Tribune
Cajoo, Gorillas, Flink, Dija, Getir et bientôt Yandex sont en train de se déployer en France. Leur promesse : vous livrer vos courses en moins de dix minutes. Mais en avons-nous vraiment besoin ?

Rien ne semble pouvoir arrêter les start-up du « quick commerce », qui enchaînent frénétiquement les levées de fonds de plusieurs centaines de millions d’euros. Au total, les pure-players du commerce alimentaire ont levé plus de 1,6 milliard de dollars en Europe sur les six premiers mois de l’année, contre 687 millions de dollars pour l'ensemble de l’année 2020, selon Pitchbook.

Cajoo, Gorillas, Flink, Dija, Getir et même Yandex, filiale du géant de l’internet russe, sont en train de se déployer en France pour proposer un nouveau service de livraison : apporter à domicile n'importe quel produit de supermarché en moins de dix minutes. Ce nouveau modèle intrigue, interroge et accélère l’évolution des comportements d’achat. Mais n’est-il pas difficilement compatible avec les préoccupations montantes des consommateurs en recherche d’un mode de vie plus durable ?

Cette nouvelle prestation de services augure une modification en profondeur de nos comportements de consommation. Si tout achat devient disponible tout le temps, pour tout le monde, sans effort et sans déplacement, les conséquences comportementales, sociétales et urbaines seront majeures, et difficilement positives. Que vont devenir nos commerces de proximité et nos centres villes alors que le besoin d’entrepôts urbains (les « dark stores ») augmente ? Et comment gérer tous ces flux de livraison ? Sans parler de l'évolution de la réglementation du travail et de la protection de ces nouveaux travailleurs précaires.

Lorsqu’on passe commande sur une de ces applications, on est d’abord marqué par l’influence de l’école Amazon : l’expérience d’achat est intuitive, fluide, et les problèmes sont résolus en un rien de temps par des gestes commerciaux ou des produits supplémentaires. Ces applications n’hésitent pas non plus à mettre en scène leurs livreurs, dans des postures aussi glorifiantes que paradoxales : ils apparaissent sous leur meilleur jour, au premier plan, alors que leur quotidien est fait de précarité et de sueur. Certes, certains acteurs comme Flink annoncent fièrement recruter tous leurs livreurs en CDI avec la protection sociale afférente, mais cela n’enlève pas la pénibilité et la dangerosité du métier. Enfin, la pression du temps est omniprésente. Les erreurs de stock et de préparation de commande semblent secondaires par rapport à l’importance de respecter le chronomètre.

D’un extrême à l’autre

Faut-il y voir une stratégie de lancement et de conquête ultra-rapide du marché ou bien la révélation d’un système au modèle économique encore à trouver ? Une chose est sûre : il faut aller le plus vite possible, à la fois pour livrer chaque client individuellement mais aussi pour se déployer en Europe avant les concurrents.

Mais y a-t-il vraiment un marché et un besoin si grand pour une livraison en moins d’un quart d’heure ? Qui, en dehors des situations d’urgence, comme un enfant malade ou un avion à prendre, peut avoir besoin à ce point d’être livré en urgence ? D’un système aux créneaux flous et trop larges à une course effectuée en dix minutes, le monde de la livraison est passé d’un extrême à l’autre sans être encore capable de répondre au véritable besoin des consommateurs.

D’après le Baromètre de la consommation responsable 2021 établi par l’Ademe et Greenflex, 72 % des consommateurs sont mobilisés en faveur d’une consommation responsable. Il faut alors espérer que les clients passeront commande sans oublier les préparateurs de commandes qui remplissent les sacs le plus vite possible et le livreur qui va pédaler de tout son souffle. Nous verrons rapidement si la conscience durable qui semble émerger dans l’opinion est bel est bien fondée, ou si c’est au contraire la schizophrénie matérialiste du consommateur qui prendra le dessus.

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