TRIBUNE

[Tribune] Les imaginaires ne sont pas forcément des bullshit words. Lorsqu'ils sont bien utilisés en entreprise, ils peuvent non seulement libérer l’imagination des équipes, mais également parfois la parole.

« Imaginaires, imaginaires, est-ce que j’ai une gueule d’imaginaires ? » Cette phrase, vous n’avez pas pu vous empêcher de la lire avec la voix d’Arletty dans Hôtel du Nord, j’en suis certain. Et si vous n’avez pas la réf’, une petite recherche sur YouTube vous en dira rapidement plus. C’est ça, les imaginaires.

Qu’ils nous agacent et qu’on les trouve un peu trop creux et trop à la mode, ou qu’ils nous émerveillent et guident nos créations, on n’y peut rien : les imaginaires sont partout autour de nous. Alors autant en profiter pour questionner la relation que nous avons avec eux et la façon dont nous pourrions les utiliser, nous professionnels de la communication, du digital et de l’innovation.

Mais c’est quoi, un imaginaire ? Le mot est facilement mis à toutes les sauces pour désigner un ensemble flou de références pop, de fictions et de projection qu’on se fait des attentes des consommateurs. Mais un imaginaire, c’est bien plus simple que ça : c’est juste une image que l’on a dans la tête et qui peut être invoquée à n’importe quel moment. C’est le souvenir d’un film vu récemment, d’un récit lu enfant et qui a forgé notre façon de comprendre le monde. Ou c’est une histoire que nous concevons dans l’intimité de notre cerveau et qui va guider nos actions, nos créations, nos réflexions.

Deux exercices

Mais pour rendre tout ça plus compréhensible, le plus simple est peut-être d’illustrer cette notion d’imaginaires par deux exercices que l’on peut facilement mener en entreprise. Le premier fait appel à votre culture et à vos souvenirs. Depuis l’avènement du mass-média et de la culture pop (les films, la musique, la TV, la littérature… L’imaginaire justement), nous sommes exposés à des flots d’histoires, et certaines nous ont marqué plus que d’autres. Prenez par exemple le sujet de l’intelligence artificielle qui occupe les colonnes de tous les journaux professionnels depuis l’ouverture de ChatGPT. Cette innovation ne débarque pas sur un terrain vierge : quand vous l’évoquez ou la testez, vous invoquez forcément vos imaginaires autour de cette thématique.

Faites l’expérience dans votre équipe ou votre entreprise : demandez-vous collectivement les images que provoquent les mots «intelligence artificielle». Parmi les réponses les plus populaires viendront certainement l’ordinateur rebelle HAL-9000 de 2001, L’Odyssée de l’espace ou les robots-tueurs de Terminator 2 de James Cameron. Mais d’autres références plus obscures émergeront. D’autres histoires. Ce sont les imaginaires de votre entreprise autour de cette thématique. Un bon moyen d’échanger et de poser la question de l’impact de ceux-ci dans votre culture d’équipe. Concernant l’IA, vos imaginaires collectifs sont-ils optimistes ou négatifs ? Posez-vous donc la question.

Questionner les conséquences de son travail

Autre exercice : invoquer les imaginaires permet également de questionner les conséquences de son travail, surtout quand celui-ci concerne l’innovation. Le déploiement d’outils technologiques a toujours entraîné des conséquences inattendues, parfois heureuses et parfois dramatiques, sur ses utilisateurs. Un exemple ? La popularisation des avis consommateurs a eu un impact positif important sur la santé des toxicomanes au Royaume-Uni. Pourquoi ? Le darknet a bien souvent remplacé le dealer du coin pour le trafic de cocaïne ou d’héroïne. Les commandes se passent désormais en ligne, et comme partout les consommateurs peuvent noter leurs fournisseurs. Afin d’obtenir de meilleures notes, ceux-ci sont donc contraints d’améliorer la qualité de leur produit et d’en retirer un bonne part des additifs toxiques. La drogue vendue sur le darknet est moins coupée que celle disponible dans la rue, d’où… une amélioration de la santé des consommateurs.

Cela vous semble tiré par les cheveux ? L’histoire du numérique est pleine de ces anecdotes, qui ont plus d’importance qu’on ne le croit. Alors, partez de ces anecdotes pour tester vos innovations : demandez à vos équipes d’imaginer les usages détournés de vos produits, de construire des histoires insolites ou dérangeantes sur la base ceux-ci. De faire marcher leurs imaginaires. Pas besoin de grands récits, des instantanés du quotidien suffisent souvent à mettre en lumière un effet indésirable ou insoupçonné d’une innovation.

Ce type d’atelier, mené par exemple avec de futurs élèves ingénieurs, révèle à la fois toute l’imagination – les imaginaires – dont ils sont capables, mais également leurs préoccupations et la façon dont un produit pourrait se confronter aux sujets sociétaux du moment. Faire appel aux imaginaires libère non seulement l’imagination, mais parfois également la parole. Alors, bullshit word, les imaginaires ? Tout dépend de la façon dont on les invoque. Mais gageons que révélés par vos équipes, ils peuvent s’avérer de grands atouts pour votre entreprise.

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