Tribune
Produire moins pour produire mieux. C'est l'injonction du moment sur le front des stratégies de contenu. Mais le raisonnement est-il fondé ? Et peut-on vraiment performer en produisant moins ?

Sur le front des stratégies de contenu, c'est la nouvelle injonction ambiante : il faut privilégier le slow content – entendez produire moins pour produire mieux. Une recommandation la plupart du temps enrobée de bonnes intentions. Deux grands types d'arguments se combinent dans ces plaidoyers pour une production de contenus dite responsable – oui, très vite, les grands mots ont tendance à sortir même s'il ne s'agit là que de communication et de marketing.

Le premier type d'arguments est très cartésien : puisque les contenus prolifèrent (je vous épargne les stats plus ou moins bien sourcées du nombre de contenus produits chaque seconde à travers la planète) dans un univers où l'attention est finie, il en va de la responsabilité de chacun de ne pas ajouter du bruit au bruit. Donc, de produire moins et de déplacer l'effort de la quantité vers la qualité...

Je vois personnellement deux limites à ce raisonnement. Primo, il me semble discutable que l'attention soit finie. Oui, le livre de Bruno Patino, La Civilisation du poisson rouge, a fait grand bruit. Mais, jusqu'à preuve du contraire, la capacité au multitasking d'un poisson rouge est limitée, là où celle d'un être humain – et plus encore s'il est ado en 2020 – semble sous-estimée. En outre, au regard du succès avéré des podcasts – dont l'écoute est tout de même bien chronophage –, il n'est pas interdit de penser qu'il existe encore des réserves d'attention. Personnellement, avant de souscrire un abonnement à Netflix, je ne pensais pas trouver le temps de m'envoyer les cinq saisons de Peaky Blinders en quelques semaines. Et pourtant je l'ai fait.

Risque à diluer le message

Le second type d'arguments utilisé en faveur du slow content concerne davantage la marque. À écouter ses défenseurs, à trop produire, les marques s'éloigneraient de leur raison d'être (le fameux brand purpose) et dilueraient leur message – celui que la planète attend avec impatience. Ici, le slow content est donc vu comme une cure de détox qui permettrait de renouer avec un discours vrai, authentique et responsable (mode second degré on). Ne me demandez pas pourquoi, mais en écrivant cela, me vient l'image d'un logo et d'un arbre qui s'enlacent (mode second degré off). Bref, le slow content serait la voie (de l'ascète) à suivre pour renouer avec la singularité de la marque.

À bien soupeser tout cela, ces deux types d'arguments m'apparaissent surtout le fruit de jolis biais cognitifs. Rappelons tout de même que le premier raisonnement s'appuie sur des chiffres du type «chaque minute, 400 heures de vidéos sont uploadées sur YouTube». Oui ? Et alors ? Quel rapport avec notre attention ? Quant au second raisonnement, s'il s'inscrit fort opportunément dans l'air du temps, il omet que, pour toucher une audience, la singularité de la marque va devoir se matérialiser dans une sacrée ribambelle de canaux et formats. Pas franchement compatible avec une narration frugale...

Maintenant, mettons en sourdine le second degré et reconnaissons que oui, malgré les raccourcis, nous faisons bien face à une prolifération des contenus. Et qu'à défaut de savoir si nous atteignons la limite de l'attention cumulée dont sont capables nos cerveaux, il devient plus difficile de se faire entendre. Le slow content (le simple fait de produire moins) est-il la réponse ? Autrement dit, peut-on en produisant moins devenir une autorité sur un sujet et y prendre de la part de voix ? Peut-on, toujours en produisant moins, générer autant, voire plus de leads qu'avant ?

Précision et qualité

Après tout, un article récent de Digiday indique que des médias comme Le Monde, The Guardian ou The Times of London ont réduit le nombre d'articles publiés tout en augmentant leurs audiences. N'est-ce pas la démonstration des bénéfices du slow content ? À mes yeux (j'ai bossé 12 ans en presse), c'est surtout la preuve que ces médias commencent à trouver leur rythme de croisière entre staffing des équipes, volumétrie des sujets, formats des contenus et mesure d'engagement. De là à en déduire des bonnes leçons applicables à des marques qui, à de rares exceptions près, n'ont pas la volumétrie d'un média et cherchent encore les bons KPI pour défendre leurs investissements en contenu, cela semble... hasardeux.

Pour ces marques, le sujet me semble être moins celui du slow content que celui du «precision & quality content». Precision car avant de déployer une production de contenus, il est bon d'évaluer si le jeu en vaut la chandelle ; si l'effort requis pour prendre pied sur un terrain de jeu (sans doute déjà préempté par des concurrents) peut être profitable (eh oui, on parle business, là). Très concrètement, il m'arrive de dire à un client que, non, sur ce sujet-là, c'est trop tard ou hors de portée de ses moyens, que le content soit slow ou pas.

Quality car, en attendant que le fond de la cuve de l'attention soit atteint, le regard des publics s'aiguise. Sur chaque marché, l'exigence de qualité est là. Une vidéo considérée comme innovante il y a six mois sera perçue comme cheap aujourd'hui – cette péremption inévitable des formats questionne d'ailleurs le slow content qui vise la durabilité des contenus... Un content de qualité doit adopter un angle inédit avec une exécution technique parfaite au regard du canal emprunté. C'est le cœur de métier des médias ; moins celui des marques. Mais tout s'apprend. Oubliez donc le slow content et pensez «precision & quality content».

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