Malgré une convergence avérée du monde de la vidéo et de celui de la télévision, il reste encore de nombreuses étapes à franchir pour que le média TV puisse tirer parti de la publicité programmatique. A l’évidence, ce que l’on appelle aujourd’hui le programmatique vidéo 1.0, qui a pourtant fait ses preuves dans le monde du digital et qui se développe en France en IPTV et catch-up TV, ne peut fonctionner pour un média en pleine mutation.

Depuis son émergence en format linéaire, la télévision a toujours été un média puissant, capable de toucher une audience de masse. Ce format traditionnel a été remis en question dès la fin des années 1990 avec l’apparition de services de streaming et de consommation de contenus à la demande. La tendance n’a eu ensuite de cesse de s’intensifier, appuyée par l’arrivée de plateformes vidéos avancées, telles que YouTube, Netflix et plus récemment Snapchat, Periscope ou Facebook Live. Dès lors, toute l’industrie de la télévision s’est retrouvée concurrencée par la fragmentation des écrans (téléviseur, mobile, tablette, ordinateur…), générant un déport progressif des audiences.

Situation paradoxale

Dans un même temps, la valeur des inventaires TV s’est dégradée (valeur moyenne nette du spot 30 secondes divisée par 2 entre 2007 et 2015, selon l'Irep) et le phénomène de surcharge publicitaire s’est intensifié, au risque de créer une overdose pour les téléspectateurs. A titre d’exemple, en 2009, le temps d’antenne accordé à la publicité est passé de 6 à 9minutes sur les chaînes privées, et une seconde coupure publicitaire a été autorisée dans les œuvres audiovisuelles et cinématographiques pour compenser la suppression des écrans publicitaires après 20heures de France Télévisions.

Autre phénomène à signaler au niveau mondial, la baisse de la part d’audience en TV linéaire alors que, paradoxalement, la demande en contenus augmente. Par exemple, en 2015 aux Etats-Unis, 77% du temps alloué à la consommation de contenus vidéo s’est fait sur un écran de télévision, contre 99% dix ans auparavant. Les usagers passent désormais plus de temps sur leur smartphone, tablette ou ordinateur que devant leur téléviseur.

Les usages TV avancés sont donc aujourd’hui installés via les box et écrans opérateurs, avec 80% des foyers qui consomment la télé en IPTV. Et c’est sur ce créneau du non-linéaire (accès en différé sur le téléviseur ou sur un autre terminal: smartphone, tablette ou ordinateur) que le programmatique TV a commencé à se développer en France, apportant une réponse aux annonceurs toujours en quête de qualité et d’efficacité pour diffuser le bon message, à la bonne audience, au bon moment.

Retard législatif

Si le modèle programmatique 1.0 se développe sur les plateformes digitales des chaînes TV, la question de la pertinence et de l'adaptabilité de ce mode d'achat et de ciblage se pose pour la télévision linéaire en France. Sur le papier, la TV programmatique devrait apporter une réelle valeur ajoutée pour les annonceurs, en offrant les mêmes bénéfices qu'en digital: une optimisation des opérations (automatisation des achats, optimisation du médiaplanning, achat en temps réel) et une possibilité de segmentation des campagnes (publicité ciblée et personnalisée, retargeting…). Le Graal pour les marques!

Pourtant, plusieurs obstacles tangibles se dressent. Premièrement, d'un point de vue législatif. Comment contourner la loi du 27 mars 1992, toujours en vigueur, qui impose que les messages publicitaires soient diffusés simultanément sur l’ensemble de la zone de service? Le décret d’application attendu en juillet 2016 sur la modernisation de la loi Sapin apportera-t-il de nouveaux éléments de réponse? Si la TV programmatique a su se développer plus rapidement dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, notre législation ne nous permet pas aujourd’hui d’avancer au même rythme, ni de répliquer leur modèle.

Modèle hybride

Ensuite, d'un point de vue technique. Outre le fait qu'il n'existe pas de norme technique commune dans le secteur audiovisuel, rendant difficile la communication entre les différents systèmes, la diffusion de publicités en temps réel constitue un défi technique d'envergure. A ce titre, le RTB [real time bidding] devra vraisemblablement être abandonné. De par son fonctionnement d’enchères en temps réel, ce mode d’achat ne peut en effet pas assurer un taux de remplissage des plages publicitaires à 100% et risque de déprécier la valeur des spots, et d’une manière générale de dégrader l'écosystème TV. La solution n'est pas de basculer la télévision dans le tout programmatique, mais bien d'évoluer vers un modèle hybride où le mode d'achat traditionnel («upfront», «traded deals» en allocation) coexistera avec un mode d'achat automatisé (type place de marché), en proposant le meilleur des deux mondes. 

La collecte des données est également un autre défi à relever, pour garantir aux annonceurs l'individualisation de leurs messages publicitaires. Réaliser un ciblage automatisé au niveau des impressions via les décodeurs n'est, aujourd'hui, techniquement pas faisable. Seules les chaînes qui ont mis en place un système de log en TV adressable (e.g. M6) ou d'abonnement (e.g. Canal+) sont sur la voie de la personnalisation, sur la base de données comportementales et démographiques de leurs utilisateurs. Il va sans dire que les discussions avec les FAI [fournisseurs d'accès à internet] sont cruciales, pour envisager d'enrichir la data IPTV.

La clé technologique

C’est un nouveau modèle qui doit maintenant être défini. Il est nécessaire que les acteurs de la chaîne de valeur se concertent et définissent un modèle de valeur où tout le monde est gagnant, et où la transparence et la protection des données sont assurées. Il faut également définir progressivement un périmètre d’action, notamment déterminer quelle part de leur inventaire les éditeurs vont allouer au programmatique ou quel type d’inventaire pourra être proposé aux annonceurs (premium, géolocalisé…).

La technologie est clairement l’une des clés de ce nouveau modèle. On voit d’ailleurs que le marché de l’«adtech» se structure, et que les silos ont été cassés. Seules les plateformes technologiques peuvent aujourd’hui garantir que l’optimisation est effective des deux côtés – DSP [demand side platform, service d'd’optimisation des achats d’espaces publicitaires display] et SSP [supply side platform, automatisation et optimisation de la vente d'espaces publicitaires] – et assurer la transparence et la protection des données de toutes les parties.

Dans une industrie qui évolue rapidement, le programmatique est indéniablement l’avenir de la télévision, qu'elle soit adressable, connectée ou linéaire. Mais la TV programmatique, surtout en linéaire, est un projet de longue haleine qui doit avancer par étapes pour prendre le temps de construire intelligemment la publicité TV de demain, en valorisant la qualité des contenus, en créant de la valeur pour les acteurs de l'écosystème, au service des performances des annonceurs et dans le respect des consommateurs.

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