Emploi

Les tensions sur le marché de l’emploi évacuent un peu vite les difficultés rencontrées par les chômeurs de longue durée, surtout après 50 ans. Or, elles perdurent. Encore méconnues, les entreprises éphémères pour l’emploi (EEE) leur offrent une chance.

Le soleil et le sourire dans la voix, Patrice Cire se dit « conquis » par les entreprises éphémères pour l’emploi (EEE). Fondateur de Bloom à votre service, société spécialisée dans le service à la personne et le maintien à domicile, avec 110 salariés à la clé, il vient tout juste de les expérimenter, à Nice. « Le recrutement est devenu capital, souligne-t-il. Y participer constitue l’occasion d’avoir une communication directe, sans filtre, avec un auditoire de 50 à 60 collaborateurs potentiels qui ont envie d’avoir un emploi. Fini le « one to one » classique, confortable pour le recruter, lors d’un entretien. Je ne savais pas si j’allais être à la hauteur ! La conversation a été tonique. »

Portée depuis 2015 par Didier Krief, l’idée vient renouveler les dispositifs de soutien au retour à l’emploi. L’intelligence collective, chère à Pierre Lévy, chercheur en sciences de l’information et de la communication, est l’ingrédient premier de ce format. « De bac -6 à bac+6, jeunes ou pas, en situation de handicap ou pas, 80 à 100 demandeurs d’emploi de longue durée sont réunis pendant six semaines, à développer une entreprise dont ils sont les associés, détaille Didier Krief. Les uns à la RH, les autres à la communication, au web, à démarcher les entreprises… en immersion. A contre-sens des plateformes, ce dispositif vise les circuits courts. » La remobilisation de ces actifs éloignés de l’emploi passe aussi par des formations, des coachs.

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Chargée de mission Pric (« pacte régional d'investissement dans les compétences ») en région PACA pour le compte de Pôle Emploi, Alexandra Fick a entendu la cloche sonner pas moins de dix fois, lors de cette entreprise éphémère d’Antibes. Heureux présage, car elle retentit à chaque contrat signé. « Physiquement, c’est très motivant, ponctue-t-elle. Cette remobilisation, ou émulation, constitue un moment fort. Les demandeurs d’emploi sortent alors de leur isolement. Ce n’est pas chacun pour sa paroisse. »

Les statistiques témoignent d’une réelle efficacité. Au plan national, 851 associés ont été formés. 63 % des associés ont reçu une réponse positive dans les six mois. Bilan de l’opération pour Patrice Cire : 15 entretiens, deux recrutements effectués et plusieurs dans les tuyaux : « Je n’ai pas rencontré des individus éteints par le poids d’une vie compliquée, tient-il à souligner. Mieux, ces échanges ont ouvert des questionnements par rapport au développement même de mon entreprise. Je suis reparti avec deux autres CV en poche, l’un d’une juriste, l’autre d’un chef de projet. Je sais que je vais les recruter à court terme. »

Manutentionnaire, assistant formation, monteuse-câbleuse, gérant de restaurant…. « Des profils variés, autonomes, proactifs, c’est exactement ce que je recherche, commente Marion Florimond, responsable des agences d’intérim Synergie de Nice et Mouans-Sartoux. Cela fait du bien. D’ordinaire, les recruteurs sont à la manoeuvre. Là, le mouvement vient d’eux. Mieux, la recherche émane des deux côtés. Actuellement, les candidatures font défaut. Savoir aller au-delà du CV aide. » Marion Florimond a déjà déclaré vouloir participer à la prochaine EEE, qui ouvrira en octobre à Antibes.

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Pour autant, le développement de ces entreprises du troisième type se fait sans explosion. En sept ans, un peu plus de vingt entreprises éphémères ont été montées de toutes pièces. Et le programme des créations à venir reste limité. Après Marseille, Rennes ou Manosque il y a quelques mois, Antibes suivra à l’automne prochain, puis Salon-de-Provence, Nanterre pour le début de l’année 2023… Selon les régions, selon les départements, selon les agences, Pôle Emploi développe des partenariats avec les EEE, mais aucune consigne nationale n’a été donnée en ce sens. Tout dépend des appels à projets, du hasard des rencontres…

« Ce schéma a du mal à se développer, tempère Guillaume Dupont, fondateur du cabinet Louis Dupont, expert dans le management de transition, sur l’ensemble du territoire. Le manque de visibilité de cette initiative est patent. Elle est passée sous les radars… tant les mesures de retour à l’emploi sont nombreuses dans ce pays. Cela en devient invisible. Une goutte d’eau vertueuse, mais microscopique ! Et puis, en 2025, 30 % des actifs auront adopté le statut de free-lance. »

Toutefois, les chômeurs de longue durée restent nombreux. Selon les dernières données fournies par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), l’Hexagone en compte pas moins de 700 000, sans oublier les 312 000 de très longue durée (au-delà de deux ans passés sans emploi). Ce nouveau format devrait séduire les entreprises des secteurs en tension qui peinent à recruter, histoire d’aller au-delà du Curriculum Vitae (CV) classique.

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Le concept des entreprises éphémères vous parle-t-il ?

Ce dispositif est d’inspiration du nord de l’Europe, avec quelques exemples similaires en Belgique. Et cela reprend aussi un schéma développé en France par Pôle Emploi avec les évaluations en milieu de travail. Mais parler de Pôle Emploi véhicule l’idée d’une réponse identique sur tout le territoire national. Or, les bassins d’emplois sont très différents les uns des autres. Les agences de Pôle Emploi sont parfois refermées sur elles-mêmes. Aussi, recourir à des prestataires –comme celui-ci- permet de faire entrer des compétences autres, pour travailler la transférabilité des compétences. Mais, s’il est question de se familiariser avec les codes comportementaux en entreprise, n’est-ce pas du ressort –précisément- des entreprises de le faire ?

Ces entreprises éphémères qui mettent en avant des compétences ne signent-elles pas la mort du CV ?

Le CV est un code malaisé à utiliser. Il permet juste de mesurer la capacité à… faire un CV, bien plus que les compétences techniques maîtrisées. Mais, le CV déclaratif risque d’être bousculé dans un proche avenir. Et il ne tient pas compte des compétences grises, celles acquises dans des environnements que l’on n’a pas forcément intérêt à communiquer à l’employeur.

Quoi par exemple ?

Cela peut heurter, mais des petits trafiquants savent gérer un stock, le marketing opérationnel, les finances… Certaines entreprises de la grande distribution seraient ravies de pouvoir recruter pareilles compétences. On n’a pas besoin de savoir d’où elles viennent. D’où ce rôle de médiation que peuvent aussi tenir ces entreprises éphémères de l’emploi. C’est dans les replis de la société que l’on peut comprendre la France d’aujourd’hui.

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