Ici New York
Dans la nouvelle chronique Ici New York, chaque semaine dans Stratégies, Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée là bas depuis un an, décrypte l'envers du décor new-yorkais. Aujourd'hui, comment l'abus de superlatifs est un garant du vivre-ensemble.

Voici le fruit d’observation quotidiennes depuis mon arrivée ici à New York en janvier 2014. Je me pensais super ouverte et avoir déjà abattue pas mal de nos clichés américains, mais rien de tel qu’une vraie plongée d’immigrée pour découvrir l’envers du décor, la puissance et les rouages incroyables du storytelling américain qui se glisse dans les moindres éléments de la vie quotidienne. En effet, on croit les connaître, on a été baigné dans leur pop culture, nous sommes des Occidentaux  comme eux et puis, plus on s’approche plus on perçoit le piège, le faux-miroir et l’énorme gap qu’il y a entre eux et nous.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas, je les aime, les Américains; mais les regarder, ça donne envie de les libérer de la puissance de la machine et ça nous autorise - nous les Français et les Européens - à nous percevoir différemment. Je vais tenter de décrypter ce qu’il se cache derrière la culture (économique, sociale et culturelle) de l’Amérique car je me suis rendu compte qu’il y avait une double lecture nécessaire pour comprendre et vivre en Amérique. Voici donc, d’humbles constats, et d’incroyables surprises à l’usage de ceux qui veulent regarder les américains dans le fond des yeux. Et ça n’est pas chose facile.

Clarisse Lacarrau

 

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L’un des premiers chocs à New York, c’est l’usage à tout va du compliment, et de tous les termes ultra-optimismes qui qualifient tout et n’importe quoi. «You are awesome» alors qu’objectivement vous venez juste d’apporter du café en réunion. «This is amazing» alors que vous racontez vos vacances banales en Italie. «I love you» et c’est votre futur employeur qui vous le dit (je n’exagère pas, promis!). Bref, cet usage à tout va de superlatifs brouille un peu nos capteurs d’Européens.
 
Ici, le compliment - action de féliciter quelqu’un pour un mérite particulier - n’a pas pour fonction de valider un acte, une qualité, ni même de créer un genre de chimie positive entre deux individus. Ici, il a une fonction sociale. C’est l’huile du moteur social qui fait que ces 300 millions de personnes et la tonne de diversités qui va avec arrivent à vivre ensemble. Le compliment aux Etats-Unis est un pacte relationnel neutralisant, un peu comme la bombe nucléaire en temps de guerre froide. Non, personne ne pense que vous êtes génial en vrai et tout cet amour balancé à la première minute n’a rien à voir avec un genre de coup de foudre.
 
Comment ça marche, cette guerre froide sociale? En te disant «tu es super», je te tiens à distance; tu ne peux pas émettre un quelconque jugement à mon égard; et je m’engage à en faire de même. Ainsi, le conflit, ou même le simple désaccord, n’a pas lieu et vu que c’est la chose la plus crainte par tous, c’est la paix garantie dans la communauté. Il est donc important d’y voir ni un caractère superficiel ou niais mais plutôt une technique sociale pour éviter tout forme de conflit.
 
Après quelques mois, on finit par y trouver quelques avantages car il n’est pas désagréable de s’entendre dire «darling» ou «sweetie» à la caisse du supermarché. Cela pacifie en effet toutes ces petites frictions quotidiennes qui font qu’un Français et surtout un Parisien dérape régulièrement en termes de langage et monte en pression pour rien.
 
Une leçon du «vivre ensemble» où votre goût pour l’honnêteté et la sincérité en prend un coup mais la prochaine fois, vous saurez que qu’il vous suffit de répondre «it’s terrific» pour maintenir la paix sociale.

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