Trois ans après la crise sanitaire, le travail poursuit sa transformation. Mais peu de conversations portent sur le contenu même du travail. Il est temps de changer ça.

La place du travail dans le débat public est traditionnellement ténue. Alors que les Assises du travail, lancées fin 2022, devaient poser les fondations d’un nouveau Pacte de la vie au travail, nous aurions pu espérer l’ouverture d’un dialogue large et ouvert autour de l’évolution du contenu du travail. Or, au-delà des professionnels du travail, DRH et partenaires sociaux, combien de salariés se sentent concernés par ce débat ?

De nos jours, les conversations tournent principalement autour de l’emploi, qu’on désirerait plein, et très peu autour de son contenu, sauf quand ce dernier se révèle problématique. On investigue donc le travail à l’occasion de vagues de suicides, de démissions exprimées ou larvées, de dépressions liées au surtravail ou à l’ennui professionnel. Cette focalisation sur les dysfonctionnements ne peut que noircir le tableau et encourager une approche préventive des risques où la parole des experts supplante celle des salariés.

Il s’agit pourtant d’un débat de société. Et pour cause, trois ans après la crise sanitaire, le travail poursuit sa transformation : son unité de lieu, de temps et d'action a volé en éclat, ses formes et ses organisations se sont complexifiées, tandis que la maîtrise de l’information, de la communication et des outils immatériels y jouent plus que jamais un rôle central.

Questionnement des modes d’action des entreprises et de leur impact sociétal

Selon le State of the Global Workplace 2023 du cabinet Gallup, seulement 7% des salariés français se disent engagés dans leur travail. Ni particulièrement stressés, ni très désireux de quitter leur emploi, ces derniers semblent ressentir une forme d’apathie professionnelle. La perspective internationale devrait nous alerter car la France est en bas du classement européen, l’Europe étant elle-même en bas du classement mondial, bien derrière la Chine, les Etats-Unis ou la Russie.

Le renouvellement du contenu du travail passera immanquablement par un questionnement des modes d’action des entreprises et de leur impact sociétal : des engagements RSE clairs et se traduisant dans la pratique semblent incontournables. Pour susciter l'engagement des salariés, les organisations doivent elles-mêmes s'engager. Ainsi, on ne s’étonnera pas que moins d’un salarié sur dix estime que l’action de son organisation en matière de RSE est suffisante, tandis que près de deux candidats sur trois intègrent la politique RSE dans leurs critères de choix d’un nouveau poste.

Plus délicate se révèle la question de l’encadrement du travail : on recense peu d’étude française sur le type d’encadrement désiré par les collaborateurs. Il existe cependant un lien clair entre productivité et bien-être au travail d’une part, et autonomie et possibilité de tisser des liens sociaux entre collaborateurs, d’autre part. Un management propice à l'épanouissement au travail est donc un management qui encourage la synergie entre ces deux facteurs et instaure une communication bidirectionnelle, à laquelle nous ne sommes pas habitués : seuls 17% des salariés français disent avoir été consultés au moment d’un changement organisationnel les concernant. À l’aune d’un tel chiffre, il est difficile de ne pas lier l’absence de sens au travail ressentie par 29% des Français à la faiblesse de la communication et de la confiance accordée aux collaborateurs.

Santé et sécurité des collaborateurs

Enfin, il est attendu du travail qu’il assure la santé et la sécurité des collaborateurs. Sécurité physique d’abord – ce ne fut pas toujours le cas durant la crise sanitaire, pas plus que durant des épisodes caniculaires. Sécurité psychologique ensuite : à cet égard, à l’ère du télétravail généralisé, le principal risque pour les collaborateurs est celui d’une archipélisation du travail qui rendrait difficile l’entretien d’une sentiment d’appartenance à un collectif. Une telle évolution renforcerait en outre la subordination hiérarchique, en octroyant à l’encadrement le pouvoir d’accorder ou non sa confiance et son attention à des collaborateurs isolés physiquement.

Il est temps de poser le problème dans les termes adéquats : serons-nous capables de créer des modes d'organisation du travail collaboratifs et responsables, à la hauteur des enjeux du XXIe siècle ? Nous avons une planète à préserver, une implication des collaborateurs à restaurer et des habitudes managériales à repenser. Quelques pistes pour y parvenir : apprendre à écouter les collaborateurs, à réfléchir aux conditions de la confiance, sortir du culte de l’outil de gestion et de la mesure de performance individuelle, renforcer un dialogue social ouvert, inclure une jeunesse que le monde du travail ne fait plus rêver…

Sur tous ces enjeux, il est temps d’ouvrir le dialogue au sein des entreprises, mais également de nous appuyer sur les travaux de chercheurs, qui, de Michel Crozier à Daniel Kahneman, s'efforcent depuis des décennies de nous montrer comment rendre un collectif humain à la fois fonctionnel et efficient, sans que nous ayons jusqu'à présent pris la peine de les écouter sérieusement.

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