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Dans leur ouvrage, La Rébellion positive, deux spécialistes des ressources humaines incitent à la révolte... Une forme de résistance bénéfique à l'entreprise comme au salarié.

Il a claqué la porte. Gabriel Gaultier, président de Leg, a décidé de quitter l'aventure alors que son agence était sur le point d'être rapatriée au sein du Havas Village accolé à la tour Bolloré, proche du quartier d'affaires de La Défense. Tout un symbole. Même s'il s'en défend, Gabriel Gaultier est un rebelle positif. La preuve: quatre semaines après son départ, il annonçait la création de sa propre structure, Jésus. Une résurrection express.

La rébellion positive, un concept développé dans un ouvrage récent, La Rébellion positive (Albin Michel, 2012), de deux spécialistes des ressources humaines: Isabelle Méténier, coach, et Hamid Aguini, directeur d'un centre de bilan de compétences. Leur idée: il est bien beau de se rebeller mais à condition d'en faire quelque chose. La meilleure voie selon les auteurs: «Ne pas se figer dans une position victimaire, mais se rebeller pour d'abord se protéger et, ensuite, se fixer des objectifs et un plan d'action.»

 

Question d'affirmation de soi

Bien sûr, dans l'entreprise les raisons de se révolter peuvent être nombreuses: décisions iniques, charges de travail excessives, manque de reconnaissance ou carrément harcèlement. Pour ce chef de projet dans une agence de publicité, âgé de 28 ans, dont Hamid Aguini relate la mésaventure, le déclencheur a simplement été la pression du quotidien. «Pendant plusieurs mois, elle a accepté toutes les injonctions de ses chefs sans broncher: multiples projets à gérer, stratégies à mettre place, actions client. Elle n'a pas su dire non. Elle a fini par faire un "burn-out" et se mettre en arrêt maladie.» Son absence a créé un tel vide dans l'agence que sa hiérarchie a fini par se rendre compte de sa compétence réelle et de son niveau d'investissement... jamais valorisé. «Elle a repris son travail avec plus d'exigence dans la relation, plus de fermeté et avec sa santé comme priorité», poursuit Hamid Aguini. Bien sûr, plus la rébellion survient tard, plus il est difficile de redresser la barre.

Dans l'entreprise, si les gens hésitent à se regimber, c'est d'abord parce le terme «rebelle» est connoté négativement: il est considéré comme une remise en cause directe de l'autorité. «Les salariés pensent qu'en étant obéissants, ils resteront plus longtemps dans leur société, seront mieux récompensés, dit Hamid Aguini. Or, ce n'est pas forcément vrai.» En outre, dans l'univers de la publicité ou des médias, une certaine dose de rébellion est mieux acceptée qu'ailleurs, car souvent associée à de la créativité.
Comment s'y prendre? «La rébellion positive a des traits communs avec l'affirmation de soi: l'importance d'exprimer ses émotions, la nécessité de penser en termes de solution plutôt que de chercher à accuser ou à identifier un coupable, et enfin, d'avoir un esprit positif et constructif», liste Hamid Aguini. Il cite également dans son ouvrage le philosophe Jean-Marie Muller qui souhaitait créer «une clause de conscience du citoyen, l'autorisant à désobéir si l'ordre reçu est injuste (légal mais illégitime). Une clause qui aurait été intégrée à la constitution».

 

Prise de risque bénéfique

Une notion proche de l'éthique personnelle qui doit rappeler des souvenirs au journaliste Daniel Schneidermann. Il y a dix ans, alors que le quotidien Le Monde était dans la tourmente en raison de la sortie de l'ouvrage de Pierre Péan et Philippe Cohen (La Face cachée du Monde), le chroniqueur propose à Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction du quotidien, d'organiser un débat télévisé sur le plateau de son émission Arrêt sur images avec les auteurs du livre. L'accueil est plus que glacial, Plenel lui rétorque: «Daniel, il faut savoir si tu es dedans ou dehors». Quelques mois plus tard, Daniel Schneidermann est licencié. «Je n'ai pas de regret, j'ai été cohérent avec moi-même, je voulais ce qui était le mieux pour le journal, analyse aujourd'hui le directeur de la publication du site Internet Arrêt sur images. Les médias réclament de la transparence à tous les pouvoirs, ils doivent s'appliquer cette règle-là à eux-mêmes». En tant que patron, il tente de rester fidèle à ce précepte : «Certes, nous ne sommes qu'une petite dizaine de collaborateurs, et c'est plus facile à cette échelle-là, mais je fais en sorte que n'importe quel sujet puisse être mis sur la table et débattu.»

Le rebelle positif a une éthique et des valeurs. «Cette éthique est indispensable pour maintenir un cap, une cohérence dans ses comportements et ses actions, et c'est la meilleure réponse lorsqu'il évolue dans des contextes où les règles changent en permanence», continue Hamid Aguini. Une espèce qui a en général des qualités.
D'après Jean-Pierre Villaret, fondateur de June 21st, «tous les grands groupes devraient s'imposer de générer des talents qui ont cette force d'opposition. Car ils ont besoin de cette prise de risque». Lui a quitté le groupe Havas en 2006 pour lancer sa propre structure et estime que les agences ont perdu en autonomie et en liberté ces trente dernières années.

Tolérer, encourager ce débat, cette rébellion est d'autant plus important selon Jean-Pierre Villaret que la donne a changé: «Si les gens ne peuvent pas contester dedans, ils le feront à l'extérieur, via le Web et les réseaux sociaux.» Une grogne qui peut devenir très rapidement incontrôlable.
Enfin, pour certains, la rébellion est un positionnement marketing. Ainsi, quand Bruno Delport, directeur général de Radio Nova, héritier de la contre-culture d'un Jean-François Bizot, recrute, il recherche des profils de personnes «extrêmement compliquées». «Cela ne nous dérange pas du tout, le talent est à ce prix. A Nova, il y a un côté frondeur naturel. On ne peut pas vouloir créer des produits différents, qui défrisent un peu et porter soi-même un beau brushing.»

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