Management

Le métavers a fait une, voire plusieurs intrusions, dans le monde des ressources humaines en France. Mais rien ne dit aujourd’hui que l’explosion de cette technologie virtuelle sera au rendez-vous de 2023.

17 octobre 2021. Une date présente à l’esprit de tous les geeks ! Ce jour-là, Marc Zuckerberg signe la mue de Facebook en Meta, avec l’annonce de 10 000 recrutements en Europe. Métavers devient alors le mot le plus partagé dans le monde. En 2022, une autre date a marqué les esprits. Le 18 mai, le groupe Carrefour a organisé son premier recrutement dans ce monde virtuel en 3D, immersif et interactif, avec l’avatar d’Alexandre Bompard « himself ». Un grand pas pour les RH ? Faut-il y voir le top départ de la généralisation du procédé ? À lire les réactions sur les réseaux sociaux, la partie n’est pas encore gagnée. Et surtout, elle n’est pas nouvelle, comme aime à le rappeler Renaud Ghia, président de Tixeo, société spécialisée dans les logiciels de visioconférences. « Tous les cinq ans, la réalité virtuelle réapparaît, détaille-t-il. C’est cyclique depuis quinze ou vingt ans. Il n’y a aucune nouveauté. Et, surtout, avec un budget de 350 000 euros pour Carrefour pour créer un espace, et treize candidats finalement présents, ça ne rime à rien. Aucune valeur ajoutée. Aucun retour sur investissement. » Carrefour précise aujourd'hui que l'opération ne lui a pas coûté 350 000 euros mais 15 000 euros, et que 30 candidats étaient présents lors de la session virtuelle de recrutement. Toujours selon le distributeur, sur ces 30 candidats, la moitié a poursuivi un processus de recrutement classique. 

Le scepticisme est partagé. « Ces initiatives, comme celles également de la banque JP Morgan ou de Samsung, ont éveillé la curiosité, commente Jérémy Lamri, auteur de Métavers et RH (éditions EMS), mais pour quels effets à long terme ? Ces acteurs économiques ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils vont en faire. » 

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Pourtant, Jacques Baranger, spécialiste de l'offre métavers chez Talan, est optimiste. Lancé au cœur de l’été dernier, l’Observatoire des métavers a enregistré une petite trentaine de demandes d’adhésion. « De plus en plus d’entreprises cherchent à comprendre en quoi cela va les impacter, explique l'associé de l’une des cinq entreprises partenaires cofondatrices de l’Observatoire, et par ailleurs en charge du groupe des usages professionnels. On a été en retard sur le digital. Aussi, ne voudrait-on pas se retrouver dans la même situation avec le métavers. Déjà deux tiers de la génération Z fréquentent le monde virtuel. Dire non au métavers est utopique. Cette technologie va permettre l’émergence de nouveaux usages. »

Jacques Baranger reconnaît cependant avoir eu besoin de plusieurs mois d’acculturation. Comment la réalité 3D va modifier les RH ? Comment en parler à ceux qui n’ont pas les codes ? Sous quelles formes cela va se généraliser…? Autant de questions qui vont être passées en revue dans son groupe de travail. « Le sujet est délicat, complète-t-il, et peut générer du bad buzz. »

Le travail pédagogique sur le métavers risque d’être long, en effet. Selon une étude menée par YouGov au printemps 2022 pour le compte de M2DG, spécialiste de l'immobilier de bureaux, 47% des actifs français de plus de 18 ans disent ne pas être intéressés pour y échanger avec leurs collègues et assister à des réunions de travail. « Facebook a du mal à réaliser ses prévisions de montée en puissance, souligne Luc Bretones, associé chez Mandarina Group (dont The Next Gen enterprise). Mark Zuckerberg a fait son mea culpa. Entre le buzz et les objets connectés, il y a juste… quelques années de décalage. Les comportements changent moins vite que n’évoluent les technologies. »

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Selon Gartner, cabinet américain de conseil et de recherche dans le domaine des techniques avancées, la maturité sur ce sujet et ces nouvelles pratiques n’interviendra pas avant dix ou douze ans ans. « Cela reste de la science-fiction, note Yann-Maël Larher, avocat en droit du travail et du numérique. Peut-être qu’une nouvelle crise sanitaire accélérerait les choses…. Mais, aujourd’hui, le sujet s’essouffle. Il faudra encore beaucoup de recherches… Les entreprises sont-elles prêtes à financer une paire de lunettes à 500 ou 800 euros pour une heure d’échanges ? » Au frein financier s’ajoute le volet… médical, avec le mal du virtuel qui rappelle beaucoup le confinement, comme il y a le mal de l’air ou des transports. Selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ce phénomène toucherait 30 à 50% des utilisateurs.

Il faut donc s'attendre à une utilisation moins sur la durée que par touches, à la manière des impressionnistes. Selon un sondage Ifop réalisé pour Hippolythe, plateforme de recrutement implantée à Amiens, 84% des actifs en recherche d’emploi voient dans le métavers un nouvel outil de recrutement. « Plutôt pour l’intégration de nouvelles recrues dans un parcours de découverte de l’entreprise, illustre Luc Bretones, pour les grandes boîtes de conseils, car réutilisable à l’infini. » L’agence Tequilarapido de Nice a choisi de s’intéresser au sujet sans attendre en devenant l’un des partenaires de l’Académie du métavers, avec Simplon.Co et Meta. « Si c’est un enjeu de séduction, dans un marché de l’emploi tendu, alors cela ramène cette technologie à un gadget ou à de l’esthétique, note Philippe Gauché, directeur général adjoint. Aujourd’hui, nous sommes plus dans une phase exploratoire, dans une démarche prospective pour aller défricher ces sujets pour nos clients. »

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Est-il raisonnable d’imaginer une imbrication de plus en plus grande entre management et métavers ?

Une information technique – pourtant importante – est passée inaperçue ces dernières semaines : le Kazakhstan est arrivé au bout de ses capacités électriques. Or avec les fermetures des centrales à charbon en Chine, le Kazakhstan est devenu le grenier à électricité à bas coût – pas de droits sociaux, prix au m² très peu chers… Ce pays est devenu le centre du monde en matière de data. Pour générer un métavers, une myriade de serveurs est requise, avec un nombre colossal de téra octets à la clé. On rentre alors dans un délire énergétique absolu. De toute façon, le numérique est non-sobre.

Une entreprise, qui se veut vertueuse écologiquement par ailleurs, ne devrait donc pas se lancer dans le métavers ?

En y allant, elle se contredit sans même en avoir conscience. En tout cas, elle ne trouvera pas là des jeunes engagés pour la planète. Il y a une incongruité. C’est comme aller recruter sur un terrain de golf des jeunes à la fibre sociale développée. Le principe fondamental de l’écologie est d’adopter une sobriété volontaire, de moins consommer. Bref, une simplicité choisie. Or le métavers est un puits à carbone énorme.

Et inversement, une entreprise motivée par le métavers devrait-elle se méfier des « écolos » jeunes ?

Chercher à recruter des jeunes intéressés par l’écologie comporte un risque, celui de glisser le ver dans le fruit. Ces derniers vont finir par entrer en rupture avec le système. Ces jeunes-là sont dans un cheminement, passant d’étape en étape, accumulant les connaissances… Aussi, à terme, on risque de parler de « silence quitting » ou de boycott interne.

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