Guillaume Pannaud, président de TBWA France, expose dans Stratégies [n°1711 du 14 février 2013] sa vision d'un «nouveau modèle créatif pour les agences de publicité». L'article appelle quelques commentaires, éveille quelques doutes et agace parfois. Sur ce dernier point, je lis que ce nouveau modèle ne fait plus place ni au «gourou» ni au «caporal en chef». Dis comme ça, il est en effet urgent de réformer la fonction de direction de la création. Quand les mots employés portent en eux le procès que l'on intente, les arguments perdent de leur objectivité.

Si certains autocrates bougent encore et continuent à renverser les tables pour prouver l'étendue de leur talent, la plupart de mes confrères entretiennent des rapports équilibrés avec leurs équipes. Certains mêmes, figurez-vous, les respectent, les encouragent, en font des héros créatifs au bénéfice de l'agence qu'ils servent. Les mêmes gardent intacte leur capacité d'émerveillement et se chargent de la transmettre, tous les jours, à tous ceux avec qui ils travaillent et qu'ils ont, au passage, identifiés, évalués et recrutés. Les mêmes encore placent leur fierté dans leur contribution à les avoir fait grandir, ce qui suffit à leur ego, valeur partagée largement par tous les acteurs de nos professions.

 

Restructuration de crise

Guillaume Pannaud décrète que le job du directeur de la création consiste à tout voir, tout savoir, tout maîtriser? Quelle idée saugrenue et inatteignable, quel curieux procès intente-t-il là! Et d'ailleurs, à raison, il affirme, qu'au vu de la taille de TBWA, l'ensemble du travail ne peut être supervisé par une seule et même personne. C'est encore plus vrai compte tenu des effets de la digitalisation. Un raisonnement simpliste pourrait conduire à proposer la suppression du poste de président pour les mêmes raisons... Cette alternative n'est sans doute pas celle qu'il retient... Puis il faudra bien que quelqu'un jauge, juge, apprécie le travail des créatifs. Allez! J'ai une idée à lui soumettre, pourquoi pas lui! En politique, on appelle cela le cumul des mandats, en justice, le mélange des genres. En communication, c'est de la clairvoyance et de l'innovation managériale.

Mais on ne se tire pas les cartes entre gitans. Le stratège a enfilé les gros sabots du «nouveau modèle créatif pour les agences de publicité» pour justifier deux suppressions de poste. Vieille technique d'intox: la situation nous échappe, feignons d'en être les instigateurs. Des fois que ça passe...

Plus grave - les réactions dont Stratégies s'est fait l'écho en témoignent -, la crise que nous traversons réveille de vieux réflexes d'ostracisme entre les populations créatives et les forces commerciales. Elles font pourtant le sel et la brillance des agences dès lors qu'il est acquis que l'excellence créative en constitue le ciment commun. C'est de cela qu'il faut parler sans «essentialiser» des fonctions ou des titres qui ne valent que par la façon dont ils sont incarnés.

C'est du reste ce que Jean-Marie Dru et Marie-Catherine Dupuy faisaient valoir à ceux qu'ils voulaient voir grandir.

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