Notre numéro spécial humour du 25 février 2010 a suscité de nombreuses réactions. En voici une, émanant d'un spécialistes de la sémiologie.

L'examen de publicités imprimées pour une année entière nous apprend que certaines marques utilisent l'humour comme une simple tactique et d'autres comme une stratégie. Utiliser l'humour, c'est travailler les trois échelles qu'il active et qui interviennent dans le contrat de confiance entre la marque et les publics clients ou non. En effet, l'humour comme force collective d'énonciation peut faire grimacer, sourire, rire, pleurer... les participants, générer un changement de comportement et/ou provoquer un renversement ou un maintien de la valeur.

 

Avec la force, nous prêtons à l'humour la capacité de créer une accélération, c'est-à-dire une modification de la vitesse d'acceptation d'un énoncé (ici, une publicité). La marque cherche à coupler cette force active avec sa stratégie globale. Mais à quelles conditions la marque peut-elle jouer de cette force ?

 

On distingue trois types de stratégies mises en place par les marques avec les destinataires. Une stratégie (commerciale, industrielle...) relative la place de telle marque par rapport à celles de ses concurrents. Une stratégie (marketing) qui va de cette place à la position que prend la marque dans ses discours. Une stratégie sémiotique qui relie deux positions relatives aux identités énonciatives qui apparaissent dans les discours publicitaires. C'est cette dernière qui nous intéresse.

 

Une stratégie de marque basée sur l'humour, comme n'importe quelle stratégie, doit tenir compte de celles mises en place par les concurrents. Par exemple, dans le secteur automobile, Volkswagen est la seule à utiliser une stratégie humoristique bien que d'autres marques fassent sporadiquement une publicité humoristique pour tel ou tel modèle (Fiat, Peugeot, Renault, Smart, Seat, Toyota, Volvo...).

 

Si, d'une part, on reconnaît la permanence des valeurs du secteur automobile (pratique, critique, utopique et sensible) et si, d'autre part, on admet que les techniques marketing, qui visent à se rapprocher des destinataires sont, toutes proportions gardées, communes aux entreprises d'autre part, alors l'enjeu pour la marque est de parvenir à se différencier. Mais comment le peut-elle quand le référentiel programmatique (valeurs et procédés) est largement partagé par l'ensemble des acteurs du marché ?

 

Il est entendu que, même si les composants programmatiques sont relativement définis, leurs enchaînements et leurs expressions sont encore largement à explorer. Cependant, au-delà de ces multiples possibilités créatives, la permanence des valeurs reste. Agir sur l'énonciation par une accommodation aux destinataires en pratiquant l'humour n'est pas qu'une intervention au niveau figuratif, c'est aussi installer des valeurs sociales (participer à l'humanité, rencontre de l'autre, dilection, plaisir, affinité...) en proposant aux destinataires un régime de croyance qui repose sur un intérêt participatif (car on ne comprend l'humour que lorsqu'on y participe).

 

Elle peut ainsi travailler la relation d'influence entre les valeurs du marché et les valeurs humoristiques en modulant leur présence en fonction des types d'humour : d'une faible présence pour le gag à une forte présence pour l'ironie ou le mot d'esprit, par exemple.

 

Cette relation d'accommodation marque-destinataires varie au sein d'un même type et en fonction du type humoristique choisi. Dans ce cadre, une stratégie efficace devra non seulement définir les éléments programmatiques utiles à l'énonciateur mais également préciser quel type d'accommodation, en l'occurrence d'humour, pratiquer en fonction des objectifs fixés.

 

Il est alors possible d'imaginer les différents types d'humour comme autant de tactiques d'ajustement à coupler à une programmation pour constituer une stratégie. Car si l'humour n'est pas en lui-même persuasif, il induit des changements au niveau des modulations des états émotionnels du sujet, il agit au niveau de sa confiance dans la marque et facilite le faire persuasif du discours.

 

Ainsi, les publicités Volkswagen engagent moins, voire plus du tout, une relation de confiance contractuelle basée sur des garanties mais proposent une connivence établie sur un intérêt participatif. Cela ne veut pas dire que la marque n'est plus porteuse de cette relation contractuelle mais qu'elle la communique moins à travers ses publicités qu'avec ses produits par exemple. C'est dire de l'humour qu'il ne présuppose pas nécessairement un régime de croyance contractuel mais que la marque et le destinataire sont impliqués, au moins temporairement, dans une relation participative et non contractuelle.

 

Ainsi, toutes les marques ne peuvent pas faire de l'humour sans risque, dans la mesure où l'adhésion des participants (émetteur et récepteur) est affaiblie par le manque de garanties (a contrario du contrat « sérieux »).

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