Tribune
La campagne présidentielle américaine s’est appropriée tous les codes des séries télévisées. Les politiques en France gagneraient à se mettre davantage en scène, sans pour autant tomber dans le populisme.

Le président sortant contaminé par une pandémie mondiale ? Aucun scénariste n’aurait osé. Et pourtant. Tout au long de la campagne présidentielle américaine, on a eu ce sentiment bien connu qu’aux États-Unis, la réalité dépasse la fiction. Celle-ci influence, au demeurant, la manière dont on appréhende la réalité. Les fans de la série À la Maison-Blanche projetaient ainsi en Barack Obama un peu de Matt Santos – ce personnage charismatique pour lequel les auteurs s’étaient de fait inspirés d’Obama jeune. Cette série portait plus largement la promesse d’un aperçu des coulisses de la vie politique américaine, comme plus tard le thriller House of Cards, dans une version plus cynique. L’univers sériel a petit à petit construit notre grille de lecture. La vie politique réelle et ses acteurs reprennent quant à eux les codes des séries – on pense à Donald Trump, qui transforme ses adversaires en autant de personnages avec les surnoms « Crooked Hillary » ou « Crazy Bernie ». Les politiques n’hésitent pas, d’ailleurs, à passer de l’autre côté du miroir : Joe Biden a fait des apparitions dans plusieurs séries, dont New York Unité Spéciale.

On peut se demander si la violence des élections américaines n’est pas dans une certaine mesure issue de cette arène des westerns et des séries. La brutalité est permise et même encouragée dans la fiction, qui joue précisément ce rôle de catharsis de nos instincts primaires. Elle devient pour autant problématique quand elle émerge sur la scène publique. Y a-t-il, malgré tout, des leçons à tirer de cette fictionnalisation de la politique ? On pourrait affirmer que l’infotainment remet en cause les fondements mêmes de la démocratie et qu’il faudrait davantage réguler les débats, les plateformes, se recentrer sur ce que les candidats proposent... Et on aurait raison.

En France, on pourrait s’inspirer davantage de ce sens du show à l’américaine, dont la démesure nous choque toujours autant qu’elle nous impressionne. Les hommes et les femmes politiques auraient à gagner à se mettre un peu plus en scène. Nous avons cette exigence louable de choisir les candidats en fonction de leur seul programme ; eux-mêmes revendiquent souvent cette volonté de s’effacer derrière leur projet, et ce, en raison d’une conception largement répandue qui voudrait que la forme, le récit, le sens du spectacle nuisent au fond. Je crois l’inverse : aucun argument n’est entendu s’il n’est pas, un peu, raconté et mis en scène. Et donc l’obstination à ne parler que du fond se fait toujours au détriment du fond lui-même.

Dans l'histoire

Aux politiques de sortir de cette zone de confort qui consiste à établir un livret de propositions sans jamais dire qui ils sont. Pourquoi se priver de l’ethos et du pathos, qu’Aristote identifiait déjà comme des ressorts essentiels de la persuasion, au côté du logos ? L’objectif n’est pas, bien sûr, de tomber dans les péripéties à répétition des séries, ni dans un simplisme réducteur, encore moins dans la violence d’attaques personnelles, mais simplement pour les candidats d’accepter de raconter leur histoire et le sens qu’ils lui donnent.

Et c’est là que la stratégie de Donald Trump est redoutablement efficace, et donc inquiétante : c’est parce qu’il assume son côté « Américain moyen », tout en dénonçant les élites, qu’il peut renvoyer les deux dos à dos – c’est la définition même du populisme. S’il n’est pas souhaitable que les politiques français aillent sur ce terrain, ni qu’ils adoptent ses codes show-off, ils peuvent néanmoins trouver le moyen d’être moins technocrates, moins hors sol, pour retrouver un ancrage, une proximité, et susciter un peu d’émotion. Tout en continuant, toujours, à parier sur l’intelligence collective.

 

 

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