Et si on arrêtait cet éternel débat entre «leader inspirant» et «dirigeant d’entreprise avide» ? Et si le chef d’entreprise était, comme tout un chacun, non pas effectivement un «être d’exception» mais un simple humain, imparfait par nature, doté de sentiments, qui mérite respect, empathie et parfois même compassion ? Non, l’entrepreneur n’est pas un usurpateur, ni un héros d’ailleurs.

L’entrepreneuriat n’est pas un simple métier. C’est une façon de défendre ses convictions et de construire l’idéal de société dans lequel on souhaite vivre. Certains diront qu’il s’agit d’une démarche égoïste, d’autres l’envie de créer un collectif autour de soi et d’un projet commun. Peu importe, car dans tous les cas, à l’heure où des transformations majeures sont nécessaires pour préserver la vie sur notre planète, les entreprises ont un rôle crucial à jouer. C’est cette vision d’un monde meilleur qui pousse toutes celles et ceux qui y croient à se battre coûte que coûte pour que leur projet réussisse. C’est ce qui crée la motivation, moteur nécessaire de l’action, et provoque l’innovation.

Ne victimisons donc pas nos entrepreneurs qui ont choisi de servir leur projet en connaissant les contraintes inhérentes à leur futur rôle. Mais à l’heure où les faillites n’ont jamais été aussi élevées en Europe, soyons fiers de celles et ceux qui, sans être des super-héros, prennent chaque jour dans notre pays d’immenses risques financiers, familiaux ou professionnels pour se donner les moyens de leurs ambitions et ainsi construire un avenir plus désirable pour tous. Ce faisant, ils créent des millions d’emplois et avec leurs collaborateurs innovent continuellement tout en participant à la nécessaire transformation de notre société vers un modèle enfin soutenable pour notre planète.

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