C'est la grande expression à la mode chez les annonceurs et dans les agences. Il y avait donc peu de raison que cette théorie ne transpire pas dans la campagne électorale, où chaque candidat est désormais bardé de conseillers en communication. Les tentatives de récit ont-elles fonctionné? Ce type de communication narrative était-il approprié à cette campagne qui s'est déroulée dans un contexte si particulier, peu propice au réenchantement ?

Jean-Luc Mélenchon est probablement celui qui aura le mieux incarné ce storytelling à la française, suivant à la lettre le triptyque «capter l'attention, stimuler le désir de changement et emporter, enfin, la conviction par l'utilisation d'arguments raisonnés», tel que théorisé par Steve Denning. Toute la chronologie de sa campagne suit cette méthode.

Capter l'attention par des coups de gueule, contre les médias notamment, par des insultes contre la candidate de l'extrême droite. Stimuler le désir, au travers de grands meetings tenus en des lieux symboliques qui ravivent l'inconscient collectif (la Bastille, la place du Capitole, le Prado), en utilisant un langage qui restaure des mots oubliés (la fraternité, la solidarité, le partage) et porte, ainsi, à lui seul une promesse de changement. Enfin, emporter la conviction avec des arguments raisonnés, avec l'annonce en séquence finale du Smic à 1 700 euros - annonce qui aurait phagocyté l'ensemble de sa campagne s'il l'avait dégainée avant.

Une partition rondement menée, dont on peut se demander si elle émane de ses communicants ou du simple flair politique du candidat lui-même qui, rappelons-le, a été à bonne école. Et si le storytelling n'était qu'une reformulation présentable de vieux préceptes trotskystes?

Au regard du contexte actuel de désenchantement collectif, et alors que les perspectives s'annoncent sombres pour celui qui remportera l'élection, la «performance» de Jean-Luc Mélenchon est à saluer.

 

François Hollande s'y est également essayé au début de sa campagne, parlant de «réenchanter le rêve français». Il s'est vite ravisé pour adopter un discours bien plus pragmatique et rationnel, et proche des préoccupations quotidiennes d'un peuple inquiet de ses fins de mois plus que de son destin.

Il avait sauté la première étape du storytelling, et c'est là que l'on s'aperçoit que cette méthode est bien plus appropriée pour un challenger, qu'elle sied moins bien - et qu'elle est porteuse de plus de risques - à celui qui endosse les habits de favori.

En positionnant par la suite sa candidature sur le changement, en faisant de celui-ci la valeur centrale de son slogan, François Hollande fait du storytelling en creux, où le récit est désormais induit: l'histoire que nous vous racontons est l'envers de celle que vous vivez depuis cinq années. Avec les limites d'une posture fondée uniquement sur l'opposition à l'adversaire - rappelons-nous le «Présider autrement» de Lionel Jospin.

Saluons, tout de même, le camp socialiste qui nous aura servi le plus bel exemple de storytelling avec l'invention du porte-à-porte. Sublime idée que de nous vendre celui-ci comme la dernière innovation du marketing politique, symbole de la campagne «3.0» et «made in USA» de surcroît! Les aïeux communistes de certains d'entre nous ont dû se retourner dans leur tombe!

C'est sans surprise que les méthodes du storytelling auront été utilisées sans mesure par le président sortant. Comme elles sont déjà en œuvre de l'autre côté de l'Atlantique avec Barack Obama. Il faut avouer que le défi n'était pas mince: nous faire oublier un bilan pour le moins contrasté, se présenter comme un homme nouveau et se positionner comme un candidat nouveau. Bref, ne pas subir le statut de challenger mais le mettre en scène.

Sur un temps court du fait de son entrée tardive en campagne, le processus a été suivi de façon méthodique là aussi. Une annonce par jour pour capter l'attention et grignoter des points de sondage en ciblant des catégories de population bien précises. Susciter l'envie de changement en offrant un nouveau visage politique (la sagesse que confère l'expérience) et personnel (la maturité que confère la paternité), au détour de quelques clichés bien choisis.

Pour les arguments raisonnés, on reste encore un peu sur notre faim, mais Nicolas Sarkozy mène une campagne de premier tour, cela n'a donc rien de surprenant. Premier tour qu'il devrait ainsi être en mesure de remporter. Mais c'est un nouveau storytelling qui semble devoir se mettre en place pour le second tour.

Une nouvelle campagne, plus dure encore, pour un nouveau storytelling qui figure une France à feu et à sang si les socialistes reviennent au pouvoir. Cela fleure bon 1981, cela témoigne d'une classe politique dont l'éducation s'ancre encore dans la Guerre froide.

Pour ce second tour, Nicolas Sarkozy va passer du candidat guide au candidat protecteur, d'une France forte à une France préservée, d'une figure présidentielle paternelle et autoritaire à une figure plus maternelle et empathique (celle que pensait pouvoir incarner Martine Aubry d'ailleurs).

Cette nouvelle histoire aura-t-elle le temps de se déployer et de convaincre les Français pendant les deux semaines restantes? Ou le refus pragmatique de François Hollande de céder à la narration communicative s'avérera-t-elle la stratégie payante? L'histoire commence.

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