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Les États généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, réunis les 3 et 4 octobre à Paris, ont pointé les évolutions lourdes qui affectent l’apprentissage du métier. Et ses horizons nouveaux.

Ce 4 octobre, Agathe Legrand, étudiante de l’École de journalisme de Grenoble (EJdG), est chargée de conclure avec deux camarades les premiers États généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, qui réunissent les quatorze écoles reconnues par la profession. « Nous sommes des milliers à passer les concours des écoles de journalisme pour lesquels le taux de réussite se situe autour de 4 %, rappelle-t-elle. Nous les passons deux, trois, parfois quatre fois, et quand enfin nous y arrivons, notre bac + 5 en poche, c’est pour nous rendre compte que ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. C’est le même combat qui recommence… Pour environ 500 départs à la retraite, 2 500 étudiants sortent chaque année des écoles reconnues et non reconnues. Et tout ça, pour des conditions de travail précaires, des situations aberrantes… On accepte d’être moins bien payé qu’un collègue titulaire, on se réjouit d’avoir un CDD d’un mois après quatre ans passés dans le même média. Parfois même, on dépense plus que ce que l’on va gagner pour pouvoir travailler. À ce stade, je n’appelle plus ça des sacrifices, j’appelle ça un problème ».

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La voix grave de cette étudiante est venue rappeler aux représentants des médias comme aux directeurs d’école l’importance de faire front commun pour améliorer la formation des apprentis journalistes. Les États généraux ont aussi permis d’interpeller les pouvoirs publics, en l’occurrence la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, à partir de 36 propositions dont 12 ont été mises en avant dans une démarche participative à travers des votes du public. Un état des lieux qui peut se révéler précieux à quelques semaines des États généraux de l’information, attendues pour novembre.

Parmi ces propositions, issues de douze ateliers, on notera d’abord un désir d’évolution du cadre légal comme à travers une carte officielle d’étudiant en journalisme commune aux quatorze écoles de la CEJ [Conférence des écoles de journalisme]. Ou des aides à la presse conditionnées à l’emploi de jeunes journalistes rémunérés en tant que tels et non comme autoentrepreneurs, ce qui enlève l’octroi de la carte de presse. Une plateforme des anciens de ces écoles pouvant exercer un tutorat ou un forum permettant la rencontre des entreprises et des acteurs clés de la formation sont également attendus.

Mais c’est la dimension numérique qui est sans doute la plus intéressante. Un atelier a mis en évidence la nécessité de se prémunir d’un risque de cyberharcèlement lié à l’exposition de soi et le besoin d’un « enseignement qui tire parti de l’acculturation des étudiants au web », explique Emmanuel Marty, codirecteur de l’EJdG. Cela se vérifie dans la formation où est requise une approche horizontale sollicitant les compétences en écriture web (TikTok ou Instagram par exemple) ou graphique (motion design). En entreprise, il importe parallèlement de bien formaliser ce qui est attendu des jeunes recrues qui « sont un peu perdues sur les attendus techniques, narratifs des rédactions », selon lui.

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Quelles compétences pour aujourd’hui et demain ? Le côté multitâches (vidéos, photos, sons…) ne doit pas se faire détriment des fondamentaux du métier (vérification, sources contradictoires, contextualisation…) . Il faut donc respecter un ADN mais les étudiants attendent aussi plus d’audace de l’école qui peut devenir un « laboratoire » destiné à développer de nouveaux formats, renforçant ses échanges avec des spécialistes Twitch ou TikTok ou coconstruisant avec des youtubeurs. Bref, l’idée est de laisser davantage la créativité s’exprimer.

En entreprise, le présentéisme s’impose parfois. Mais pas question, selon une étude de Pluricité auprès de 1 600 étudiants des trois dernières années, de tout sacrifier de sa vie personnelle : 37 % seulement sont prêts à travailler en horaires décalés. Ils savent que leur emploi est souvent mal payé - 42 % gagnant moins de 1 500 euros -, même s’ils sont 84 % à avoir un emploi sur les trois promotions. Souvent, c’est en étant rémunéré à la pige. Les jeunes journalistes souhaitent être mieux formés à ce que cela implique et au droit du travail pour éviter les abus. Pour répondre aux critiques, Radio France a promis de réformer son planning qui détermine l'intégration des jeunes reporters à travers des débuts de carrière difficles et éclatés entre diverses locales.

De même, l’utilisation des nouvelles compétences liées à la terre et au climat a fait l’objet d’un atelier. Charlotte Ferla, étudiante de l’ESJ Lille, a restitué les demandes d’acquérir un « socle de connaissance » à ce sujet, impliquant des exercices pratiques sous forme de reportages de solutions, de nommer un « chief environmental editor » ainsi que des référents par services pour instiller les bonnes pratiques. La création d’un annuaire d’experts sur lequel s’appuyer apparaît aussi incontournable.

En faveur de l’égalité des chances, un consensus existe sur le besoin de davantage de diversité mais des résistances se font jour dès qu’il est question de contraintes. Une obligation légale de transparence via la diffusion des offres sur Linkedin et Pôle emploi serait pourtant la bienvenue. En amont, il s’agit de mieux faire connaître le journalisme dans les collèges et lycées, de favoriser le tutorat et d’homogénéiser les frais de parcours (près de huit étudiants sur dix ans bénéficiant de l’appui familial pendant leurs études). « S’occuper des jeunes journalistes, c’est s’occuper de l’audience des médias, sachant que les jeunes générations, pour l’instant, sont plutôt en train d’aller voir ailleurs », a rappelé Anne Tézenas du Montcel, déléguée générale de la CEJ.

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Qu’est-ce qui vous a le plus frappé après ces deux jours de discussions lors des États Généraux ?

L’unanimité de partage entre toutes les parties prenantes. Les rencontres entre étudiants et éditeurs de médias existent mais ce n’est pas si courant de voir une envie sincère de la part de tout le monde de proposer des solutions. Que ce soit sur l’équilibre du temps de vie ou sur les conditions du premier emploi, qui sont loin d’être parfaites, il existe souvent un décalage.

Les ateliers montrent que les jeunes journalistes ont un rapport différent au travail qui a été comme ailleurs bousculé par le covid. Les DRH des médias en ont-ils conscience ?

Dans les restitutions, on a vu en effet émerger de nouvelles demandes sur le droit à la déconnexion ou les conditions de travail. C’est l’idée qu’un métier passion n’excuse pas tout. Les jeunes journalistes ne sont plus prêts à démarrer un job en faisant n’importe comment. C’est parfois compliqué pour des encadrants qui se disent qu’ils sont passés par là, mais il importe de clarifier dans le contrat des choses parfois un peu floues. On est aussi dans un métier à astreinte qui a évolué.

Comment le gouvernement s’est-il impliqué dans ces États généraux ?

La présence de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, est le reflet d’un intérêt réel pour les jeunes journalistes. Financés dans le cadre de France Relance, ces États généraux sont un signal fort de l’importance d’une formation journalistique de qualité, initiale comme continue, pour que le public ait droit à une information qualitative. La dimension numérique est clé. On continue par exemple de parler de la neutralité des algorithmes alors que certaines plateformes font le choix de mettre des gens dans des bulles.

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