Organisation
Et si la pandémie avait des effets positifs sur l’organisation des entreprises ? N’est-ce pas la promesse d’un management moins dans le contrôle, d’un rapport plus épanouissant au travail et de recrutements moins concentrés sur Paris ? Oui mais...

« Une entreprise, c’est comme une tragédie, il y a une unité de lieu, de temps et d’action. Après la pandémie, il ne reste plus que l’unité d’action. » À l’image de Benoît Serre, vice-président de l’association nationale des DRH (ANDRH), la majorité des DRH constate que le covid et ses effets ont totalement chamboulé la vie des entreprises et de leurs collaborateurs. Un chiffre résume la bascule : selon une récente étude du cabinet Mercer, une entreprise sur trois anticipe une généralisation du télétravail post-covid pour la moitié ou plus de leurs salariés (contre une sur trente avant la crise sanitaire). Toute l’organisation des entreprises est alors à revoir.

Le management

« C’est le signe de la fin, ou du moins de l’obsolescence du modèle hiérarchique bonapartiste », annonce Benoît Serre. Fini ce culte du présentiel où les salariés attendent 18 h ou 20 h pour saluer le boss vigilant. À la bonne heure ! « Outre-Atlantique, quand un collaborateur reste tard au bureau, on considère qu’il s’organise mal, en France, ce n’était jusqu’à présent pas vraiment cette culture », soulignait Thibaut Gemignani, CEO de Cadremploi (sur le départ). « Culturellement, il va falloir franchir un gap, poursuit Raphaëlle Nicaud, directrice “Practice Talent” chez Mercer. Mais le covid joue un rôle d’accélérateur : 90 % des employeurs considèrent aujourd’hui que la productivité est restée la même ou s’est améliorée avec le travail à distance. » Pour cette experte, les entreprises n’ont plus le choix. « Les besoins d’autonomie des salariés sont là. Le management du contrôle et de la surveillance doit nécessairement laisser la place au management de la confiance et de l’autonomie. » Dans cette organisation nouvelle, le manager se transforme, selon Thibault Gémignani, en une « sorte de coach ». « C’est très dur de manager de façon équitable des équipes différentes (présentiel/à distance), ils devront être accompagnés par beaucoup de formation, complète Raphaëlle Nicaud. Et aussi recrutés et évalués sur des nouveaux styles de leadership, comme la capacité à bien faire travailler les collaborateurs ensemble plus que l’autorité. »

L’espace

Qui dit moins de salariés, dit également moins de mètres carrés. Certains y ont automatiquement vu un moyen de faire des économies sur les locaux, l’un des principaux postes de coûts des entreprises. À tort. « Ce n’est pas la taille de l’entreprise qui est interrogée mais son rôle », corrige Alexandre Faure de l’agence Edelman. Durant le covid, l’agence a déménagé pour des locaux plus petits mais « complètement réinventés ». « Certes, même si le présentiel reste fondamental, on ne sera plus jamais plein, avec un tiers des salariés au maximum. L’entreprise devient un nouveau lieu, non plus celui de la fabrication, qui se fera désormais à distance, mais celui de la rencontre et de la collaboration avec des salles d’ateliers communs, des espaces circulaires, des endroits pour s’isoler et d’autres pour se retrouver. L’idée, c’est d’avoir envie de venir parce que c’est beaucoup mieux qu’à la maison. Il y a même une salle de massage », plaisante-t-il. Comet Meetings, spécialisée dans la location de salles de réunions et de lieux atypiques, a levé 30 millions d’euros pendant la crise sanitaire pour se développer en France et en Europe. « Le présentiel reste indispensable, assure Victor Carreau, son fondateur. Les gens ont besoin de se voir, d’échanger, de se rassembler. Que ce soit dans l’entreprise ou ailleurs. »

Les effectifs

Dans ce monde post-covid, « le care (protection sociale, santé, bien-être…) dans les ressources humaines et la RSE vont se développer, tout comme les opérations de teams building et les séminaires », prédit Raphaëlle Nicaud. Pour autant, cette « formidable occasion pour réenchanter l’expérience collaborateur » louée par les communicants, ne se traduit pas – comme on aurait pu naïvement le penser – par des embauches en ressources humaines. Pour l’instant, malgré les besoins d’accompagnement des salariés et la promesse du bien-être pour tous, « les recrutements en RH ne bougent pas », relève Thibaut Gémignani. De même, avec le travail à distance, les recrutements hors régions sont loin d’exploser. « Pour l’instant, cela frémit à peine, note le spécialiste du recrutement. L’ouverture géographique est plutôt du côté des collaborateurs, beaucoup souhaitent s’installer en région pour y travailler de chez eux. » Selon l’ANDRH, plus de la moitié des emplois (55%) d’aujourd’hui peuvent se faire quasi totalement à distance. Entre les difficultés économique et managériale et les probables licenciements à venir pour les entreprises en difficultés, nul doute que DRH et partenaires sociaux auront fort à faire dans les prochains mois pour encadrer ces nouveaux rapports de travail. « Management, organisation, locaux, projet... il faut que l’entreprise reparte de l’avant tout en se réinventant. Ça va prendre du temps. Le monde d’après n’est pas pour demain matin », conclut Benoît Serre.

Le bureau au Garage

À l’agence de communication Becoming, située à Lille, on est allé très loin dans les nouveaux usages dévolus aux bureaux. 180 collaborateurs ont été regroupés à Garage, un lieu atypique de 3 800 m2 entièrement modulable, où se mêlent bureaux, ateliers, commerces et restaurants. « Le lieu évolue en fonction du moment de la semaine, du jour ou de la nuit. Comme dans un théâtre, s’émerveille Christophe Levyfve, le président de Becoming. Bureaux en journée, lieu de réception en soirée ou encore espace commercial le week-end, chaque mètre carré permet deux ou trois usages dans son exploitation, favorisant le partage, la créativité et la rencontre. » Et les collaborateurs ? « Ils ne sont jamais plus des deux tiers sur place, évalue le dirigeant. Les espaces de travail ont été entièrement repensés pour la qualité d’usage et le bien-être, l’expérience collaborateur est beaucoup plus riche. Quand ils viennent, c’est pour réussir ensemble ce qu’ils ne peuvent réussir seul ». L’agence prévoit d’ouvrir 35 garages identiques en France dans les années à venir et, visant les 70 millions d’euros de CA en 2021, est en cours d’acquisition de structures au Royaume-Uni et en Hollande.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.